France

« Émilie, ne peut plus voir son fils né par PMA, témoigne »

Le 19 juin 2025, Emilie a vu pour la dernière fois son fils Carl et son ex-compagne Marie, qui est partie sans laisser de nouvelles. Emilie, âgée de 34 ans et travaillant dans l’immobilier dans la Loire, témoigne pour que ce genre de situation « n’arrive plus ».


« Le 19 juin 2025, c’est le dernier jour où j’ai vu mon fils Carl et mon ex-compagne Marie*. Elle est partie. Elle a laissé toutes ses affaires. Je ne sais pas comment ils vont, ni où ils vivent. Depuis, je lui envoie des messages qui restent sans réponse. Et je pleure tous les jours. » Emilie s’exprime d’une voix calme, mais sa douleur est palpable. Carl, âgé de 2 ans, est né d’une procréation médicalement assistée (PMA) réalisée avec son ex-conjointe. Ensemble, elles avaient rêvé d’une famille unie, incluant le fils d’Emilie, Ethan, qui a maintenant 6 ans, ainsi que leur bébé né en septembre 2023.

Cependant, suite à leur séparation, due en partie à l’adoption de leur dernier enfant, Emilie a perdu tout contact avec Marie et leur petit. Aujourd’hui, cette femme de 34 ans, travaillant dans l’immobilier dans la Loire, témoigne pour empêcher que d’autres subissent une situation similaire. Elle déclare être « prête à mener le combat jusqu’au bout » pour que « d’autres femmes comme [elle] ne soient plus jamais séparées de leur enfant comme si elles n’avaient jamais existé. »

### « C’était notre bébé, notre projet »

« J’ai rencontré Marie* en janvier 2022, raconte-t-elle. Nous sommes rapidement tombées amoureuses. Nous avions le même âge, les mêmes valeurs, la même passion pour nos métiers, et surtout, le même désir de fonder une famille. » Emilie avait déjà un fils, issu d’une PMA qu’elle avait réalisée seule en Espagne en 2019. Après avoir rencontré des complications de santé, elle propose à Marie de porter un deuxième enfant. « Cela s’est fait rapidement, mais elle a pris une place importante dans ma vie et celle d’Ethan, elle avait déménagé chez nous, poursuit-elle. Nous avons longuement discuté, elle a accepté. Tout s’est fait naturellement. »

Les démarches commencent au printemps 2022. Face aux délais d’attente très longs en France — entre deux et trois ans avant une insémination, en raison de la récente loi permettant aux femmes seules et aux couples lesbiens d’accéder à la PMA — et à leurs inquiétudes concernant la levée de l’anonymat du donneur, les deux femmes choisissent de recommencer la procédure dans une clinique espagnole. « Tous nos devis, nos consentements éclairés… Tout est à nos deux noms, précise-t-elle. J’ai payé la moitié des frais, j’étais présente à chaque échographie. C’était notre bébé, notre projet. »

### « Une famille à composer, pas recomposée »

Cette agente commerciale en immobilier souligne qu’à ce moment-là, elle ignorait la possibilité de reconnaître un enfant de manière conjointe. Marie tombe enceinte en décembre 2022 et Carl voit le jour en septembre 2023. « C’était la concrétisation d’un rêve », se souvient-elle. Cependant, les mois qui suivent sont plus difficiles. Emilie sent une tension et une distance croissantes. « Marie s’est rapidement focalisée sur Carl, cherchant sa place dans ce nouveau rôle de mère, raconte-t-elle. Là où je voyais notre famille comme à composer, elle parlait de famille recomposée. » Lorsque Carl a eu 9 mois, Emilie aborde sérieusement la question de son adoption. « À chaque fois que j’en parlais, elle repoussait. Elle disait que ce n’était pas le moment. Puis, un jour, elle m’a dit : ‘Si je n’ai pas de droits sur Ethan, tu n’en auras pas sur Carl.’ » Pour Emilie, ces deux situations n’étaient pas comparables, ce qui l’empêchait d’accorder des droits à son premier enfant immédiatement.

Ces discussions menaient à des « mini-séparations » où Marie s’éloignait quelques jours chez ses parents avec Carl, avant de revenir en s’excusant. « À part cela, elle vivait toujours chez moi et nous envisagions d’agrandir la famille pour accueillir un troisième enfant, que je porterais cette fois », continue Emilie. Début 2025, elles entament alors de nouvelles démarches, toujours dans la même clinique en Espagne, en partageant les frais d’insémination. « Pourtant, je la sentais très éloignée, reprend-elle. Après le troisième essai, les disputes ont recommencé sur le même sujet. J’ai compris que la séparation était inévitable. Et lorsque je lui ai dit que j’allais faire valoir mes droits pour être reconnue comme la seconde mère de Carl, elle a rétorqué : ‘c’est simple, si tu prends un avocat, je te quitte et je prends le petit.’ » En juin 2025, Marie quitte le domicile familial avec Carl « pour quelques jours » chez ses parents, emportant « une petite valise pour elle et notre enfant ». Elle ne reviendra jamais.

### « Bloquée » le jour de la convocation au tribunal

Dans les semaines suivantes, Emilie a pu voir son fils, mais ces occasions se réduisent jusqu’à disparaître complètement. « La dernière fois que j’ai vu Carl et Marie, c’est le jour où j’ai contacté mon avocate, lorsque je lui ai annoncé que je lançais les démarches d’adoption. J’ai tout fait. J’ai engagé une médiatrice. Mon avocate a essayé de prendre contact avec elle. Ses amis, sa famille ne me répondent plus non plus. » Le 19 septembre dernier, jour de la convocation devant la juge pour une demande de droit de visite et d’hébergement, Marie bloque définitivement Emilie sur tous les réseaux sociaux et canaux de communication.

« Avant de demander une adoption, il fallait passer par cette étape, car je pouvais prouver un projet parental », précise Emilie. Actuellement, elle attend une audience reportée au 21 novembre par Marie. « Elle risque de prolonger la date car c’est son seul axe de défense : faire traîner les choses et dire que dans six mois, il ne sera plus dans l’intérêt de l’enfant de bouleverser ses habitudes avec une mère et un frère qu’il ne reconnaîtra plus, assure-t-elle. De mon côté, j’ai toutes les preuves d’un projet parental commun pour obtenir ce droit de visite, entre les devis, les témoignages, les messages, le fait qu’il m’appelait Maman… Mais tant qu’elle ne se présente pas et que le tribunal ne statue pas, je n’ai aucun droit. Je dois juste attendre. »

En attendant, son fils aîné souffre de cette absence. « Il me demande où est son frère, s’il est parti ‘au ciel’, où est Maman Marie. À chaque étoile filante, il fait le vœu de revoir son petit frère. Dans sa liste de Noël, il a demandé comme cadeau qu’il revienne. » Une situation d’autant plus difficile pour Emilie qui est enceinte ; la dernière insémination a fonctionné. « C’était une grossesse voulue et conçue par deux mamans, mais l’une d’entre elles ne répond plus…, confessé-t-elle. Je lui ai partagé les comptes rendus médicaux, invité aux échographies. Rien. C’est une petite fille. J’espère que je n’aurai pas à lui expliquer l’absence de son grand frère Carl et que la justice aura fait son travail. »

### « Si on m’avait informée… »

Au-delà de son propre combat, Emilie souhaite que son histoire serve aux autres. « En me rapprochant d’associations, je me suis rendu compte que je n’étais pas seule, assure-t-elle. Si j’avais su qu’il existait la reconnaissance conjointe anticipée, je ne serais pas dans cette situation. On ne nous en a jamais parlé et, étant donné la récente loi de 2021, on ignorait tout. » Elle milite désormais pour que les cliniques étrangères informent mieux les couples français. « Un simple papier dans le dossier pourrait sauver des familles, soulager des femmes et cela ne leur coûte rien. »

Elle veut également « mettre en lumière les défaillances d’un système ». « Malgré l’accès à la PMA pour les couples lesbiens ou les femmes seules, les délais restent très longs et le système judiciaire complique les choses car il ne comprend pas toujours les situations, insiste-t-elle. Il ne suffit pas de donner des droits, il faut revoir tout le fonctionnement. Cela reflète un manque de considération, de connaissance et de conscience. Et derrière, ce sont des vies d’enfants et de parents qui sont brisées. »

### « À ses 18 ans, j’irai le chercher »

Emilie est consciente que la bataille judiciaire sera longue. « Si je perds, j’irai en appel, puis en cassation. Même si cela prend cinq ans. Et à ses 18 ans, si je n’ai toujours pas de droit, j’irai le chercher et je lui raconterai tout : qu’il a une famille, une deuxième maman, un grand frère et une petite sœur qui seront toujours là pour lui. » Elle ne joue pas la carte de l’accusation, mais plaide : « Je ne suis pas la méchante qui veut voler un enfant. Je suis juste une maman qui veut revoir son fils. »

Malgré la situation, elle garde espoir : « J’aimerais dire à Marie qu’on peut se tromper mais surtout, qu’on peut réparer. Je veux juste que nos enfants grandissent dans l’amour, comme nous l’avions imaginé. »