Tunisie

«Sangoma le guérisseur» de Hichem Ben Azouz vient de paraître.

Hichem Ben Azouz vient de publier son premier roman «Sangoma le guérisseur», paru chez Hkeyet Edition. L’histoire suit Slim, un jeune médecin urgentiste, qui décide de changer de vie après un drame bouleversant en entreprenant une traversée de l’Afrique à bord d’un 4×4, partant de Cap Angela en Tunisie jusqu’à Cap Agulhas en Afrique du Sud.

Ce synopsis évoque d’abord une odyssée ou un roman d’aventures, mais au fil des 556 pages, le lecteur est plongé dans une exploration intérieure, philosophique et parfois mystique.

La Presse — Hichem Ben Azouz, médecin et cinéaste documentaire, a récemment sorti son premier roman intitulé «Sangoma le guérisseur», publié chez Hkeyet Edition. Ce récit, selon les mots de l’auteur dans sa préface, «emprunte au réel, au rêve et à la mémoire».

L’histoire suit Slim, un jeune médecin urgentiste en proie à l’épuisement professionnel, qui décide de changer de cap après un drame. Il entame alors un voyage à travers l’Afrique en 4×4, commençant au Cap Angela en Tunisie, le point le plus au nord, jusqu’au Cap Agulhas en Afrique du Sud, le point le plus au sud.

Si ce synopsis peut sembler être une aventure, la lecture révèle une traversée beaucoup plus intérieure, philosophique et mystique, où l’Afrique transcende le simple décor. «C’est un espace de soins, de corruption et de beauté insoutenable», souligne-t-il.

L’auteur stipule clairement dans sa préface que ce roman n’a pas de caractère biographique ou autobiographique. Néanmoins, en examinant le parcours professionnel de Hichem Ben Azouz, on entrevoit les origines de «Sangoma le guérisseur». Médecin comme son héros, il vit en Afrique du Sud depuis dix-sept ans, ayant quitté la Tunisie à cause de conditions de travail intolérables.

En Afrique, il fait face à une réalité difficile : «Tout le monde fait tout», et le médecin est souvent contraint d’agir sans réfléchir. Vouloir soigner dans ce contexte revient à lutter contre un système de santé corrompu. La première partie du roman s’apparente donc à une critique acerbe de la situation des médecins urgentistes. Bien que l’action se situe en 2002, les problématiques abordées restent d’une actualité troublante. «On sauve, on sauve, puis c’est nous qu’on ramasse», écrit Hichem Ben Azouz.

La situation en Afrique apparaît encore plus désespérée. Le lecteur peut avoir l’impression que le narrateur se souvient plutôt que d’inventer. Ben Azouz a, en effet, créé le personnage de Slim pour relater une partie de sa propre expérience : pénurie de médicaments, corruption au sein des ONG qu’il qualifie de «fonctionnaires sous bannière d’espoir», insécurité omniprésente dans une région où «le crime est une habitude, une langue nationale». «Je ne suis plus médecin ici, je suis le scribe du désastre», confie Slim, le personnage principal.

Progressivement, on comprend que cette série d’événements, parfois haletants, ne doit pas être interprétée au premier degré. Loin de se réduire aux mémoires d’un médecin ou d’un amant en détresse, l’auteur dresse en réalité le portrait du «soignant blessé», celui qui sombre dans l’enfer moral et physique.

Cependant, cette chute n’est pas futile. Elle devient le catalyseur d’une élévation et d’une transformation intérieure. Hichem Azouz a d’ailleurs cité une fameuse maxime de Jung lors de la présentation de son roman : «Aucun arbre ne peut s’élever jusqu’au ciel sans que ses racines ne plongent jusqu’en enfer».

Le récit, sans céder à la victimisation, laisse entrevoir un peu d’optimisme, une lueur d’espoir qui adoucit les passages les plus sombres.

Lors de la présentation de son roman, Hichem Ben Azouz a mentionné plusieurs influences littéraires et philosophiques ayant bercé l’écriture de «Sangoma le guérisseur». Frantz Fanon, médecin et penseur engagé de la décolonisation, y occupe une place centrale. L’auteur évoque également Albert Camus, Ibn Arabi, Rûmî, parmi d’autres figures dont l’influence, parfois subtile, se retrouve dans les dimensions philosophiques et mystiques de l’itinéraire intérieur de Slim.

Ben Azouz met aussi l’accent sur un concept médical innovant : la médecine narrative, développée dès le début des années 2000 par la Pr américaine Rita Charon. Cette approche repose sur l’écoute du patient, la compréhension de son récit de vie et l’intégration de ce récit dans le processus de soin. Et, «Slim was the only one who listened», note Hichem Ben Azouz dans son roman.

Dans un monde médical souvent déshumanisé, l écoute devient un acte thérapeutique qui relie les dimensions cliniques, humaines et spirituelles traversant tout le roman.

En plus de l’originalité des sujets traités, «Sangoma le guérisseur» se distingue par un style d’écriture particulier. Les phrases y sont courtes, hachées, souvent averbales, agrémentées de nombreux retours à la ligne, créant une écriture aérée, fragmentée, avec des bribes de pensée ponctuées de silences. Cette forme éclatée, parfois rythmée, facilite la lecture malgré le volume du roman, qui dépasse les 500 pages.

Pour intensifier l’immersion et le réalisme de certaines scènes, l’auteur choisit de présenter les dialogues dans leur langue d’origine, accompagnés d’une traduction. En plus de l’anglais, certains échanges se déroulent dans plusieurs langues et dialectes africains.

La narration alterne entre événements saccadés et passages du flux de conscience. Une grande partie du roman se rapproche d’une prose poétique, dans un style qui rappelle celui de J. M. G. Le Clézio. C’est une écriture sensorielle qui vise plus à suggérer qu’à expliquer.

Dans certaines sections, les descriptions sont particulièrement visuelles. Cette manière de «filmer avec les mots» pourrait découler de l’influence du cinéaste documentaire Hichem Ben Azouz. Le lecteur a parfois l’impression de suivre une caméra en mouvement, passant d’un plan large à un gros plan sur un visage, une émotion ou un détail presque imperceptible.

Avec «Sangoma le guérisseur», Hichem Ben Azouz mobilise l’ensemble de ses talents pour offrir un roman profondément personnel. Une traduction en anglais est déjà prévue pour faciliter la diffusion de l’ouvrage en Afrique du Sud, lieu de résidence de l’auteur et cadre central de l’histoire. C’est un premier pas dans le domaine romanesque qui pourrait en annoncer d’autres. Reste à voir si l’auteur continuera cette aventure littéraire pour un parcours plus vaste.