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La diplomatie du Tomahawk ne stoppe pas la guerre en Ukraine.

Le BGM-109 Tomahawk est un missile de croisière haut de gamme de six mètres de long et d’un poids proche d’une tonne et demie, ayant une portée variant de 1500 à 2500 kilomètres. Volodymyr Zelensky a de nouveau rendez-vous à Washington ce vendredi pour sa troisième entrevue avec Donald Trump depuis son retour à la présidence américaine.


Et si les missiles Tomahawk, évoquant la célèbre hache de guerre des Amérindiens, n’étaient qu’un moyen pour faire avancer les négociations, difficiles entre la Russie et l’Ukraine ?

Ces missiles de croisière à longue portée sont ce qui manque à Kiev pour menacer Moscou, une requête répétée par le président Volodymyr Zelensky, pour lutter contre l’envahisseur russe et frapper au cœur de la Russie : ses bases militaires, ses usines d’armement, ses infrastructures énergétiques et ses navires de guerre en mer.

### Un appel et un rendez-vous, mais après ?

De l’aveu même de Volodymyr Zelensky, mentionner les Tomahawks ramène Vladimir Poutine à la table des négociations. Il est vrai que le président russe a contacté jeudi le président Trump, à son initiative, pour un échange de plus de deux heures, considéré comme « très productif » par la Maison blanche et « extrêmement franc et empreint de confiance » par le Kremlin. Ce message russe indique qu’une livraison de ces missiles « nuirait considérablement » aux relations russo-américaines et aux perspectives de règlement du conflit.

Suite à cet appel, des négociations directes sont promises entre Donald Trump et Vladimir Poutine, dans un cadre favorable à « la paix », à Budapest, en Hongrie, où Viktor Orbán, eurosceptique et opposé à toute aide à l’Ukraine, exerce son influence.

Ce vendredi, Volodymyr Zelensky aura à nouveau un rendez-vous à Washington, pour sa troisième rencontre avec Donald Trump depuis son retour à la présidence. La première discussion s’était très mal passée, en février, lorsque Trump avait brutalement déclaré à Zelensky qu’il n’avait « pas les cartes en main ». Lors de leur seconde rencontre en août, l’atmosphère avait été bien plus cordiale.

Cette fois-ci, le président ukrainien devra persuader Donald Trump d’autoriser l’envoi de missiles Tomahawk.

Plus tôt dans la semaine, interrogé sur une éventuelle livraison de Tomahawks à l’Ukraine, le président américain avait répondu : « On va voir… Je pourrais. » Après son échange avec Poutine, il avait ajouté : « On en a aussi besoin… Donc, je ne sais pas ce qu’on peut faire ».

Cependant, le plan de Donald Trump semble fonctionner : les livraisons de missiles parlent à Vladimir Poutine, relançant ainsi le processus diplomatique.

### Une avancée symbolique

Le BGM-109 Tomahawk est un missile de croisière avancé, mesurant six mètres de long et pesant près d’une tonne et demie. Il est ultra-précis, presque indétectable, et difficile à brouiller ou à neutraliser, ayant fait ses preuves dans le Golfe et récemment en Iran, et il peut être très destructeur.

Cependant, il est aussi très coûteux : près de deux millions d’euros par unité pour un modèle récent.

Sa portée varie de 1500 à 2500 kilomètres, permettant d’atteindre l’Oural, bien au-delà de Moscou, avec la possibilité de cibler près de 2000 cibles militaires russes, dont 76 bases aériennes, ainsi qu’une des principales usines de drones du pays à Yelabuga, selon l’Institute for the Study of War.

Conçus pour voler à basse altitude, les Tomahawks avancent à près de 900 km/h, peuvent suivre des cibles mobiles, « stagner » si nécessaire et ne dépendent pas de GPS.

Ce qui change, c’est que ce sont les États-Unis qui ouvrent cette fois les portes de leur arsenal de croisière. C’est un signal pour Vladimir Poutine, souligne Alain De Neve : « Une menace concrète pour essayer de faire plier Poutine sur la nécessité d’entamer des négociations sérieuses cette fois-ci. Trump joue son va-tout avec ce type d’armement, même s’il ne s’agit que d’une éventualité. »

Il convient de noter que l’aide militaire à l’Ukraine arrive souvent au compte-goutte, avec des retards dans les moments critiques, car les alliés craignent toujours la réponse russe. « Aujourd’hui, on envisage d’une manière plus libre et avec moins de méfiance la livraison de tels armements. »

### Réactions en Russie

La réaction russe était attendue : « Dimitri Medvedev, qui est un peu le chien de garde de Poutine, montre les crocs en affirmant qu’on risque de franchir un cap, car les Tomahawks peuvent également transporter une charge nucléaire. » C’est probablement l’effet recherché par Trump, même si l’Ukraine n’aura plus jamais accès à des armes nucléaires.

Il faut également noter que la livraison de Tomahawks nécessite l’assentiment du Congrès américain, et il demeure à voir si les stocks disponibles aux États-Unis permettent de livrer l’Ukraine, tout en préservant les capacités de dissuasion face à la Chine ou ailleurs dans le monde.

Vladimir Poutine semble vouloir faire bonne figure en se rendant à Budapest, cherchant à évaluer l’administration américaine concernant l’évolution du conflit. Il pourrait rentrer à Moscou en annonçant à ses généraux de continuer la guerre. Cela illustre la fragilité de la stratégie de Donald Trump et les limites de sa marges de manœuvre, selon Alain De Neve : « Ce n’est pas pour rien qu’il met les Tomahawks dans la balance, espérant que cela produise un effet, mais rien n’est moins sûr. »

Les Tomahawks nécessitent aussi des systèmes de lancement, avec la nécessité de déployer des instructeurs américains. Traditionnellement, des sous-marins ou des frégates lancent ces missiles, mais un système terrestre plus récent, le Typhon, existe également. Cependant, les États-Unis seront-ils prêts à le livrer ?

* »Tout est une question de bluff, de crédibilité par rapport à Poutine qui maîtrise parfaitement cette façon de négocier. »*

« C’est la grande question, commente Alain De Neve. Est-ce que la menace que Trump met sur la table est crédible ? Tout dépend du bluff et de la crédibilité face à un Poutine qui sait négocier. Il subsiste beaucoup d’interrogations autour de cette demi-promesse, demi-menace faite à Zelensky et à Poutine. »

### Des Tomahawks bridés ?

La discussion sur la potentielle livraison de Tomahawk sera complexe. Volodymyr Zelensky en fait une demande depuis longtemps. De l’autre côté, un président Trump possédant de nombreuses cartes, avec un projet d’accord de paix en tête.

Des contraintes existent également : l’exportation de missiles est soumise à un règlement multilatéral de contrôle, le MTCR. Cet accord, bien que non contraignant, encourage les producteurs à restreindre les capacités des missiles exportés, explique Alain De Neve : « Il incite tous les États disposant de capacités de missiles à ne pas livrer des missiles dont la charge utile excède 500 kg ou dont la portée dépasse 300 km. Cependant, les États-Unis peuvent très bien ne pas l’appliquer, tout comme n’importe quel État, sans conséquences juridiques. »

De plus, la nature des cibles sera limitée, « très certainement des cibles militaires ou des cibles industrielles déterminées en fonction de leur contribution à l’effort de guerre russe. »

Comme pour les missiles français et britanniques, les Ukrainiens recevront un mode d’emploi qui limitera l’utilisation des Tomahawks. « On va circonscrire les possibilités de frappe de l’Ukraine, tout en envoyant aussi un message aux Russes : ‘On va permettre à l’Ukraine de continuer à vous frapper sur des sites sensibles tant que vous continuerez cette guerre contre Kiev. Mais on ne va pas permettre à l’Ukraine de faire n’importe quoi.’ […] De toute façon, il n’y aura probablement pas de communication précise sur la portée réelle des missiles Tomahawk fournis. »

C’est un secret défense, mais les Tomahawks viseront des cibles de haute valeur stratégique, économique ou industrielle, et non des blindés isolés.

Les militaires ukrainiens qui piloteront ces futurs missiles resteront de toute façon dépendants des renseignements militaires américains.

### La fin de la guerre n’est sans doute pas au bout du Tomahawk

En conclusion, la livraison des Tomahawks, si elle a lieu, n’est pas décisive, estime Alain De Neve : « La Russie a appris à gérer ce type de choc et les effets sur le terrain en Ukraine. Elle sait comment déplacer ou protéger le matériel ou certaines infrastructures essentielles. Bien sûr, cela n’immunise pas contre une frappe efficace, qu’elle soit menée par l’Ukraine ou par des alliés. »

Les Tomahawks ne changeront probablement pas le cours de la guerre en Ukraine. Leur coût, les limitations sur la charge utile et la portée, la dépendance aux informations militaires, aux systèmes de lancement, le besoin d’instructeurs américains sur le terrain, et l’approbation du Congrès représentent autant d’entraves.

D’autant que la Russie, engagée dans une économie de guerre, continue de produire des armements qui lui offrent un effet de masse que l’Ukraine n’aura pas. « Il est très peu probable que la Russie décide d’arrêter cette guerre du jour au lendemain, » conclut Alain De Neve.