Tunisie

Dream city à la Caserne d’El Attarine : interroger le présent et envisager l’avenir

Les films et installations visuelles les plus engagés sont mis en place au premier étage de la caserne centrale de la Médina de Tunis, celle d’El Attarine, du 3 au 19 octobre, de 10h00 à 18h00. « Ce qui se passe aujourd’hui en Palestine est un génocide » selon le projet « What Everybody Knows », qui analyse des situations documentées il y a 17 ans comme des étapes d’un processus génocidaire.


C’est au premier étage de la caserne centrale de la Médina de Tunis, celle d’El Attarine, que sont présentés les films et installations visuelles les plus significatifs. Ces vastes salles entièrement rénovées accueillent des œuvres percutantes et captivantes, diffusées en continu du 3 au 19 octobre, de 10h00 à 18h00. Parmi ces projections figurent les réalisations visuelles de la « Sharjah Art Foundation », qui s’est installée dans la ville arabe de Tunis pour l’édition de « Dream City ».

Le film examine le paradoxe de la proximité et de la distance, ainsi que la manière dont les événements internationaux peuvent nous affecter intimement tout en étant éloignés. Tourné à partir de Berlin, le long métrage commence par des prises aériennes de Gaza et de ses constructions détruites. Une voix froide et distante introduit un jeu conçu par un collectif anonyme pour lutter contre l’ennui : mesurer des distances, d’abord entre des objets, ensuite entre des villes. L’œuvre questionne l’héritage colonial à travers les frontières, la mémoire et des cartographies abstraites. « We Began by Measuring Distance » a remporté un prix à la Biennale de Sharjah en 2009.

Avec une touche d’humour satirique, le film remet en question l’image sans faille de la Norvège, pays symbole de la paix. De 1948 aux Accords d’Oslo de 1993, il déroule les événements, conflits et massacres en Palestine, entrecoupés de récits et de mythes historiques exprimés par des enfants, de voix off et de discours politiques. Ce récit en strates met en avant le modèle norvégien de médiation tout en en révélant les limites. À la croisée des images du monde et des réalités politiques, se dessine un rêve national confronté à ses propres contradictions.

Dans cette création vidéo, Jumana Manna et Sille Storihle allient leurs pratiques pour explorer la construction de l’identité et les dynamiques de pouvoir. L’artiste palestinien Sharif Waked intègre dans son travail la politique contemporaine et l’histoire, détournant les codes esthétiques et la propagande pour en exposer, avec humour, les absurdités.

« To Be Continued… » propose un dispositif familier : celui des enregistrements faits par des kamikazes avant leur attaque. Face à la caméra, un homme — interprété par l’acteur palestinien Saleh Bakri — est assis, un fusil à ses côtés, un livre dans les mains. Mais au lieu de transmettre un message idéologique, il lit un extrait des « Mille et une nuits », où Shéhérazade raconte chaque nuit une histoire au roi pour retarder sa mise à mort.

Cette association inattendue interroge la relation entre récit et survie, offrant une critique subtile de la représentation médiatique du martyre et de la résistance. Ici, l’acte de raconter devient un geste de vie et de défi, au-delà de tout instrument politique. Raeda Saadeh examine la manière dont la féminité s’entrelace avec les courants sociopolitiques et les normes culturelles, à partir de son expérience de femme palestinienne, affectée à la fois par l’occupation israélienne et par les conventions religieuses et sociales arabes. Dans « Vacuum », une femme apparaît, aspirateur à la main, nettoyant les collines arides de Palestine, avançant lentement vers la caméra fixe, tandis que le bruit de l’aspirateur se mêle au souffle du vent. En situant cette tâche domestique banale dans un décor absurde, Saadeh souligne notre persévérance à travers des gestes vides. Comme il est futile de « nettoyer » une montagne de la poussière et des pierres qui la composent, il est impossible d’effacer la mémoire d’un peuple de sa terre. Tournée entre Jéricho et la mer Morte, cette vidéo sisyphéenne devient une métaphore de l’effort quotidien pour survivre et de la lutte interminable pour la libération.

« Ce qui se passe aujourd’hui en Palestine est un génocide. Le génocide, tel que nous le comprenons, n’est pas un événement isolé, mais un processus qui se déploie à différentes échelles, dans le temps et l’espace, avec des rythmes et des intensités variés. Son but est clair : éliminer tout un peuple, détruire sa culture, l’expulser de ses terres et supprimer son mode de vie ancestral. »

Le projet « What Everybody Knows » s’inscrit dans ce processus. Bien que 17 ans séparent les faits documentés dans cette œuvre des atrocités actuelles, les situations analysées à cette époque doivent être perçues comme des étapes d’un même processus génocidaire. Partager ce travail revient à participer à une lutte contre l’oubli.