Belgique

500 jours sans gouvernement à Bruxelles : un modèle en fin de course ?

La Belgique détient le record mondial en matière de durée de formation de gouvernement avec les 541 jours des années 2010-2011. La crise actuelle à Bruxelles révèle des dysfonctionnements profonds d’un système institutionnel complexe et interroge sur l’avenir de la région capitale.


Cette crise d’une ampleur exceptionnelle met en lumière les dysfonctionnements profonds d’un système institutionnel complexe et soulève des questions sur l’avenir de la région capitale.

La Belgique détient, grâce à son niveau fédéral, le record mondial pour la durée de formation d’un gouvernement : les fameux 541 jours entre 2010 et 2011. La situation actuelle à Bruxelles constitue une première historique.

Les causes de cette paralysie sont multiples et illustrent les limites structurelles du modèle bruxellois. Le système à deux collèges électoraux, francophone et néerlandophone, complique considérablement la configuration politique. L’émergence de la « Team Fouad Ahidar » (TFA) du côté néerlandophone, qui a remporté trois sièges sur les 17 du collège où la majorité s’établit à neuf sièges, a immédiatement perturbé les équilibres traditionnels.

Le succès de TFA ne doit pas dissimuler la responsabilité des autres partis : « La quasi-totalité des partis politiques d’une certaine manière porte une part au moins de responsabilité dans les difficultés parce qu’on ne veut pas s’allier avec tel parti, notamment la Team Fouad Ahidar dans certains cas, ou bien on veut absolument aller au pouvoir avec tel autre parti. »

Plus fondamentalement, un fossé grandissant sépare les règles électorales binaires d’une population bruxelloise en profonde évolution. « On a un écart de plus en plus important entre des règles électorales avec ce découpage en deux collèges linguistiques qui apparaissent finalement assez rigides, là où la population bruxelloise elle-même a beaucoup évolué avec le temps, » constate notre interlocuteur. « Il y a des gens qui n’en ont plus grand-chose à faire de savoir s’ils votent pour un parti francophone, un parti néerlandophone ou pour un parti qui n’est ni vraiment francophone ni néerlandophone. »

La crise actuelle constitue, en tout cas, « un indice que la complexité institutionnelle bruxelloise est effectivement en bout de course d’une certaine manière. »

### Divisions à gogo

Au-delà des clivages linguistiques, les divisions idéologiques pèsent lourdement sur la scène politique. Dès le lendemain des élections, le MR et le PS, en position de force pour constituer le gouvernement, ont émis des signaux difficiles à interpréter pour Groen, pourtant grand vainqueur du côté néerlandophone, comme le report de la zone de basse émission, annulée par la Cour constitutionnelle.

Les tensions se manifestent également au sein du camp francophone, avec des positions diamétralement opposées entre socialistes et libéraux sur plusieurs dossiers, tensions qui demeurent vives durant les négociations budgétaires. Cette polarisation évolue dans un contexte politique national restructuré, où Bruxelles reste une exception, comme le souligne le politologue : « Bruxelles est une région qui majoritairement a continué à voter à gauche en 2024 là où la Flandre s’est toujours montrée nettement plus ancrée à droite et où le grand changement de 2024, c’est que la Wallonie a voté majoritairement à droite. »

### Piano piano

Jean Faniel s’étonne du rythme des négociations : « Ce qui est frappant aussi, c’est de voir finalement le peu d’empressement du personnel politique bruxellois à essayer de résoudre les choses. Si on en est aujourd’hui à 500 jours, c’est aussi parce qu’on a l’impression que les réunions, les rencontres se font de manière relativement espacée à un rythme qui n’est pas particulièrement soutenu. […] On a eu l’habitude notamment au fédéral pendant certaines crises de voir un tempo de négociation qui était quand même plus important, plus soutenu. »

### Le fait bruxellois en danger ?

Cette crise illustre une transformation profonde de la culture politique bruxelloise. L’esprit de compromis qui avait caractérisé les premières décennies de la région semble avoir été remplacé par une logique de polarisation.

« On a une dynamique qui n’est plus la même qu’en 1989, » note le directeur-général du CRISP. « Pendant pas mal d’années après la création de la région de Bruxelles-Capitale et de ses institutions, on a vu une tendance du personnel politique bruxellois à fonctionner au compromis, à rechercher le consensus. Or, on a bien observé au cours des dernières années que les positions se sont tendues, se sont polarisées. »

Le politologue souligne également un changement générationnel : « On a peut-être aussi autour de la table des acteurs moins attachés ou historiquement n’ayant pas connu la nécessité de défendre, de soutenir une région bruxelloise autonome. »

Pire, une question de crédibilité est en jeu : « En l’espace d’un an, cette crédibilité d’une région autonome a été fortement délégitimée, décrédibilisée au point qu’il y a eu, tant du côté flamand que du côté wallon, certaines voix s’élevant pour proposer de mettre Bruxelles sous tutelle, » souligne Jean Faniel.

### Des affaires courantes pleines de conséquences

Enfin, il est impossible de ne pas constater une différence tangible entre les affaires courantes régionales et fédérales : « Ces affaires courantes deviennent de plus en plus douloureuses pour la population bruxelloise, pour le tissu associatif, économique, non seulement pour la crédibilité du monde politique, mais aussi parce que ça commence à avoir des conséquences bien tangibles. Par exemple, des associations ne sont plus subventionnées et ne peuvent donc plus fournir le même niveau de service qu’auparavant. Au niveau des entreprises, on se plaint également relativement régulièrement de l’absence d’un gouvernement de plein exercice. »