Belgique

La « loi Quintin » sur l’interdiction des organisations radicales : atteinte à la séparation des pouvoirs ?

Le ministre de l’Intérieur Bernard Quintin a rédigé un avant-projet de loi permettant au gouvernement d’interdire des organisations évaluées comme « radicales ». L’Institut Fédéral pour la protection et la promotion des Droits Humains (IFDH) a rendu un avis défavorable sur cet avant-projet de loi, estimant qu’il constituerait une atteinte disproportionnée à la liberté d’association et à la liberté d’expression.


Le ministre de l’Intérieur, Bernard Quintin, a élaboré un avant-projet de loi permettant au gouvernement, si ce texte est adopté, d’interdire des organisations considérées comme « radicales ». Bien que cette loi ne soit pas encore adoptée, elle suscite déjà des préoccupations au sein d’associations et de syndicats. Ces derniers craignent que le texte confère au gouvernement le pouvoir de dissoudre arbitrairement ou injustement toute organisation jugée trop radicale.

L’Institut Fédéral pour la protection et la promotion des Droits Humains (IFDH) a émis un avis défavorable à ce projet de loi. Selon l’institut, le texte est trop vague et obscur, engendrant ainsi des risques d’arbitraire. L’IFDH estime également que, dans son état actuel, il constituerait une atteinte disproportionnée à la liberté d’association et à la liberté d’expression.

Selon Martien Schotsmans, la directrice de l’IFDH, la portée d’interprétation de ce projet de loi est excessivement large. Elle indique que « plus la marge d’interprétation est grande, plus on devrait laisser l’interprétation et l’application de cette loi aux juges, à la Justice, plutôt qu’au pouvoir exécutif ». Elle souligne également que la justice offre bien plus de garanties aux personnes qui pourraient être affectées par des interdictions, tel que celle d’une association, que le pouvoir exécutif. En effet, un juge peut, contrairement à l’exécutif, garantir des droits fondamentaux, comme le droit de la défense, la possibilité d’interroger des témoins ou d’effectuer des enquêtes supplémentaires. « On conteste un peu aussi ce glissement de plus en plus croissant du pouvoir judiciaire vers le pouvoir exécutif pour imposer toutes sortes de sanctions administratives », ajoute Martien Schotsmans.

Le projet de loi porté par Bernard Quintin soulève donc des inquiétudes concernant le respect de la séparation des pouvoirs. Comme l’explique Martien Schotsmans, « c’est la Justice qui va examiner les infractions, les chefs d’accusation,… Et qui va appliquer la peine. Ce n’est pas le rôle du pouvoir exécutif ».

L’avant-projet de loi soulèverait également des problèmes de légalité pour les citoyens. Martien Schotsmans met en garde contre plusieurs « illégalités » présentes dans le projet de loi. Elle rappelle notamment qu’il est stipulé dans une convention de l’Organisation internationale du travail qu’un syndicat ne peut pas être interdit par mesure administrative, rendant certaines mesures envisagées incompatibles avec le droit international. Il existe déjà des dispositions pour sanctionner les actes de violence ou la destruction de biens.

Nadia Cornejo, porte-parole francophone de Greenpeace Belgium, souligne quant à elle que les outils de contrôle actuels sont déjà suffisants. Elle indique qu’il y a un cadre juridique permettant de limiter la liberté d’association lorsqu’elle porte atteinte à d’autres droits. Pour elle, ce projet de loi confère au gouvernement « un pouvoir qui est de museler les organisations. Et donc pour nous, il ouvre une voie à la criminalisation de l’activisme, des mouvements sociaux, etc. »

Martien Schotsmans remet également en question la nécessité de renforcer les pouvoirs administratifs au détriment du judiciaire. Bien que certains avancent que la Justice est trop lente, elle estime que ce n’est pas un argument valable pour contourner l’État de droit. Elle rappelle qu’il est essentiel de doter la Justice des moyens nécessaires pour qu’elle puisse fonctionner sereinement et indépendamment. Selon elle, plutôt que de créer de nouvelles lois, il faudrait mettre en place les mesures adéquates pour permettre à la justice d’exercer ses fonctions.