Usagers de France Travail ne parviennent pas à obtenir leurs droits
En 2024, Tara est accusée par France Travail d’avoir reçu un trop perçu, entraînant le blocage de ses indemnisations pendant dix mois. Le rapport national de 2024 indique que le nombre de demandes de médiation a augmenté, passant de 34.924 demandes en 2021 à 58.418 demandes.
En 2024, Tara* est accusée par France Travail d’avoir perçu un trop perçu. L’organisme bloque alors ses indemnisations pendant dix mois, ignorant les contestations de cette mère de famille, qui se retrouve sans ressources pour subvenir aux besoins de ses deux jeunes enfants. « Il n’y a aucune présomption d’innocence, vous êtes tout de suite sanctionné », déclare-t-elle. Tara ignore encore qu’elle vient d’entrer dans l’un des pires cercles vicieux des usagers de France Travail : le narratif accusatoire. « Étant donné que je n’avais pas changé d’adresse, la contrôleuse des fraudes a estimé que j’avais simulé une séparation pour toucher des aides. C’est leur façon de faire, ils interprètent tout de la pire manière pour vous retirer des droits. »
Lorsque France Travail refuse les indemnisations de Séverine-Marie, des raisons surprenantes sont évoquées : « Ils m’ont accusée d’être la conjointe d’un de mes principaux employeurs, avec une suspicion de travail déguisé, ce qui est faux. Je ne sais même pas d’où ils sortent ça ! »
### « France Travail vous impose son narratif »
Manon, de son côté, est accusée de ne pas résider en France « parce que je donnais des cours en visio. Je recevais jusqu’à dix mails et convocations par jour. » France Travail a un accès illimité à son compte bancaire, bien que la loi limite cet accès à 18 mois au maximum. « Dès que je recevais une somme d’argent, ils me réclamaient quasiment le même montant à quelques euros près, sans explication », ajoute-t-elle.
Au total, 20 Minutes a recueilli plus de trente témoignages d’usagers de France Travail, affirmant avoir été maltraités par l’institution et ses conseillers. Les procédés sont toujours les mêmes : silence, absence de réponse, mauvaise foi totale même face à des textes législatifs, et attente en justice.
Malgré sa confiance dans ses arguments, Séverine-Marie se heurte à un mur. « Il faut sans cesse relancer avec des documents et des preuves, mais ils n’en font rien, soupire-t-elle. Eux ont une histoire à défendre, ils ont écrit un récit, décidé d’un narratif et vous l’imposent en vous considérant forcément comme un tricheur et un menteur. Chaque semaine, une nouvelle excuse est avancée pour justifier la suppression de mon statut. Chaque semaine, j’apporte une preuve valide pour contredire leur argument… seulement pour découvrir qu’en réalité, c’est pour une autre raison. Cela relèverait du harcèlement, il faut absolument leur reprocher quelque chose, parfois n’importe quoi. »
Perte de ses indemnités, d’un employeur et d’un revenu, difficultés à louer un logement, fausses accusations… « C’est un effondrement progressif sur le plan matériel, financier, logistique et psychologique, générant une anxiété énorme », témoigne-t-elle. Elle souffre de sidération, de problèmes d’attention et de mémoire, ce qui la plonge rapidement dans une profonde dépression, engendrant des symptômes physiques menaçant son pronostic vital. Les avocates de Tara mentionnent également du harcèlement.
### 1 % des fraudes sociales valent-elles tant de paranoïa ?
Chez France Travail, « il y a une vraie politique de suspicion généralisée », admet Sébastien*, conseiller en indemnités. « Le risque de fraude est jugé très élevé. Quand un usager demande plus d’argent ou clame qu’il mérite une meilleure indemnité, on pense immédiatement qu’il tente de nous duper. » Dans les années 2010, France Travail a été plusieurs fois critiquée par la Cour des comptes pour sa gestion des fraudes. « Depuis, c’est tolérance zéro et une véritable chasse aux sorcières. »
Néanmoins, l’Unédic estimait dans son rapport annuel de 2024 que les pertes dues à la fraude envers France Travail s’élevaient à 101 millions d’euros, principalement à cause de la non-déclaration de revenus d’activité. Cela ne représente que 1 à 2 % de la fraude sociale en France.
### Des prélèvements de France Travail totalement illégaux
Cécile L. a également vu ses réclamations ignorées. « Le service des fraudes n’a jamais répondu à mes appels ni à mes mails. On m’a pris tout mon argent alors que j’avais emprunté 10.000 euros et que j’étais en procédure. » Cette manœuvre est courante, mais totalement illégale. En 2022 et 2023, la Cour de Cassation a confirmé que France Travail n’a pas le droit de prélever des allocations-chômage pour récupérer un trop-perçu contesté. Sandra*, conseillère en indemnisation, déplore une illégalité maintes fois signalée sans qu’aucune action ne soit entreprise pour y mettre un terme. Un problème aggravé par le fait qu’il existe de nombreux « faux » trop perçus, souvent dus à des erreurs du système informatique (voir notre article précédent).
Lina, qui a reçu une ARE inférieure à ses droits, raconte : « On a le sentiment d’être un cas particulier, que les règles ne s’appliquent pas de la même façon pour nous. On nous attribue un montant sans explication. Ils ne favorisent pas un environnement de confiance. Quand j’ai enfin eu gain de cause, j’ai reçu un récapitulatif incompréhensible. Ma conseillère a choisi de ne pas prendre en compte une somme importante liée à mon indemnité de rupture conventionnelle, impactant ainsi mes droits. Même les déclarations officielles sont remises en question ! »
Son cas n’était pourtant pas isolé. Il s’agissait d’une mauvaise application automatique de « l’allongement Covid », qui prolonge le calcul des indemnités jusqu’à 47 mois. L’usager a le droit de demander un calcul « classique » de 24 à 36 mois. Cependant, Lina n’a reçu aucune explication et déplore que son nombre de jours de droits ait été écourté sans qu’on lui en demande son avis.
### « On tremble à chaque fois qu’on y va »
Camille* a vu ses activités de graphiste déduites de ses indemnités ARE, alors qu’elles devraient en être exclues. Elle raconte des mois de galère et de réclamations avant d’obtenir réparation : « Il y a une très grande violence, on tremble à chaque fois qu’on se connecte à notre espace personnel à Pôle Emploi ou qu’on ouvre un courrier. Il y a une opacité totale, et une mauvaise volonté débordante, même lorsque je leur renvoyais leur propre documentation ! J’ai atteint un point où mon conseiller me refusait mon argent sans plus d’argumentation, et ne me répondait plus. »
« On se renvoie constamment la responsabilité à France Travail. Les dossiers passent de bureau en bureau, gelant toute avancée pour les usagers », se plaint Sandra. « De plus, certains conseillers semblent croire qu’il s’agit de leur propre argent. Chaque centime est scruté et souvent refusé. »
### Une explosion du nombre de médiations
Contacté par 20 Minutes, France Travail souligne que « tout demandeur d’emploi peut contester ou faire une réclamation sur une décision de son conseiller, quelle qu’en soit la nature. Si la réponse n’est pas satisfaisante, nous encourageons toujours à saisir le médiateur de sa région, gratuitement. »
Cependant, dans le rapport national de 2024, le médiateur s’inquiète de l’augmentation constante du nombre de demandes de médiation, passant de 34.924 en 2021 à 58.418. Le taux de satisfaction des usagers concernant ces médiations n’est que de 18 %, en recul de trois points en un an. Cela n’est pas surprenant, car les médiateurs n’ont qu’un pouvoir de recommandations, sans pouvoir coercitif, et sont directement employés par France Travail.
L’institution se flatte de « 81 % de satisfaction en ce qui concerne la prise en compte de la situation personnelle dans les réponses fournies » et indique que « seuls » 16 % des 900.000 répondants se disent encore préoccupés après avoir contacté France Travail.
### Juste offrir des bonbons à ses enfants
Certains usagers critiquent cependant les moyens de contestation très limités. Pour chaque réclamation refusée, il faut tout recommencer, avec un nombre limité de signes. Les pièces jointes ne peuvent pas être envoyées par mail, rendant la fourniture des preuves demandées difficile.
Quel en est le coût ? Après avoir vu ses indemnités vacataires refusées et ses ARE bloquées, Sophie* a dû déménager. « Je n’avais plus les moyens de payer mon loyer, alors que j’avais tout prévu. Aujourd’hui, je fais trois heures de trajet pour aller travailler à Paris. » « Une fois, j’ai pu rendre 100 euros à une usagère qui était dans son bon droit, se souvient Sandra. Elle était ravie de pouvoir acheter des bonbons à ses enfants. C’est ça, le véritable coût de ces tromperies. »
Le dernier épisode de notre enquête à découvrir demain sur 20minutes.fr

