Italie : Sigfrido Ranucci, journaliste, ne se remet pas d’une voiture piégée.
Sigfrido Ranucci, 64 ans, présentateur de l’émission télévisée d’investigation « Report » sur la chaîne publique RAI 3, a été ciblé dans la nuit de jeudi à vendredi par une explosion qui a détruit sa voiture stationnée devant son domicile, sans faire de victime. Le parquet anti-mafia italien a été saisi après cette explosion, qui rappelle celle du véhicule piégé de la journaliste et blogueuse anticorruption maltaise Daphne Caruana Galizia, tuée le 17 octobre 2017.
Un journaliste italien reconnu pour son travail d’investigation, sous protection policière depuis 2014, a été victime d’une attaque. Sigfrido Ranucci, âgé de 64 ans et présentateur de l’émission d’investigation « Report » sur la chaîne publique RAI 3, a été ciblé dans la nuit de jeudi à vendredi.
Une explosion a détruit sa voiture, stationnée devant son domicile, situé à une vingtaine de kilomètres au sud de Rome, sans provoquer de victimes. La voiture de sa fille et la façade d’une maison voisine ont également été endommagées. Sigfrido Ranucci a déclaré au quotidien Corriere della Sera : « Au moins un kilogramme d’explosif a été utilisé ». Après cette explosion, le parquet anti-mafia italien a été saisi. Cela rappelle l’attaque dont a été victime la journaliste et blogueuse maltaise Daphne Caruana Galizia, tuée le 17 octobre 2017 par un véhicule piégé.
Né en 1961 à Rome et diplômé en lettres, Sigfrido Ranucci a intégré l’audiovisuel public italien en 1989, abordant divers sujets d’actualité, de sport et de faits divers. En mars 2017, il a pris la direction de l’émission « Report ». Selon Frédéric Attal*, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Polytechnique Hauts-de-France, « C’est une émission de journalisme à l’anglo-saxonne, à l’ancienne, avec de vraies enquêtes fouillées, qui rappelle le programme américain 60 minutes sur CBS ».
Cette émission d’investigation, qui suscite à la fois admiration et controverse, traite des enjeux sensibles tels que le trafic de déchets, la mafia, l’utilisation des fonds publics, l’abus de pouvoir et les droits humains.
Aniello, avocat près de Naples, a réagi en soulignant que « Ranucci est l’un des rares journalistes italiens avec un » J » majuscule. Beaucoup lui font confiance, et encore plus le craignent, notamment les politiques. On n’a pas réussi à le faire taire, malgré les nombreuses plaintes et procédures judiciaires, qui ont toutes été classées sans suite ».
Nunzia, enseignante près de Naples, a déploré que « même la RAI, où les postes de direction sont occupés par des proches de la dirigeante d’extrême droite Giorgia Meloni depuis son arrivée au pouvoir en octobre 2022, prend en otage son travail, en lui cherchant des histoires et en supprimant plusieurs de ses émissions ».
Attaquer Sigfrido Ranucci, qui a écrit des livres sur les liens entre l’État et la mafia, rappelle des souvenirs douloureux en Italie, selon Frédéric Attal, qui évoque les attentats mafieux des années 1970, lorsque des journalistes comme Mauro de Mauro et Mino Pecorelli ont été tués après avoir enquêté sur des histoires similaires. Il ajoute que « compte tenu de l’orientation de la présidente du Conseil et de ses liens avec Donald Trump, enquêter en Italie est devenu risqué, avec intimidations et menaces. Je pense que le débat public sur cette atmosphère, peu propice à l’investigation des abus de pouvoir, va bientôt émerger ».
Un débat qui trouve un écho dans une controverse de 2018, lorsque Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur et chef du mouvement d’extrême droite La Ligue, avait menacé de retirer la protection policière du journaliste Roberto Saviano, auteur de Gomorra, après des critiques contre le gouvernement.
Ce vendredi matin, de nombreux responsables politiques, dont Giorgia Meloni et le ministre de la Justice Carlo Nordio, ont condamné l’attaque contre Sigfrido Ranucci. Le syndicat des journalistes de la télévision publique a indiqué dans un communiqué qu’il s’agissait d’« une campagne de haine contre le journalisme d’investigation qui doit se terminer ».
Pavol Szalai, responsable Europe de l’ONG Reporters sans frontières, a qualifié cette attaque de « plus grave contre un reporter italien ces dernières années » et a exprimé des inquiétudes en raison du fait que Ranucci est sous protection policière. Alors que l’Italie occupe la 49e place mondiale dans le classement de RSF sur la liberté de la presse, « la pire place parmi les pays de l’Union européenne », il déplore les entraves au travail des journalistes en Italie, « tant de la part d’organisations mafieuses que du pouvoir ».
* Frédéric Attal a notamment publié « Histoire des intellectuels italiens au XXe siècle. Prophètes, philosophes, experts » (Paris, Les Belles Lettres, 2013) et prépare un ouvrage sur l’extrême droite italienne depuis 1945.

