TikTok : Une mère et sa fille témoignent de l’« addiction » au suicide
En septembre 2023, la famille de Marie Le Trec dépose une première plainte pour provocation au suicide contre TikTok. D’après la jeune fille, les psychologues et les psychiatres ont aussi sous-estimé le rôle du réseau social dans son mal-être.
En septembre 2023, la famille de Marie Le Trec a déposé une première plainte contre TikTok pour provocation au suicide. Six mois plus tard, l’avocate de la famille s’exprime dans les médias, après avoir cofondé le collectif Algos Victima, évoquant les contenus qui flirtent avec l’incitation au suicide présents sur la plateforme. Cela a permis à de nombreuses familles de se reconnaître dans ce combat. Parmi elles, Morgane Jaehn et sa fille de 18 ans, qui préfère rester anonyme.
« J’ai entendu en mars 2024 l’avocate du collectif Algos Victima à la radio. Elle parlait de ces contenus que l’on peut trouver en ligne. Par hasard, j’ai demandé à ma fille : « Toi, t’as jamais vu ça, pas vrai ? » Et elle m’a tout avoué », raconte Morgane Jaehn. « Eh bien oui, c’était évident pour moi, dit l’adolescente. C’est devenu banal de voir ce genre de contenus en ligne. Si on m’avait posé la question, j’aurais répondu, mais sans réaliser à quel point c’était grave. » Aujourd’hui, elles témoignent à l’occasion de la publication d’un rapport d’Amnesty International sur les effets de TikTok sur la santé mentale des adolescents.
### Tabou et fossé générationnel
À cette époque, la fille de Morgane est exposée à ces contenus depuis plusieurs mois. Quel type de contenus exactement ? Des allusions, des musiques tristes, mais aussi, parfois, des messages plus explicites qui romantisent et idéalisent le suicide. « Il y avait des images avec la légende : « On dit souvent que la nuit porte conseil. Elle m’a dit de prendre une corde et un tabouret. » Ça résonnait beaucoup en moi. J’avais déjà tenté de passer à l’acte plusieurs fois, et cela ravivait l’idée que le suicide était une option parmi d’autres. C’était aussi évident que de décider ce que l’on veut manger. Tu vas mal ? Suicide-toi. » L’algorithme ne lui présente que des contenus négatifs, sans numéros d’urgence ni conseils pour consulter des professionnels.
« À cette époque, elle allait fêter ses 17 ans et cela faisait deux ou trois ans qu’elle n’allait pas bien, reprend la mère. Je me demandais d’où venait ce catalogue du mal-être adolescent. C’était une forme de harcèlement : elle était confrontée à ce contenu qu’elle ne voulait pas voir mais qui, paradoxalement, lui apportait du réconfort. Il y a une honte et une dépendance à ces contenus mortifères. » La honte est présente parce que, selon sa fille, « dans la société, les problèmes de santé mentale, c’est tabou ». Il existe aussi un fossé générationnel : « On se dit que les parents vont diaboliser les réseaux sociaux, ajoutent-elles. Et je ne voulais pas qu’ils soient interdits. »
### « Une génération de soignants à former »
Selon la jeune fille, les psychologues et psychiatres n’ont pas suffisamment pris en compte le rôle des réseaux sociaux dans son mal-être. « Quand on en parle, ils sont surpris, alors qu’ils côtoient des personnes qui utilisent ces réseaux tous les jours », soupire-t-elle. « Les professionnels n’étaient pas conscients de ce qui se passait sur les réseaux sociaux », ajoute Morgane Jaehn. « Maintenant, il y a une prise de conscience, même si c’est encore minimisé. C’est une génération de soignants à former. »
Aujourd’hui, l’état de santé de sa fille demeure fragile et instable. Cependant, Morgane Jaehn déclare : « Je pense que cette discussion a sauvé ma famille. Mais ce n’est pas fini. » Elles se sont associées au collectif Algos Victima et à Amnesty International pour soutenir ce combat. De plus, elles gèrent ensemble leur propre compte Instagram, Les chuchoteurs au crochet, pour discuter, entre autres, de santé mentale. Une manière de se réapproprier l’espace numérique, pour véhiculer un message plus positif.

