Tunisie

Entre discipline budgétaire et souveraineté économique, le modèle tunisien face au FMI.

La Tunisie a réduit son déficit courant pour 2025 à -3,1% du PIB, tout en faisant face à un besoin total net en devises estimé à 3136 MD. Les autorités ont prévu de verser 750 millions de dollars au FMI en 2024, suivis de 533 millions en 2025, honorant ainsi leurs engagements envers l’institution.


La Tunisie se distingue sur la scène économique mondiale par une réalisation notable : elle a réussi à assurer sa stabilité macro-financière, à financer son déficit courant et à rembourser intégralement le principal de sa dette extérieure, sans recourir à un programme d’ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI). Cette stratégie nationale a produit des résultats concrets, avec une réduction de l’endettement extérieur, une inflation maîtrisée et une stabilité du dinar. Intitulée « Stabilité macro financière en Tunisie : réalisations du programme national versus le programme FMI », une note de l’Institut arabe des chefs d’entreprises (IACE) met en avant les résultats de ce programme interne par rapport aux exigences habituelles du FMI.

Bien qu’elle ne bénéficie pas d’un soutien formel du FMI, la Tunisie est confrontée à un double défi : combler un déficit extérieur structurel et gérer le service de sa dette. Les données de la balance des paiements montrent l’ampleur de la tâche : le déficit courant, bien qu’il soit en baisse par rapport à 2022 (-8,8% du PIB), est prévu à -3,1% du PIB pour 2025, soit -5603 millions de dinars. Plus alarmant, le solde primaire (avant le paiement des intérêts sur la dette extérieure) reste négatif, indiquant que les opérations courantes ne génèrent pas un surplus suffisant pour rembourser la dette extérieure.

Le besoin total net en devises pour couvrir le déficit courant et rembourser la dette extérieure est estimé à 3136 millions de dinars en 2025, ce qui représente une augmentation significative par rapport aux 98 millions de dinars nécessaires en 2024. Cette hausse est exacerbée par la stagnation des exportations (-0,3% sur les huit premiers mois de 2025) ainsi que par des pertes spécifiques, comme la baisse du prix de l’huile d’olive (1,1 milliard de TND) et la diminution de la production d’hydrocarbures (près de 1 milliard de TND).

Néanmoins, le financement est assuré grâce aux aides en capital, aux Investissements Directs Étrangers (IDE) nets (estimés à 3200 millions de dinars en 2025) et aux apports de capitaux à long terme (7500 millions de dinars). Le service de la dette extérieure pour 2025 (estimé à 10500 millions de dinars en principal) sera couvert, bien que cela implique une diminution des réserves de change. Malgré cette baisse anticipée, le stock de réserves devrait rester suffisant pour couvrir 91 jours d’importations, un seuil jugé acceptable par les institutions financières. C’est cette gestion rigoureuse qui explique les récentes améliorations de la notation de la Tunisie par les agences internationales.

Les divergences entre le programme national et les recommandations du FMI se manifestent principalement dans leurs objectifs fondamentaux. Le FMI s’efforce avant tout d’assurer le remboursement de la dette envers les bailleurs de fonds, tandis que la Tunisie vise à promouvoir une croissance économique équitable, visant à améliorer le niveau de vie de sa population.

Ces différences se traduisent sur plusieurs fronts. Le programme national s’efforce de maintenir la stabilité du dinar et des réserves de change, craignant qu’une flexibilisation rapide n’entraîne une demande spéculative de devises ou des fuites de capitaux. En revanche, le FMI préconise une dépréciation annuelle de 5 à 10 % et une flexibilité de la convertibilité pour fluidifier le système de paiements internationaux.

Dans le domaine budgétaire, le FMI exige un solde primaire positif pour l’État afin d’assurer la réduction de la dette. La Tunisie a mis en place une stratégie de compression des dépenses générales, réduisant le ratio dépenses publiques/PIB de 36,3 % en 2022 à 34,2 % en 2024. Cette politique a permis de faire baisser le déficit budgétaire de 7,6 % du PIB en 2023 à 6 % en 2024, un résultat supérieur aux prévisions. Ce succès a été atteint en limitant les quantités de produits subventionnés et en maîtrisant la hausse des salaires nominaux, qui sont inférieurs à l’inflation, facilitant ainsi l’accroissement des dépenses d’investissement.

Concernant les subventions, la Tunisie a choisi de maintenir les prix des produits essentiels tout en réduisant les quantités disponibles et en introduisant une contribution de solidarité sociale sous forme d’impôt direct. Les autorités soulignent le rôle redistributif des prix dans une économie marquée par un secteur informel important, estimant que cette approche permet d’accroître le revenu réel des ménages pauvres sans recourir à un processus d’identification complexe. Le FMI, quant à lui, prône l’élimination complète des subventions afin de rétablir les prix de marché et de réduire le gaspillage.

Le principal point de préoccupation, mais aussi le risque non résolu du programme national, concerne la situation des entreprises publiques. Celles-ci souffrent de déficits importants, d’une accumulation de dettes qui pèsent sur le système bancaire public, et d’une dégradation de leurs services. La mauvaise gestion interne et des facteurs externes (prix fixés face à l’augmentation des coûts, dépréciation du dinar) ont aggravé leur situation. Pour certaines entités, comme la SNCFT, les salaires dépassent le chiffre d’affaires, tandis que d’autres (Office des Céréales, STEG) ont des dettes atteignant des milliards de dinars. Le FMI avait proposé des solutions allant jusqu’à la privatisation, mais les autorités ont laissé la situation se détériorer, rendant la réforme de ces entreprises une urgence structurelle qui ne peut plus être différée.

Malgré ces divergences, la nécessité de gérer le service de la dette extérieure demeure un point commun aux deux approches. La Tunisie a respecté ses engagements envers le FMI pour des montants considérables : 750 millions de dollars sont prévus en 2024, suivis de 533 millions en 2025.