Tatouage : l’absence de contrôles sanitaires révélée depuis 2023
Magali s’est fait tatouer en mars dernier pour un montant de 75 euros, mais elle a constaté que l’encre a « fusé », créant ce qui ressemble à des hématomes. Le président de l’asbl Tatouages Belgique, Bruno Menei, reçoit quatre ou cinq plaintes de ce type par mois, en raison de tatouages ratés et de tatoueurs qui ne sont pas en règle.
« Quand je suis avec des gens, tout le monde me dit : ‘Oh qu’est-ce que tu as fait ? Tu as des bleus ?' » Magali a décidé de se faire tatouer en mars dernier. « Ce ne sont pas des tatouages. C’est une horreur. » Elle croyait profiter d’une bonne affaire : trois petits tatouages pour 75 euros chez une esthéticienne également tatoueuse.
Je me rends compte que ça devient bleu
Magali se remémore le jour de son tatouage, où elle s’est rendue avec une amie : la praticienne les a reçues dans un espace dédié au tatouage. « Il y avait une table de massage […] un petit meuble avec son matériel. Elle a commencé à réaliser des calques basés sur nos choix de tatouages envoyés à l’avance. Ils étaient déjà préparés. Elle a demandé si c’étaient bien ceux-là. […] Elle a ‘filmé’ (avec du cellophane) une partie de la table, sur 60 ou 80 centimètres. J’ai vu qu’elle prenait une aiguille bien emballée, donc j’étais rassurée. Elle a mis du scratch sur sa machine à tatouer et des gants. Je me suis dit que c’était propre. »
La tatoueuse débute le dessin. « Et là, je me rends compte que ça devient bleu, comme un hématome. » Lorsqu’elle rentre chez elle, les taches persistent, teignant son avant-bras et la base de son pouce, juste à côté des tatouages.
« La dermatologue est venue voir. Elle a confirmé que c’était bien de l’encre ‘fusée’. C’est-à-dire que ce n’est pas piqué assez profond et l’encre coule sous la peau. » Les jours passent et l’encre ne disparaît pas, tandis que les dessins s’effacent.
Entre 1800 et 2000 euros
« Je n’ai pas le choix. Je vais devoir me faire détatouer », explique Magali, qui a demandé un devis dans une clinique spécialisée. « Ça coûte très cher : entre 1800 et 2000 euros », en tenant compte du minimum de séances nécessaires. « Ces petits tatouages à 75 euros me reviennent très cher. »
Nous avons contacté la tatoueuse de Magali. Elle affirme tatouer depuis un an sans avoir rencontré de problèmes, et fait savoir qu’elle n’a rien à se reprocher. Très rapidement, le ton de l’échange s’intensifie. Indisponible, elle refuse de donner une interview face caméra.
Quatre ou cinq plaintes de ce genre par mois
Le cas de Magali est-il unique ? Pour le savoir, nous rencontrons Bruno Menei, président de l’asbl Tatouages Belgique. Il reçoit quatre ou cinq plaintes similaires par mois. « Ce sont des plaintes pour tatouages ratés, avec de l’encre qui fuse, des tatoueurs non en règle, et des infections également. » Quelle est la réglementation de la profession ? « Nous avons un arrêté royal datant de 2005 qui n’est pas terminé. Il n’est donc jamais entré totalement en vigueur. »
Pour bien comprendre, voici un extrait de l’article 4 de cet arrêté royal :
Pour recevoir l’agrément (de tatoueur), les personnes intéressées doivent démontrer qu’elles ont suivi une formation à l’hygiène. Le ministre détermine les modalités de l’agrément.
Selon Bruno Menei, ces conditions pour obtenir l’agrément de tatoueur n’ont jamais été établies. Par conséquent, il suffit de s’inscrire sur le site du SPF Santé publique pour devenir tatoueur. Dans le formulaire d’enregistrement, seuls le numéro de TVA et le numéro d’entreprise sont requis, sans aucune preuve de formation en dessin, en tatouage ou en soins. Une formation de vingt heures à l’hygiène est pourtant exigée selon l’arrêté royal.Ce texte législatif, s’il est incomplet, stipule cependant certaines obligations à respecter. Voici ce qu’un client tatoué doit savoir :
- Le tatouage ne peut pas être effectué si le client est ivre ou dans un état anormal.
- Le tatouage doit se faire dans un lieu exclusivement dédié à cette pratique.
- Le client doit être informé des risques sanitaires (infections possibles, allergies, etc.).
- Le client doit signer un document en double exemplaire attestant de son consentement éclairé.
- Un temps de réflexion doit lui être accordé.
- Il est interdit d’anesthésier le client sous forme de piqûre.
- Il est interdit de tatouer lors d’événements qui ne sont pas axés sur le tatouage, sauf dérogation.
Sur ce dernier point, vous l’avez peut-être remarqué cet été : il est possible de se faire tatouer dans de nombreux festivals de musique, ainsi que lors d’apéros villageois ou d’inaugurations de magasins. Là encore, la législation devait être complétée pour définir les conditions de dérogation pour tatouer lors d’événements, ce qui n’a jamais été fait. Résultat : aujourd’hui, on tatoue partout, y compris à domicile.
Ne l’appelez pas « scratcheur »
C’est ainsi que Thibaut (prénom d’emprunt) a commencé sa pratique. Avant de travailler dans un commerce de tatouage, il a débuté chez lui, dans son grenier. Certains le qualifieraient de « scratcheur », ceux qui tatouent « à l’arrache ». « Comme je n’ai pas suivi le parcours ‘classique’ de l’apprentissage en salon, certains pourraient me considérer comme ‘scratcheur’. Mais je trouve ce terme très péjoratif et je l’associe à une mauvaise pratique du tatouage. »
Bien suivre tous les protocoles hygiéniques
« Or ici, mon but dès le départ était de me professionnaliser et donc, d’utiliser le matériel adéquat, les bonnes pratiques et de bien suivre tous les protocoles hygiéniques pour que tout se passe au mieux. Pour que, le jour où j’intégrerais un salon, il n’y ait aucun problème. »
Autodidacte, Thibaut apprend sur internet. À ses débuts, il n’a donc pas le certificat belge à l’hygiène, ni de numéro de TVA. « Je ne déclarais pas mon activité, mais je ne la rémunérais pas non plus. Les seules contributions que je recevais servaient à rembourser le matériel. Je voulais surtout pratiquer, m’entraîner.«
Concurrence déloyale
Nous interrogeons Thibaut sur les dangers de commencer sans certificat à l’hygiène. « La formation à l’hygiène met en application des méthodes que j’avais déjà vues via mes apprentissages en ligne […] En soi, toute la théorie que j’ai apprise lors de la formation à l’hygiène, je l’appliquais déjà. »
Concernant la concurrence déloyale dans le secteur ? « Je comprends ! Toute activité clandestine nuit à ceux qui ont pignon sur rue. Mais je ne tatouais que des proches. Ce n’étaient pas des clients inconnus, comme aujourd’hui. »
La loi est un peu trop laxiste
Si c’était à refaire, Thibaut suivrait le même parcours mais il admet, paradoxalement, que la législation est très, trop laxiste. « Le certificat d’hygiène et l’inscription au SPF Santé publique, ce sont les seuls prérequis. Je trouve que ce n’est pas suffisant. Il devrait y avoir une formation sur comment tatouer. »
Matériel accessible, contrôles inexistants
Enfin, pour réaliser des tatouages, il est nécessaire de disposer de matériel. Nous sommes étonnés de la facilité d’accès à celui-ci. Il est disponible en quelques clics sur internet, à des prix bien inférieurs à ceux que des professionnels comme Bruno Menei ont dû débourser. « Pour 70 euros le kit, les encres ne sont probablement pas conformes aux normes européennes », observe-t-il. Qui supervise ces aspects ? « Le SPF Santé« , répond Bruno. « On les attend ! »
Combien de contrôles le Service public fédéral de la Santé a-t-il réalisés ces dernières années ?Pour cette enquête, nous avons obtenu les chiffres : depuis 2023, il n’y en a plus eu aucun.
« Actuellement, nous n’exerçons pas de contrôle auprès des salons. Nous comptons sur les bonnes pratiques du secteur basé sur les recommandations établies en collaboration avec notre SPF », indique le SPF Santé Publique dans un courriel.
Nous avons donc interrogé le ministre fédéral de la Santé, Franck Vandenbroucke. C’est également lui qui devait établir les conditions pour obtenir l’agrément de tatoueur. Lui et ses prédécesseurs, puisque cela aurait dû être fait il y a 20 ans. Son cabinet nous a répondu par e-mail qu’il y a des discussions en cours avec le ministre fédéral de l’Économie, David Clarinval, pour adapter la législation dans le cadre de la protection des consommateurs.
Du côté du SPF Économie, des contrôles ont effectivement eu lieu. Les tatoueurs possédant un commerce nous le confirment. Le cabinet de David Clarinval a précisé vouloir placer les salons de tatouage en priorité sur la liste des contrôles.

