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« “Les saumons d’élevage, empilés comme des poulets en batterie” : réalité cachée du poisson préféré des Français. »

Les Français importent 99 % des saumons, issus principalement d’élevage en Norvège et au Royaume-Uni. Dans les lochs écossais, il y a environ 200 fermes où les saumons sont serrés les uns contre les autres dans des cages marines pouvant contenir jusqu’à 200.000 saumons.

Une chair rose emblématique, reconnue pour ses bienfaits nutritionnels : il s’agit du saumon, le poisson le plus prisé par les Français, surtout lors des fêtes de fin d’année. Pourtant, l’industrie du saumon est loin d’être exemplaire et suscite de nombreuses interrogations sur le bien-être animal. Après plusieurs mois d’investigations, le documentariste Maxime Carsel dresse un constat qui risque de vous dégoûter dans Un poison nommé saumon, enquête sur une industrie dévastatrice (éd. du Rocher), paru début octobre.

Les Français importent 99 % des saumons, principalement élevés en Norvège et au Royaume-Uni. Dans quelles conditions sont-ils élevés ?

En Norvège, les conditions sont un peu plus modernes, car le pays a considéré le bien-être des salmonidés et l’utilisation de pesticides depuis environ quinze ans. En revanche, la situation en Écosse est beaucoup plus préoccupante. Dans les lochs, environ 200 fermes abritent des saumons entassés dans d’énormes cages marines, contenant jusqu’à 200.000 saumons dans des files de 20 à 50 mètres de profondeur. Cela représente à peu près le volume d’eau d’une baignoire pour les saumons.

Il est important de noter qu’un saumon est un animal d’une grande perfection, naissant dans les rivières d’eau douce, dévalant vers les océans pour grandir, puis remontant à contre-courant vers son lieu de naissance pour mourir deux semaines après la reproduction. Dans les élevages, ils sont empilés comme des poules en batterie et y restent de douze à vingt-quatre mois avant d’être abattus.

Comment ces conditions d’élevage favorisent-elles le développement de maladies ?

La promiscuité entre les saumons favorise l’augmentation des maladies et la prolifération de parasites, comme les poux de mer. Ces derniers se nourrissent du mucus, une substance visqueuse recouvrant les poissons. Dans leur habitat naturel, les saumons sautent hors de l’eau pour éliminer ces parasites, mais en élevage, ils n’ont pas cette possibilité. Les poux demeurent sur l’animal, s’alimentant de sa chair et de son sang, ce qui entraîne des dommages et une mortalité élevée.

Pour contrer les poux de mer, des pesticides tels que le benzoate d’émamectine, l’azaméthiphos ou la deltaméthrine sont employés. Des études indiquent que la contamination peut s’étendre jusqu’à 39 km² autour des fermes, impactant la biodiversité. Une alternative, basée sur l’utilisation de poissons nettoyeurs comme les lompes ou les labres, n’est pas sans problèmes : les labres sont capturés dans la nature, ce qui entraîne de grandes récoltes. En Norvège, des fermes à lompes ont été créées, mais avec une mortalité significative parmi les poissons.

Une autre méthode à la mode est le « Thermolicer », un dispositif qui aspire les saumons pour les plonger dans un bain de pesticides ou d’eau chaude afin d’éliminer les poux de mer. Cependant, cela s’avère violent et engendre également une mortalité conséquente. Ce système crée une chaîne de nouveaux problèmes au lieu de résoudre ceux existants.

Avez-vous visité une ferme salmonicole ? Quelle impression cela vous a-t-il laissée ?

Oui, j’ai visité une ferme sur l’île de Lewis, au nord de l’Écosse. De l’extérieur, rien ne choque. On aperçoit de grands cercles et l’activité a l’air normale, ce qui donne l’illusion de la magie de la mer. Toutefois, ce qui se passe sous l’eau reste invisible. Les lanceurs d’alerte, comme Don Staniford, ont filmé ces fermes pour montrer la réalité.

On observe également une pollution plastique, notamment avec de gros tuyaux noirs retrouvés sur les côtes, provenant de fermes salmonicoles partiellement détruites par des tempêtes. Ce plastique, robuste et résistant, mettra du temps à se dégrader et libérera des microparticules dans l’océan.

Pour un pavé de saumon de 200 g, il faut 400 g de poissons sauvages, surtout sous forme de farine animale. Pourquoi les conditions de fabrication de ces farines posent-elles un problème environnemental et sociétal ?

Ce problème est d’ordre écologique car des chaluts géants trawlent les fonds marins en perturbant les chaînes alimentaires. La pêche en profondeur est actuellement la méthode de pêche la plus destructrice. Sociétalement, cela pose souci car des chalutiers pillent les côtes maritimes, comme au Sénégal, où 20 % de la population dépend de la pêche.

Un élevage de saumons respectueux des poissons et de l’environnement est-il possible ?

Oui, cela peut exister dans de petites fermes. En France, il en existe une dans le Cotentin qui fournit directement de grands restaurants. D’autres élevages en aquaponie font leur apparition, proposant un cycle naturel du saumon avec suffisamment d’espace et d’oxygène dans l’eau pour des saumons en bonne santé. Néanmoins, leur production reste limitée.

Vous avez cessé de manger du saumon depuis ?

Oui, j’ai arrêté, ce qui m’attriste car j’apprécie ce poisson. Cependant, cela ne coûte rien de faire cet effort, et c’est un grand pas pour le bien de l’humanité et de la planète dans son ensemble.