Jeudi en Prime : la « ligne rouge » de Solidaris sur le ticket modérateur
Le projet de budget 2026 des soins de santé ne prévoit pas de toucher au ticket modérateur pour les consultations chez le médecin, qui restera à 4 euros (1 euro pour les patients BIM). Jean-Pascal Labille estime que « la concertation sociale est aujourd’hui en danger » en raison de l’incapacité des représentants des différents secteurs à s’entendre sur le budget.
Augmenter le ticket modérateur pour les consultations : une « ligne rouge » à ne pas franchir.
Au sein de l’Inami, un des principaux sujets de débat a été le ticket modérateur. Contrairement à certaines propositions émanant notamment des médecins, le projet de budget 2026 pour les soins de santé ne vise pas à modifier le ticket modérateur pour les consultations chez le médecin. Les patients continueront donc de verser 4 euros (1 euro pour les patients BIM). Pour le directeur de Solidaris, ne pas toucher à ce ticket modérateur était une condition essentielle. « Nous nous sommes battus pour qu’il n’y ait pas d’augmentation du ticket modérateur« , se souvient Jean-Pascal Labille.
En revanche, le ticket modérateur pour plusieurs médicaments, tels que les statines (anticholestérol) et les antiacides, sera augmenté. Par ailleurs, un ticket modérateur sera également appliqué aux prestations des sages-femmes.
Ces tickets modérateurs, tout en demandant une contribution plus importante de la part des patients, inciteraient-ils ceux-ci à réduire leur consommation de médicaments ? « Si le ticket modérateur avait été efficace, ça se saurait depuis longtemps. En réalité, le ticket modérateur n’a jamais rien modéré« , réagit Jean-Pascal Labille. « C’est le médecin qui prescrit le médicament, ce n’est pas notre affilié ou ce n’est pas le patient« , ajoute-t-il. En augmentant les coûts, « on porte atteinte à l’accessibilité aux soins de santé« , considère le directeur de Solidaris, qui, en évoquant une « ligne rouge« , reste opposé à toute augmentation du ticket modérateur pour les consultations médicales, même d’un euro. « Quand vous commencez avec 1 euro, pourquoi pas 2, pourquoi pas 3, pourquoi pas 4 ? Pour nous, c’est un danger« , conclut Jean-Pascal Labille.
La concertation sociale « est aujourd’hui en danger »
Les représentants des médecins, des mutuelles, des hôpitaux et du secteur pharmaceutique ne parvenant pas à s’accorder sur le budget 2026, c’est le gouvernement et le ministre de la Santé qui ont repris les rênes. Avant cela, le ministre Frank Vandenbroucke avait donné des directives aux négociateurs de l’Inami, sollicitant des efforts budgétaires précis de chaque secteur. Cela a créé des complications dans la concertation, selon Solidaris. « Le ministre a demandé 150 millions d’efforts aux médecins. Lors des discussions, ils étaient d’accord pour un montant allant jusqu’à 100 millions. Cependant, la manière dont l’épure budgétaire a été établie n’a pas permis d’envisager des solutions autres que celles proposées par Franck Vandenbroucke« , déplore Jean-Pascal Labille. Selon lui, il existait « des solutions, des initiatives, des recettes nouvelles » qui auraient pu mener à un accord différent du projet de budget proposé par le ministre.
Le directeur de Solidaris exprime des préoccupations concernant l’avenir de la concertation dans le secteur des soins de santé. Cette concertation sociale « est aujourd’hui en danger« , pense Jean-Pascal Labille. « Tant que nous discutions avec les médecins, les fédérations hospitalières ou le ministre, il est essentiel de se réunir à nouveau pour redynamiser cette concertation sociale et avoir une véritable vision qui permet à chacun d’accéder à des soins de santé de qualité« , ajoute le secrétaire général de Solidaris.
Jean-Pascal Labille se préoccupe également des économies demandées au secteur hospitalier. « Pour l’année prochaine, avec ce budget nouvellement approuvé, cela représente 200 millions d’euros d’économies pour l’ensemble des hôpitaux du pays, alors que ces établissements rencontrent déjà des difficultés« , souligne-t-il. « Oui, il faut regrouper les hôpitaux, il faut rationaliser, mais cela doit se faire tout en offrant des soins de santé de qualité et accessibles à la population. Actuellement, les dispositions ne le permettent pas« , ajoute le directeur des mutualités socialistes. Une réforme préparée par le ministre Vandenbroucke peut-elle apporter des solutions en limitant les suppléments d’honoraires, en refinançant et en reconfigurant les hôpitaux, ainsi qu’en révisant la nomenclature (le prix de chaque acte médical) ? « Nous attendons cette réforme qui repose sur trois piliers« , réagit Jean-Pascal Labille.
Malades de longue durée : il faut « s’intéresser aux sources du problème »
Le gouvernement Arizona souhaite également aider les malades de longue durée à retrouver un emploi. Plusieurs réformes sont déjà en préparation. Après un mois d’arrêt de maladie, les mutuelles et leurs médecins-conseils devront apporter un soutien aux malades. « Nous sommes pour le retour des malades au travail, mais sous certaines conditions« , explique Jean-Pascal Labille. « Ce n’est pas la mutualité qui déclare une personne malade, c’est le médecin. Il doit donc y avoir un accompagnement médical, cela doit être fait sur une base volontaire, et le travail proposé doit être adapté à la situation de la personne« , complète le directeur de Solidaris.
Lorsque Jean-Pascal Labille est interrogé sur la viabilité du système actuel, étant donné le nombre élevé de malades de longue durée, il suggère qu’il faut « s’intéresser aux sources du problème« . « Pourquoi les gens sont-ils malades ?« , questionne-t-il. Pour lui, « les causes du problème sont liées à ce qui a été fait au niveau du droit du travail, à la flexibilisation croissante, à l’allongement des carrières, et à la désaffection de certains services publics« . Jean-Pascal Labille évoque également « le système économique actuel qui épuise les gens et la population« .
Pour lui, les personnes malades ne le sont pas « par plaisir« . « Contrairement à ce que certains peuvent dire, ce n’est pas le Club Med« , insiste-t-il, rappelant que les malades de longue durée perçoivent une indemnité « qui ne correspond même plus à leur salaire » et qui entraînent « des dépenses de soins importantes« . Il appelle à « du respect pour ces gens et de la dignité« , dénonçant les discours qualifiant les malades de « fainéants« .
Jean-Pascal Labille ajoute que « l’immense majorité » des malades de longue durée sont « des cas lourds, des personnes qui ne peuvent plus retravailler ou qui, en tout cas, ne peuvent le faire que dans des conditions très strictes« . Au passage, il souligne que, contrairement à ce qu’affirment certains partis de la majorité, le nombre de malades de longue durée en Belgique n’est pas supérieur à celui des autres pays européens, y compris ceux qui sont voisins. « Les statistiques et les méthodes de comptage des malades varient d’un pays à l’autre, donc ces éléments ne sont pas comparables« . Il précise que dans des pays comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la Norvège, « il y a une augmentation significative des personnes malades« .
Pour Jean-Pascal Labille, les mutuelles doivent « accompagner » ces malades et « créer les conditions pour qu’ils retournent au travail« . La réforme mise en place par le gouvernement prévoit également que les médecins-conseils examinent plus régulièrement les malades. « Mais ce n’est pas à nous de créer des emplois« , précise-t-il. Du côté de la majorité, il est souvent rappelé qu’il existe de nombreux postes en pénurie pour les personnes éloignées de l’emploi en raison de problèmes de santé. « Les métiers en pénurie aujourd’hui sont souvent ceux qui sont à l’origine de ces maladies, que ce soit dans la construction, l’enseignement, les soins, ou l’Horeca« , insiste le directeur de Solidaris. « Nous soutenons le retour au travail, car le travail est un vecteur d’émancipation, mais cela doit aussi apporter du bonheur« , conclut Jean-Pascal Labille.
Au sein du gouvernement fédéral, certains, notamment au MR, envisagent d’exclure les mutuelles de la gestion des malades de longue durée. « Qu’ils viennent, qu’ils voient par eux-mêmes comment cela se passe sur le terrain« , rétorque Jean-Pascal Labille, soulignant avoir « invité à plusieurs reprises le président du MR ». « Jamais il n’est venu voir une mutualité ni rencontré des collègues sur le terrain« , ajoute-t-il.
L’Arizona veut « affaiblir l’Etat »
Jean-Pascal Labille a aussi un parcours dans la politique. Il a été ministre (socialiste) des Entreprises publiques au sein du gouvernement Di Rupo, il y a un peu plus de dix ans. Quel regard porte-t-il sur le gouvernement actuel, qui peine à finaliser son budget 2026 et à s’accorder sur les moyens de réaliser des économies ? Jean-Pascal Labille considère que les partis de la majorité « ne partagent manifestement plus tous les cinq » une « vision de la société« .
Le dirigeant de Solidaris témoigne également de ses inquiétudes concernant « l’évolution de la démocratie« , établissant un lien entre l’austérité prônée par le Premier ministre De Wever. Il fait remarquer qu’en 2008 (durant la crise financière) et en 2020 (durant la crise du Covid), « c’est l’Etat qui était présent, qui est intervenu pour apporter son aide« . Selon lui, avec le gouvernement Arizona, « la logique est d’affaiblir l’État« , afin qu’il ne puisse plus jouer son rôle de régulation et de protection. « Et cela, c’est extrêmement grave« , avertit le directeur de Solidaris. « Souhaite-t-on une société où chacun a sa place ?« , demande-t-il. « Ou veut-on une société avec moins de services publics, où l’on surveille les gens ?« , poursuit Jean-Pascal Labille, estimant que tel est le projet de Bart De Wever. Il se dit inquiet de « cette forme de populisme qui a gagné l’ensemble des pays occidentaux« . « En tant que citoyen et ancien responsable politique, je ne partage en rien la vision de la société que deux de ces cinq partis entretiennent« , conclut-il.

