Belgique

Où vont vraiment vos vieux vêtements ? Parcours révélé par des traceurs GPS.

Nous avons suivi le parcours de vingt vêtements, cousus de balises GPS, depuis la Belgique jusqu’à divers endroits comme un centre de tri, un marché africain et une cimenterie en Allemagne. Au total, 16 vêtements d’occasion sur 20 ont été exportés, dont 10 vers le continent africain.


En cousant de petits traceurs électroniques dans vingt vêtements, nous avons suivi leur parcours depuis la Belgique jusqu’à leur destination finale : un centre de tri, un marché en Afrique ou même une cimenterie en Allemagne. Cette enquête met en lumière un système surchargé, fragilisé par une surproduction de vêtements de mauvaise qualité.

Pour comprendre le destin de nos vêtements d’occasion, nous avons intégré vingt pièces – certaines en bon état, d’autres abîmées – dans trois filières de collecte différentes :

– **Les Petits Riens**, un acteur social et circulaire ;
– **Curitas**, une société privée ;
– **H&M**, un leader de la fast fashion qui promet une seconde vie à nos vêtements.

Pendant six mois, nos balises GPS ont émis depuis la Belgique, l’Allemagne, l’Europe de l’Est et même depuis le continent africain.

Les centres de tri en saturation

Premier arrêt : le centre de tri des Petits Riens à Anderlecht. Chaque pièce y est analysée, pesée, triée et classée. Cependant, la qualité des textiles est en chute libre.

« Une grande proportion des textiles que l’on collecte aujourd’hui est du déchet, » explique Thierry Smets, directeur général. « C’est du textile dont on ne sait pas quoi faire, provenant de la fast fashion ou de l’ultra-fast fashion, avec des fibres de si mauvaise qualité que personne ne sait les utiliser. Ces vêtements ne sont ni revendables, ni exportables, ni recyclables, et donc ils partent directement à l’incinérateur. »

Quel a été le sort de nos propres vêtements ? Aucun n’a fini dans une boutique des Petits Riens. Nous avons d’abord cousu des balises GPS dans divers articles : pantalon, short, chemisier, veste… puis déposé nos vêtements équipés de traceurs dans des bulles de collecte.

Voici le parcours détaillé des vêtements déposés dans les bennes des Petits Riens.

Les entrepôts belges : une filière opaque

Certaines sociétés privées, comme Curitas, ont également investi le marché de la collecte des vieux textiles. Curitas, filiale du grand groupe néerlandais Boer, gère environ 500 conteneurs textiles en Flandre et en Wallonie.

Les vêtements déposés chez Curitas ont suivi un parcours différent de ceux confiés aux Petits Riens. Au lieu d’être triés, ils ont été revendus directement à des grossistes. Nos traceurs ont mis en évidence deux entrepôts, à Liedekerke (Brabant flamand) et Termonde (Flandre-Orientale), avant un départ pour le Gabon, la Lettonie ou un magasin de seconde main à Bruxelles.

Le gestionnaire de l’entrepôt de Liedekerke l’a confirmé : « On est client chez Curitas. Nous recevons plusieurs arrivages par semaine. Parfois, on trie, parfois non. Cela dépend de la clientèle. »

Curitas admet travailler avec d’autres partenaires en raison de l’abondance de vêtements sur le marché, mais assure que tous ses collaborateurs sont agréés par l’OVAM, l’organisme public flamand responsable de la politique des déchets, et qu’ils œuvrent « dans le respect de l’environnement ».

Toutefois, cette sous-traitance rend la traçabilité quasi impossible. En conséquence, nos vêtements changent plusieurs fois de mains avant de trouver un acheteur ou de quitter l’Europe.

L’Afrique, submergée par nos habits

En tout, 16 vêtements sur 20 ont été exportés, dont 10 vers le continent africain.

« À l’export, nous envoyons des vêtements en assez bon état, tout à fait portables, à des clients ayant des demandes spécifiques, » explique Claudia Van Innis, porte-parole des Petits Riens, ajoutant que « ce sont des vêtements un peu démodés ou invendables dans notre réseau de magasins. » Nous sommes allés jusqu’à Nairobi, au Kenya, pour constater ce que deviennent ces habits usagés.

Le Kenya, premier importateur de vêtements d’occasion, reçoit chaque année près d’un milliard de pièces en provenance du Nord. À Nairobi, les ballots de vêtements s’ouvrent sur les marchés. Parfois, des trésors y sont découverts, mais souvent, c’est une loterie.

« Avant, le coton était de très bonne qualité, mais maintenant la matière est très mauvaise, » témoigne Hanna Kangi, vendeuse au marché de Gikomba. « Regardez ce T-shirt, il est troué, c’est du déchet, on ne peut rien en faire. Alors on utilise cela pour nettoyer les moteurs des voitures ou laver les voitures. Donc ce sont des déchets et pour moi c’est de la perte. »

À l’autre bout de la ville, Teresia Wairimu, présidente d’un consortium de revendeurs, défend cette économie : « Le secteur du vêtement d’occasion fait vivre deux millions de personnes au Kenya. Interdire les exportations serait une catastrophe. Le vrai problème, c’est la fast fashion, pas la seconde main. Ne nous trompons pas d’enjeu. »

C’est le fil rouge de notre enquête : la fast fashion, une industrie qui produit toujours davantage de vêtements, toujours plus rapidement, et à moindre coût. Des articles fabriqués pour être achetés, portés quelques fois, puis jetés. Et ce sont souvent les pays africains qui en subissent les conséquences.

Dans la décharge de Dandora à Nairobi, les vêtements brûlent à ciel ouvert. « Regardez, ce pantalon Adidas, c’est 91 % de polyester et 9 % d’élasthanne, donc c’est 100 % de plastique. En le brûlant, on libère des produits toxiques et beaucoup de personnes autour de la décharge souffrent de maladies respiratoires, » explique Gerance Mutwol de Greenpeace Afrique.

« Plus vous continuez à consommer, plus vous nous imposez un fardeau, » avertit Gerance Mutwol, qui ajoute : « Chaque vêtement arrivé ici témoigne de la surconsommation du Nord. Vous devez responsabiliser ceux qui polluent. Assurez-vous qu’ils puissent vous montrer, du début à la fin, comment leurs vêtements sont utilisés. Et pensez également aux populations du Sud, car plus vous continuez à consommer, plus vous nous imposez un fardeau. Il est donc temps de vous réveiller et de faire des choix éclairés en matière d’achat de vêtements. »

Une fin inattendue : la cimenterie

Les vêtements déposés chez H&M ont également voyagé. Nous avons placé quatre pièces en bon état dans un bac de collecte d’un magasin H&M à Bruxelles. La promesse affichée sur le bac est claire : « Vos vêtements seront reportés, réutilisés ou recyclés. » Cependant, grâce aux traceurs présents dans nos habits, nous avons découvert un autre chemin, rarement évoqué dans les publicités.

Recyclage ou anomalie ?

À Allmendingen, la société B + T Group, chargée du traitement des déchets à proximité d’une cimenterie, explique : « Oui, nous recevons des vêtements usagés considérés comme non recyclables. Ils sont broyés et servent de combustible de substitution, notamment pour la cimenterie, » précise Reemt Bernert, directeur de la communication du groupe.

Un recyclage ? Pas vraiment. C’est plutôt une valorisation énergétique, dernière étape avant destruction. En contactant H&M, la marque admet que certains vêtements « contaminés ou endommagés pendant le transport » peuvent finir incinérés. Pour H&M, le parcours de notre short en bon état serait donc une anomalie. La marque précise aussi que brûler des vêtements au lieu de les recycler est coûteux et qu’elle n’a donc aucun intérêt à le faire. Mais notre expérience met en lumière les limites du recyclage textile.

« La chimère du recyclage que l’on vous vend par de grandes campagnes, c’est du vent, » affirme Franck Kerkhof, directeur adjoint de Ressources, la Fédération des entreprises sociales et circulaires.

« Aujourd’hui, à peine 0,3 % de ce qui est mis sur le marché est constitué de textile recyclé. Ce n’est pas l’économie sociale qui le dit, mais la Fondation H&M, qui a mené une étude avec des experts de la filière. Cela signifie que 99,7 % provient de matière vierge. Donc la chimère du recyclage que l’on vous vend au travers de grandes campagnes, c’est du vent. Actuellement, l’industrie du recyclage existe, mais elle est encore naissante. »

De son côté, H&M soutient qu’en 2024, 65 % des vêtements collectés ont été revendus, 25 % recyclés et 10 % détruits.

Notre enquête a suivi vingt vêtements. Vingt histoires différentes. Mais un constat unique : la chaine est saturée. Les trieurs débordent, les grossistes éprouvent des difficultés à vendre, et les marques continuent de produire.

Tant que la production explose et que le recyclage ne décolle pas, nos textiles deviendront de plus en plus fréquemment des déchets dont quelqu’un devra payer le prix.

L’avis de Philippe Colignon, consultant en économie circulaire

Que pensez-vous des résultats de notre enquête ?

« Ce qui frappe, c’est, au départ de seulement 20 vêtements, la grande diversité des filières, le nombre et la nature des acteurs. Je retiens que le marché textile/habillement est saturé, au point que certains articles n’arriveront jamais en boutique et encore moins entre les mains des consommateurs. »

Un vêtement en bon état qui finit brûlé dans une cimenterie, c’est problématique ?

« Face à la masse à traiter et à la faible valeur de la majorité des vêtements, le tri doit s’effectuer rapidement, très rapidement. Des erreurs de jugement et des vêtements jetés dans le mauvais bac, c’est non seulement possible, mais inévitable. Pour le reste, les collecteurs et trieurs gèrent du mieux qu’ils peuvent, essayant de diriger les vêtements vers les filières de traitement les moins impactantes pour l’environnement. Cependant, les options sont limitées. En l’absence de capacité suffisante pour le recyclage textiles, l’exportation sur la base d’un tri rigoureux reste l’option principale pour éviter l’incinération. »

Quelles sont les solutions à court et moyen terme ?

« L’Europe met en place une série de mesures contraignantes qui devraient contribuer à améliorer la situation dans son ensemble. Elles sont importantes et réellement attendues. Il est urgent d’agir à la source en réduisant le volume, mais gérer le flot actuel de textiles mis au rebut est une priorité absolue. Avec plus de 5 millions de tonnes de déchets textiles par an en Europe, le défi est considérable. »