Hugues Dayez critique « Springsteen : Deliver me from nowhere », anti-« film jukebox »
Le film « Springsteen : Deliver me from nowhere », écrit et réalisé par Scott Cooper, se focalise sur une période précise de la carrière de Bruce Springsteen en 1981, alors qu’il se remet d’une tournée intense et enregistre des maquettes introspectives dans une maison isolée du New Jersey. « La petite dernière », réalisé par Hafsia Herzi, met en avant le personnage de Fatima, une jeune fille de 17 ans, qui se prépare à passer son bac tout en faisant face à son orientation sexuelle dans le contexte de sa culture musulmane.
Springsteen : Deliver me from nowhere

Les biopics suivent généralement un schéma classique : l’enfance de l’artiste, la découverte de son talent par ses managers, son ascension vers la gloire, ses excès, et parfois sa chute. Cependant, « Springsteen : Deliver me from nowhere », réalisé par Scott Cooper, s’éloigne manifestement – et heureusement – de ce modèle.
Ce film se concentre sur une période spécifique de la carrière de Springsteen. Nous sommes en 1981, l’auteur-compositeur-interprète sort d’une tournée épuisante à travers les États-Unis, et il a acquis une notoriété considérable depuis la sortie de son album « Born to run » en 1975. À première vue, tout semble aller pour le mieux pour Bruce, son nouveau morceau « Hungry heart » entre dans le top ten, mais il est en réalité totalement désorienté, le film le dépeignant comme paralysé face à la destinée de rock star mondiale qui l’attend, tout en étant tourmenté par ses souvenirs d’enfance qui évoquent une jeunesse modeste, marquée par un père instable et parfois violent…
Pour se ressourcer, Springsteen se retire dans une maison isolée dans le New Jersey, loin du tumulte de New York, où il acquiert un matériel de mixage rudimentaire pour enregistrer sur une simple cassette des maquettes où il chante seul en s’accompagnant à la guitare ou à l’harmonica. Ses textes sont introspectifs et sombres, explorant sans concession ses blessures les plus profondes. Son manager et ami Jon Landau le soutient dans son travail, mais Landau se trouve en conflit avec les dirigeants de la maison de disques, qui ne désirent qu’un album « Nebraska » ne sortent et demandent des succès commerciaux, sans relâche…
Le film présente plusieurs atouts. Tout d’abord, il s’efforce vraiment de s’approcher du mystère de la création d’une chanson, cette alchimie si particulière que l’on appelle « inspiration ». Ensuite, il illustre la complexe relation tripartite entre un artiste, son producteur et sa maison de disques. Et souligne, si besoin était, combien un artiste, peu importe sa popularité, doit constamment lutter pour imposer ses projets lorsqu’ils ne sont pas immédiatement rentables.
Scott Cooper, le réalisateur, n’est pas étranger au film musical, ayant précédemment réalisé le remarquable « Crazy Heart », portrait d’un chanteur de country en déclin, qui a valu à Jeff Bridges un Oscar en 2010. Jeremy Allen White, acteur révélé par la série primée « The Bear », incarne Bruce Springsteen à l’âge de trente ans, et réussit parfaitement à transmettre le malaise de l’auteur de « Born in the USA ». L’excellent Jeremy Strong, dans le rôle de Jon Landau, le manager, enrichit encore le casting pour faire de ce film une véritable réussite.
La petite dernière

« La petite dernière » raconte l’histoire de Fatima, la benjamine de trois sœurs, qui réside avec ses parents dans un appartement en banlieue parisienne. Âgée de 17 ans, elle est une élève studieuse préparant son bac dans l’espoir d’intégrer une faculté de philosophie l’année suivante. Bien qu’elle ne souhaite pas décevoir ses proches, elle garde un secret : elle est attirée par les filles… Comment réconcilier son orientation sexuelle avec sa culture musulmane dans laquelle elle a été élevée ?
Pour son troisième film à la réalisation, l’actrice Hafsia Herzi (appréciée pour son rôle dans « La graine et le mulet » de Kechiche) aborde un sujet pertinent et contemporain, le faisant avec authenticité et non par opportunisme. Pour le rôle de Fatima, elle a choisi de faire confiance à une débutante, Nadia Melliti, découverte par sa directrice de casting dans la rue… Cette jeune actrice non professionnelle, qui envisageait initialement une carrière sportive, a remporté le prix d’interprétation au dernier Festival de Cannes.
Malgré son caractère peu bavard – Fatima étant un personnage assez introverti – Melliti réussit à imposer une présence forte dans le film. Réalisé avec délicatesse et sensibilité, « La petite dernière » évite de tomber dans le piège du film « à message » trop démonstratif : il présente une situation complexe dans toute sa profondeur. Pas plus, pas moins.
La disparition de Josef Mengele

Josef Mengele. « L’ange de la mort ». Ce médecin maudit d’Auschwitz, célèbre pour ses abominables expérimentations sur les prisonniers juifs. Inspiré par le roman éponyme d’Olivier Guez (Prix Renaudot 2017), le réalisateur russe Kirill Sebrennikov, exilé en Allemagne, a souhaité adapter à l’écran cette histoire retraçant l’évasion de Mengele de Buenos Aires au Paraguay, en passant par le Brésil, dans sa fuite face à la justice, consciente de l’issue d’un éventuel procès…
Le film dresse le portrait d’un homme sans remords, qui se ment à lui-même et élude les questions de son fils, lors des visites en exil. Avec une certaine perversité, Sebrennikov filme l’inéluctable déchéance du médecin fasciste en noir et blanc, choisissant la couleur pour évoquer la jeunesse de Mengele et son travail à Auschwitz – lui offrant une vision romantique de son passage dans le camp de la mort. L’acteur August Diehl s’approprie le personnage avec une grande justesse, sans y ajouter de caricature. Seul bémol : le film, par nature répétitif dans son intrigue, gagnerait à être plus resserré au montage, ses 135 minutes paraissant parfois longues. Pourtant, l’œuvre demeure parfaitement recommandable, car elle reste tragiquement édifiante…

