France

Procès de Cédric Jubillar : la défense demande l’acquittement dans un désastre judiciaire annoncé

Emmanuelle Franck, avocate de Cédric Jubillar, a inauguré les plaidoiries de la défense en soulignant que « jamais de voix d’homme, jamais de dialogue » n’ont été entendus dans les cris rapportés par des voisines et a critiqué les indices à charge en les jugeant de piètre qualité. Alexandre Martin, son confrère, a rappelé qu’il n’y a « ni scène de crime, ni corps, ni ADN, ni cheveu, ni la moindre trace de sang » dans cette affaire et a demandé aux jurés de « soyez prudents, soyez exigeants ».


Peut-on annoncer à Louis, aujourd’hui âgé de 11 ans, et à Elyah, 6 ans, ces deux « invisibles », que « papa a tué maman » ? « Il faut être sûr et certain avant de leur dire cela, et peut-on l’être ? », a interrogé Emmanuelle Franck, l’une des avocates de Cédric Jubillar, en ouvrant les plaidoiries de la défense. Elle a sévèrement critiqué les gendarmes ayant conduit l’enquête, dénonçant leur « proximité malsaine avec certains témoins » et a d’abord planté le décor : « Trop de personnes dans cette affaire, qui n’étaient pas grand-chose, ont voulu devenir quelqu’un, et peut-être toi aussi Cédric. » Ainsi, elle s’est tournée vers son client, impassible et attentif dans son box, un motif qu’elle reprendra à plusieurs reprises durant la matinée.

Avant de développer ce qu’elle appelle « la chronique d’un désastre judiciaire annoncé », elle a d’abord évoqué la méthode utilisée : « On fabule, on invente une histoire, on essaye de faire rentrer des ronds dans des carrés, on prend les pièces d’un puzzle puis on force, on force, pour que cela rentre. »

Emmanuelle Franck a ensuite méthodiquement démonté les éléments à charge rassemblés par l’accusation, les qualifiant de piètre qualité. Des voisines auraient entendu des cris de femme et des aboiements durant dix minutes ? « Jamais de voix d’homme, jamais de dialogue. Et puis dix minutes pour un étranglement, ça ne colle pas », a fait remarquer l’avocate. Quant au témoignage de Louis, il affirme être encore réveillé à l’heure des appels à l’aide. Les lunettes de Delphine ont été retrouvées cassées en trois morceaux ? « Ces lunettes étaient déjà cassées. […] Elles sont photographiées sur le bar de la cuisine le 16 décembre et y restent jusqu’au 23 décembre. Et puis, malgré des perquisitions très performantes, il faudra attendre le 6 janvier pour retrouver une branche derrière le canapé. Et elles ne seront analysées qu’en juillet 2022 », a détaillé Emmanuelle Franck. Elle a ajouté : « On n’en a rien à faire pendant un an et demi », critiquant alors « une expertise bidon » fondée sur des « montures neuves » et non abîmées, concluant qu’elles auraient pu être brisées par un « coup de poing » sans avoir causé de saignement chez la victime, ni de blessure à l’auteur.

Concernant la voiture de Delphine, qui aurait changé de sens de stationnement cette nuit-là, suggérant qu’elle aurait pu servir à transporter un corps, l’accusé n’a pas paru très à l’aise dans ses explications. Me Franck a défendu que la Peugeot 207 a toujours été dans le même sens, celui dans lequel Delphine se garait parfois après avoir récupéré Louis à l’école. Elle a également critiqué le témoignage tardif d’Anne, la meilleure amie du couple, qui, après quatre auditions, a déclaré avoir croisé Delphine devant le domicile des Jubillar la veille de sa disparition. « Je pense qu’elle est convaincue que c’est Cédric Jubillar qui a commis le délit et que dans son esprit, c’est un petit mensonge pour une cause plus grande », a insinué l’avocate.

Avec une approche à la fois féroce et clinique, la défense a décomposé les indices un à un, terminant sa plaidoirie avec des sanglots dans la voix. « C’est dur de se taire parce qu’à chaque seconde où je me tairai, je ne pourrai plus le défendre comme je l’ai fait chaque heure, chaque jour, chaque seconde », depuis quatre ans et demi. Elle a choisi de rester sur des aspects techniques, laissant à son confrère Alexandre Martin le soin de dresser un portrait plus nuancé de Cédric Jubillar que celui qu’a laissé transparaître l’accusé, souvent avec des « tout à fait » et des réponses laconiques sur des sujets sur lesquels il aurait pu s’étendre.

« C’est un homme seul qui se présente devant vous après quatre ans et demi d’isolement, seul dans une cellule de 9 m², qui ne parle qu’aux murs, avec une heure de promenade par jour dans une cour grillagée où il tourne comme un rat dans une cage. Et vous voulez qu’on sorte indemne d’un tel traitement ? », a questionné l’avocat. Est-il le « connard » décrit ? Certes, a-t-il admis, « Cédric est chiant, il sait tout sur tout », mais « c’est tellement plus simple, ça soulage tellement la conscience de celui qui accuse sans preuves, que de caricaturer », a tempéré l’avocat. Il a rappelé le parcours difficile d’un enfant puis d’un adolescent, « placé » deux fois et « maltraité ».

Il a également critiqué, tout comme Emmanuelle Franck avant lui, sa mère Nadine, qui a « sacrifié la vie de Cédric pour mieux satisfaire la sienne » et a trouvé difficile d’accuser son fils à la barre, ce qu’elle a récidivé le soir même au journal télévisé de 20 heures.

« Il n’y a pas le moindre témoignage de violence physique sur Delphine », a rappelé Alexandre Martin. « Pas le moindre message d’injure » non plus, a-t-il noté, pour un homme dont la femme a demandé le divorce et dont l’accusation a décrit « la montée en pression » jusqu’à une possible explosion de colère. Concernant la déchéance de l’autorité parentale demandée, en plus des trente ans de réclusion criminelle, Me Martin s’est indigné : « Vous savez qui n’y a jamais pensé ? C’était Delphine. Avant de divorcer, elle a noté sur un papier ‘garde alternée’. Elle ne l’a pas jugée. »

À Alexandre Martin revient également la responsabilité de sensibiliser les jurés, en rappelant qu’il n’y a « ni scène de crime, ni corps, ni ADN, ni cheveu, ni la moindre trace de sang ». « Votre décision sera historique, elle dira votre conception de la justice et quel visage vous voulez donner à cette justice », leur a-t-il confié avant de conclure gravement : « Vous pouvez anéantir un homme. […] Soyez prudents, soyez exigeants, je vous le demande. Votre devoir dicte d’acquitter Cédric Jubillar. »

Le verdict doit être rendu ce vendredi.