Belgique

Nutri-Score : le sabotage n’est pas à l’ordre du jour

En 2017, le Nutri-Score est créé en France par une équipe de chercheurs de l’Université Sorbonne Paris Nord, dirigée par le professeur Serge Hercberg. Le 1er avril 2019, le Nutri-Score entre officiellement en vigueur en Belgique.


Pour saisir les liaisons orchestrées contre le Nutri-Score, il est essentiel de revisiter les événements qui ont marqué son origine. En 2017, le Nutri-Score voit le jour en France, élaboré par une équipe de chercheurs de l’Université Sorbonne Paris Nord, sous la direction du professeur Serge Hercberg. Il franchit la frontière franco-belge un an plus tard.

Maggie De Block, alors ministre de la Santé, désire fournir aux consommateurs un outil simple pour oriente vers des choix alimentaires plus sains. « Nous observions une augmentation de l’indice de masse corporelle, un accroissement du nombre d’enfants en surpoids et des frais de diététicien remboursés, » se remémore-t-elle. « Il était nécessaire d’avoir une méthode simple permettant de comparer les produits rapidement en magasin, sans avoir à déchiffrer les étiquettes. »

Le 1er avril 2019, le Nutri-Score entre en vigueur en Belgique.

Reconnu par Sciensano, l’Institut belge de santé publique, le Nutri-Score est perçu comme le système d’étiquetage le plus clair et fiable, ce qui lui permet de séduire rapidement les distributeurs, dont certains avaient déjà anticipé cette adoption. « Cela faisait des années que nous réclamions un logo nutritionnel simple et visible, » souligne Julie Frère, porte-parole de l’association de consommateurs Testachats. « Le Nutri-Score remplissait tous les critères : un code couleur, un résumé clair et lisible à l’avant de l’emballage. »

Au total, huit pays européens ont adopté le Nutri-Score : la France, la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Roumanie (en 2025) et la Suisse (hors UE). Soutenu par l’Organisation mondiale de la Santé, le Nutri-Score pourrait, selon l’OCDE, prévenir deux millions de maladies non transmissibles d’ici 2050, telles que des maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, l’obésité et certains cancers.

Cependant, derrière ce succès se dresse un mur de résistance, composé par l’industrie agroalimentaire et certains États, déterminés à protéger leurs intérêts.

Le premier obstacle pour le Nutri-Score réside dans son caractère non obligatoire. L’affichage des denrées alimentaires relève de la compétence européenne. Concrètement, chaque entreprise est libre d’afficher ou non le logo nutritionnel sur ses produits. En conséquence, de nombreux géants de l’agroalimentaire, tels que Mars, Ferrero, Mondelez, Coca-Cola, Lactalis et Unilever, ont choisi de ne pas l’adopter.

Dans cet univers dominé par de grands acteurs, quelques entreprises comme Nestlé soutiennent la démarche. Toutefois, pour le consommateur, comparer les produits demeure souvent complexe, ce qui s’éloigne de l’objectif initial du Nutri-Score : fournir une information claire et transparente. « Le Nutri-Score est une mesure de santé publique simple. Mais dès le départ, nous avons rencontré une résistance de la part d’opérateurs économiques qui ne souhaitaient pas offrir cette transparence sur la composition nutritionnelle des produits qu’ils vendent. Ces entreprises préfèrent dissimuler la réalité, » déplore Serge Hercberg.

Sciensano a démontré que les intentions d’achat des consommateurs augmentent lorsque les aliments affichent un Nutri-Score A ou B, alors que la tendance s’inverse pour ceux classés D et E. Cela suscite des craintes parmi les grands acteurs de l’agroalimentaire. « Les entreprises craignent logiquement de perdre de l’argent ! », réagit Sanne Griffioen-Roose, directrice de la durabilité chez FrieslandCampina. « Mais je ne prendrais pas cet argument pour m’opposer au Nutri-Score. C’est peut-être cynique. » En matière d’argumentation, l’industrie agroalimentaire ne manque jamais d’idées.

En mai 2020, la Commission européenne met en avant sa stratégie Farm to Fork, visant à rendre le système alimentaire « plus sain, plus juste et plus durable ». L’ancienne commissaire européenne à la Santé, Stella Kyriakides, annonce alors son intention de rendre l’étiquetage nutritionnel obligatoire sur les emballages dans un délai de deux ans.

Cette annonce impacte considérablement le secteur agroalimentaire, car si cette mesure était validée, tous les produits vendus dans l’Union européenne devraient arborer un logo nutritionnel unique, avec le Nutri-Score comme favori à l’époque. Cette perspective ne réjouit pas certains géants alimentaires.

Des informations internes révèlent que des lobbyistes s’organisent à Bruxelles pour contrecarrer le projet de logo nutritionnel unifié de la Commission européenne. De nombreux documents montrent comment les grandes entreprises agissent pour influencer les décisions, multipliant les échanges, les études et les invitations à des conférences. Suzy Sumner, de l’ONG Foodwatch, a documenté ces efforts, tandis qu’Emma Calvert, du BEUC, souligne un déséquilibre frappant : « 17 réunions avec des acteurs commerciaux opposés au Nutri-Score contre seulement deux avec des ONG. »

La bataille est également scientifique. Des entreprises ont tenté de diminuer la validité du Nutri-Score en soumettant des études critiquant le système, payées par l’industrie. « C’est une stratégie similaire à celle utilisée par l’industrie du tabac. C’est la fabrication du doute, » explique Stéphane Besançon, biologiste et nutritionniste, qui a analysé ces publications.

Dans un rapport sur l’obésité, Sciensano évalue la qualité nutritionnelle des produits de grands groupes en Belgique, menant à des conclusions sévères pour Ferrero, qui obtiendrait un Nutri-Score D ou E pour la totalité de ses produits. Cette situation incite Ferrero à surveiller de près la question du Nutri-Score, bien que l’entreprise reste discrète sur ses actions. « Leur stratégie est de ne jamais apparaître en première ligne, » indique le journaliste Nicolas de Labareyre.

En avril 2022, l’ambassade d’Italie procède au lancement de l’IT Food, un réseau promouvant l’industrie agroalimentaire italienne en Europe. Ferrero, mentionné comme « soutien » sur le site désactivé de l’initiative, intrigue en raison de l’implication d’une lobbyiste de la société à Bruxelles.

L’opposition italienne au Nutri-Score est forte, soutenue par des déclarations diplomatiques selon lesquelles le Nutri-Score serait un « outil marketing, sans fondement scientifique et susceptible de nuire à la santé ». Ce pays, sous la direction de Giorgia Meloni, a redoublé d’efforts pour influencer la Commission.

Des documents exposent comment des représentants italiens ont fait valoir des prétextes, tels que l’impact du Nutri-Score sur l’immigration, pour convaincre la Commission d’abandonner son adoption : « Ils ont prétendu que cela pourrait réduire les importations de cacao et augmenter l’immigration des agriculteurs, » dénonce une source anonyme.

L’aboutissement de ces efforts a vu le Nutri-Score sombrer dans l’incertitude. Malgré des attentes pour une proposition législative en 2022, aucune avancée n’a été enregistrée en 2023 ou 2024, ce qui déçoit des acteurs comme Suzy Sumner : « Tout ce plan attendu depuis longtemps a mystérieusement disparu. » Sous la pression italienne et des lobbies, la Commission européenne semble avoir abandonné l’idée de réguler ce sujet.

Serge Hercberg critique cet attentisme : « C’est navrant. Une forte demande existe parmi les scientifiques, les associations de consommateurs et de nombreuses ONG pour généraliser le Nutri-Score. La Commission a cédé aux pressions italiennes et des lobbies alimentaires. C’est scandaleux et profondément regrettable pour la santé des consommateurs européens. »

Ainsi, la bataille pour le Nutri-Score semble avoir trouvé ses vainqueurs. Ses partisans, bien que touchés par cette défaite, ne baissent pas les bras.