Giorgia Meloni célèbre trois ans à la tête du gouvernement : « Trois années d’équilibriste »
Giorgia Meloni a mené son parti d’extrême droite « Fratelli d’Italia » à la victoire le 26 septembre 2022, où elle a savouré son triomphe entourée de partisans. Aujourd’hui, son parti reste en tête des sondages avec un taux de popularité très élevé, malgré des déceptions exprimées par certains électeurs d’extrême droite.
Elle posait la main levée en V de « Victoire ». Giorgia Meloni venait de conduire son parti d’extrême droite à la victoire et savourait son triomphe au siège de son parti, le 26 septembre 2022. Autour d’elle, des drapeaux italiens et des logos aux faisceaux tricolores, symboles du passé fasciste de son parti « Fratelli d’Italia ».
Ce jour-là, le siège des « Fratelli » était plein de partisans impatients de la voir insuffler dans la politique italienne un peu de l’ADN du parti, ses accents nationalistes, eurosceptiques, conservateurs, pro-russes et anti-immigration. Ces idéaux accompagnent Giorgia Meloni depuis ses débuts dans le militantisme à 15 ans.
De nombreux journalistes étaient également présents ce jour-là. Pour beaucoup, les titres comprenaient : « L’extrême droite à la tête de l’Italie, quel changement pour le pays ? » ou « pour l’Europe ? », « pour l’avortement ? », « pour les minorités ? » ou encore « pour l’immigration ? ».
Trois ans après ce « V » de victoire, quels résultats ont obtenu ses partisans ? Que constatent les observateurs ?
Ils remarquent d’abord qu’en Italie, la popularité du parti de Giorgia Meloni n’a pas fléchi malgré l’exercice du pouvoir, comme le montrent les récents sondages, et la stabilité de son gouvernement est saluée.
A Bruxelles comme à Washington, au Caire ou à Istanbul, Giorgia Meloni s’est forgé une image de femme d’État.
Pro-russe ? Elle a soutenu l’Ukraine dès le départ, rejoignant la majorité des États membres de l’UE. Eurosceptique ? Elle a joué la carte d’une Européenne constructive, active, et même utile à l’UE pour entrer en contact avec Donald Trump, une fois de retour à la Maison Blanche, car Giorgia Meloni était la seule voix européenne que Trump envisageait d’écouter, la seule leader d’un État de l’UE à avoir été invitée à l’investiture du président des États-Unis. De plus, elle a été complimentée par le Président américain.
Au cours de ces trois ans, Giorgia Meloni a progressivement remisé son image de candidate radicale, perçue comme une menace pour l’Europe et la démocratie, et a façonné celle d’une dirigeante solide, ouverte et constructive. Son programme d’extrême droite serait-il mis en sourdine ? Ou en mutation ?
Le Professeur de sciences politiques au Cevipol (ULB) Luca Tomini suit cette trajectoire de près, en tant que spécialiste de la politique italienne, européenne et de la démocratie.
Il revient, en cinq questions, sur ce qu’il appelle « trois ans d’équilibrisme de Giorgia Meloni ».
Quelle évolution constatez-vous entre Giorgia Meloni en 2022 et celle qu’elle est devenue trois ans plus tard ?
« Il y a trois ans, les journalistes me demandaient si le fascisme était de retour au pouvoir en Italie. C’étaient des préoccupations légitimes à l’époque puisque Meloni vient d’un parti post-fasciste, d’extrême droite radicale. Elle avait des positions assez radicales sur l’Europe, très critiques de l’intégration européenne ou de l’euro. Jusqu’en 2021, en politique étrangère, elle était très proche de la Russie.
Depuis son arrivée au pouvoir, elle a commencé un parcours de modération dans son langage et ses propositions politiques. »
« Finalement, elle modère son discours et les politiques qu’elle mène en Italie ne sont pas radicalement réformistes.
Par exemple, le gouvernement italien approuve aujourd’hui son budget pour 2026. C’est un budget qui respecte les règles du déficit négociées avec l’Union européenne. Pour cela, ce gouvernement a fait monter la pression fiscale au cours des trois dernières années. Ce n’est pas un gouvernement qui s’oppose frontalement aux règles de l’UE comme c’était le cas avec le Mouvement cinq étoiles et la Ligue, il y a 5-6 ans.
En politique étrangère aussi, il y a eu un changement notable dans les positions de Giorgia Meloni par rapport à la Russie et à l’Ukraine.
Ce n’est pas non plus un gouvernement qui a effectué des réformes sur les droits des minorités, l’avortement malgré les discours conservateurs qu’elle a pu tenir, ou sur la gestion de la migration. À ce jour, elle a instauré des nouveautés, mais n’a pas touché aux grandes lignes des politiques migratoires. Dans ce sens, elle apparaît plus modérée qu’on ne l’imaginait au départ. Cependant, cela masque des positions qui demeurent idéologiquement radicales sur certains aspects comme la migration, les droits civils et des minorités. Cela reste un gouvernement qui conserve des positions d’extrême droite. »
Est-ce que se montrer moins radicale change la popularité de Giorgia Meloni en Italie ?
« Certains électeurs d’extrême droite peuvent aujourd’hui être déçus par le gouvernement Meloni. Mais sa popularité reste très élevée et son parti « Fratelli d’Italia » est en tête des sondages depuis trois ans.
À mon avis, elle conserve sa popularité parce qu’elle n’est pas perçue comme menaçante. Ce n’est pas une menace pour la démocratie, par rapport à Trump aux États-Unis. Cela résulte de son parcours de modération. »
Quel est l’objectif de sa stratégie de modération ?
« À mon avis, c’est un objectif de légitimation, qui s’aligne sur un certain mainstream européen, respectant les règles budgétaires européennes, consensus sur les grandes orientations de la politique étrangère européenne, une position très atlantiste…
Ce qui s’était passé avant elle, en 2019, lors du gouvernement de Matteo Salvini (également d’extrême droite), était une expérience marquée par des tensions constantes avec les institutions et les partenaires européens, un dérapage budgétaire qui avait également contribué à faire tomber le gouvernement.
Ici, Giorgia Meloni adopte une stratégie radicalement différente, qui la maintient au pouvoir. »
« D’ailleurs, je pense que plusieurs partis d’extrême droite en Europe, comme le Rassemblement national de Marine Le Pen en France ou Vox en Espagne, regardent Meloni et son gouvernement comme un modèle possible, car ils voient là une capacité d’arriver au pouvoir et de s’y maintenir grâce à un travail de modération sur certains aspects tout en dissimulant toujours des positions radicales. »
C’est une stratégie « du caméléon », qui s’adapte aux circonstances et aux interlocuteurs ?
« Oui, tout à fait. Giorgia Meloni est une femme politique expérimentée. Elle est active en politique depuis son adolescence, donc elle est à l’aise avec cet aspect « caméléon », qui demande flexibilité et capacité d’adaptation. Aujourd’hui, elle est très proche de Trump, alors qu’il y a un an, elle l’était vis-à-vis de l’administration Biden concernant l’Ukraine.
Quand elle assiste à des manifestations en Espagne, invitée par le parti d’extrême droite Vox, elle s’exprime contre l’Europe et les « wokes », sachant que cela séduit l’audience. Puis, elle rentre en Italie et tient des discours totalement différents.
Elle a un discours en Conseil européen et un autre au Parlement italien. Elle sait s’adapter. Cependant, cumuler cette stratégie et cette compétence n’explique pas tout.
Sa popularité et la stabilité de son gouvernement sont également liées à l’absence d’une véritable opposition qui pourrait la remettre en question. Actuellement, l’opposition en Italie est très divisée, et même à l’intérieur de sa coalition gouvernementale, il n’existe pas de leadership alternatif à Giorgia Meloni. Son parti enregistre encore 26-27% dans les sondages, tandis que ses partenaires coalitionnaires, la Ligue et Forza Italia, oscillent entre 6 et 8%. »
Selon votre analyse, comment se poursuivra son mandat ? Va-t-elle revenir à des positions radicales ou modérer son programme ?
« Je pense qu’elle continuera à naviguer ainsi, car c’est une stratégie politique qui lui convient et lui permet de rester à flot. Il semble qu’elle poursuivra cette lente transition vers le centre sur plusieurs aspects.
La question suivante sera : cela l’amènera-t-il à rejoindre ce qu’on appelle en France « la droite républicaine » ? Par exemple, intégrera-t-elle son parti au « Parti populaire européen » (PPE) au Parlement européen ? Je n’en sais rien. Il y a dix ans, on n’aurait pas pu imaginer un parti comme le sien rejoindre le PPE, où siègent la CDU allemande et les Républicains français. Mais aujourd’hui, ce n’est pas à exclure, car on voit de plus en plus de discours de l’extrême droite infiltrer ceux de la droite traditionnelle.
À mon avis, son intention est de faire cheminer l’extrême droite italienne dans cette direction. Son projet fonctionne pour l’instant car elle est très flexible dans ses positions, avec un parcours d’équilibriste.
Cependant, cela comporte le risque d’une désillusion d’une partie de son électorat. Son gouvernement est stable, mais il ne résout pas les grands problèmes de la société ou de l’économie italienne et il réforme peu.
Le danger, si elle conserve cette approche ambiguë et lente vers des positions plus modérées, est de voir surgir une concurrence à sa droite : un mouvement ou une personnalité qui adopte une rhétorique beaucoup plus radicale, critique à son égard, et qui capte l’électorat qu’elle perd dans sa transition vers le centre. En Italie, on a déjà vu des nouveaux venus gagner en popularité rapidement. Cela peut surgir de l’opposition, mais celle-ci est aujourd’hui trop faible.
Il est difficile de dire si, d’ici les élections de 2027, l’opposition sera capable de développer un programme politique crédible. Mais aujourd’hui, Giorgia Meloni profite encore de l’absence d’alternatives, tant à droite qu’à gauche, et continue sur sa lancée. »

