Conclave budgétaire : six questions sur Belfius et sa privatisation partielle
L’État s’oriente vers une privatisation partielle de Belfius et non vers une privatisation totale, avec un placement privé de 20% à 25% du capital. En 2024, Belfius a un bénéfice net de 1,127 milliard d’euros et des fonds propres estimés à 12,2 milliards d’euros, ce qui permet d’évaluer sa valorisation totale autour de 10 milliards d’euros.

1. Pourquoi l’État veut-il privatiser Belfius ?
Pour saisir les motivations derrière la privatisation partielle de Belfius, il est essentiel de revenir sur l’historique de la banque, particulièrement lors de la crise financière. En 2011, face à l’effondrement de plusieurs établissements bancaires, l’État acquiert Dexia pour 4 milliards d’euros afin de protéger la banque et les épargnants. Dexia est alors dissociée en deux entités distinctes, l’une étant Belfius, mise sur des bases solides. La seconde, connue sous le nom de Dexia Asset Management, regroupe tous les produits problématiques de l’ancienne Dexia Banque Belgique.
Avec le temps, le secteur bancaire s’est redressé et selon Roland Gillet, professeur d’économie financière à la Sorbonne Université Paris1 et conseiller auprès d’institutions publiques et privées, « plutôt que de vendre Belfius, l’État demande une contribution, un dividende, à la banque. Il s’agit pour partie également d’une compensation par rapport au sauvetage lui-même ».
Quatorze ans plus tard, le paysage économique et financier a évolué et Belfius a su s’imposer en tant que bancassureur robuste. Avec les finances publiques en difficulté, la question de la privatisation partielle est d’actualité.
Pour Mikael Petitjean, professeur à la Louvain School of Management, « après avoir nationalisé la banque pour la sauver de la faillite de Dexia en 2011, l’État considère que sa mission de sauvetage est accomplie. Belfius est devenue une banque rentable. La vente d’une partie de ses parts permettrait de récolter les fruits de cet investissement forcé et de financer d’autres priorités. » Le récent choix d’allouer un dividende exceptionnel au budget de la Défense illustre ce raisonnement. « Il ne s’agit plus de sauver une banque en difficulté, mais de valoriser un actif de l’État ».
Le contexte budgétaire actuel justifie la privatisation envisagée mais soulève aussi une question : l’État doit-il être propriétaire à 100% d’une banque ? Roland Gillet évoque : « qu’il y a, outre la BCE, des régulateurs nationaux qui surveillent le secteur bancaire, dont Belfius. N’y a-t-il pas un risque de conflit d’intérêts surtout que l’État en est actionnaire à 100% ? ».
La privatisation partielle de Belfius aujourd’hui se comprend à la lumière de la crise financière de 2008 et du sauvetage qui a suivi.
Par le passé, l’État a aussi participé au sauvetage de Fortis, entrant dans le capital de BNP Paribas Fortis à hauteur de 5,1%, « ce qui représenterait actuellement 4,5 milliards d’euros ». Cette valorisation est « proche de la moitié de la valeur de Belfius », selon Mikael Petitjean. Cette participation est gérée par la Société Fédérale de Participations et d’Investissement (SFPI).
2. Quelle est la privatisation envisagée pour Belfius ?
L’État envisage une privatisation partielle de Belfius plutôt qu’une privatisation totale. L’option mise en avant n’est pas une entrée en Bourse (IPO) mais une vente privée d’une fraction des actions.
Ce n’est pas la première fois qu’une telle privatisation est discutée. Une introduction en Bourse avait été prévue en 2018, mais le projet a été rapidement abandonné en raison de conditions jugées défavorables, l’État ayant préféré continuer à percevoir des dividendes plutôt que de se retirer du capital de Belfius à ce moment-là.
Actuellement, « le scénario sur la table est un placement privé, c’est-à-dire la vente d’un bloc d’actions – probablement entre 20% et 25% du capital – à un ou plusieurs investisseurs institutionnels de long terme. Il pourrait s’agir de fonds de pension, de compagnies d’assurance ou d’autres acteurs financiers stables. L’objectif est d’assurer la stabilité de l’actionnariat tout en permettant à l’État de rester l’actionnaire majoritaire et de conserver le contrôle stratégique de la banque« , précise Mikael Petitjean, professeur à l’UCLouvain.
3. Que rapportera la privatisation partielle de Belfius à l’État ?
Avec un bénéfice net prévu de 1,127 milliard d’euros en 2024 et des fonds propres estimés à 12,2 milliards d’euros, la valorisation totale de Belfius pourrait s’établir autour de 10 milliards d’euros, selon Mikael Petitjean. « La vente d’une participation de 20% à 25% pourrait rapporter à l’État belge entre 2 et 2,5 milliards d’euros. Le montant final dépendra bien sûr de la valorisation exacte négociée avec les investisseurs lors de la transaction« .
Belfius constitue déjà une source de revenus significative pour l’État à travers les dividendes versés chaque année, qui s’élevaient à 444 millions d’euros en 2024. Par ailleurs, cette année, Belfius versera un dividende exceptionnel de 250 millions d’euros ainsi qu’une avance de 250 millions d’euros. Ce montant supplémentaire, totalisant un demi-milliard, est destiné à renforcer le budget de la Défense.
Le bénéfice que l’État tirera de la privatisation dépendra non seulement de la valorisation de Belfius mais aussi de l’identité du repreneur et de ses intentions. Plusieurs scénarios sont envisageables : le repreneur pourrait vouloir acquérir entre 20 et 30% de Belfius, sans plus, ou envisager davantage à moyen terme, comme contrôler la banque belge et intégrer ses activités dans les siennes.
« Certains pourraient se contenter de 25 à 30%. Mais s’ils savent que ce sera 25 à 30% sans possibilité d’avoir une réelle minorité de blocage, ou d’espérer un jour un contrôle plus important, ou d’être bien plus décisionnels dans la conduite de la stratégie de Belfius, je pense qu’ils payeront moins cher, bien sûr« , prévient Roland Gillet.
Plusieurs acquéreurs potentiels pourraient manifester de l’intérêt, notamment des fonds de pension étrangers ou même des acteurs belges tels qu’AB InBev ou Ackermans & van Haaren.
4. Quel risque financier l’État prend-il avec la privatisation ?
En cédant une partie de Belfius, l’État cessera de percevoir le dividende qu’il touche actuellement, ce qui nuira à ses futurs revenus. Depuis 2012, Belfius a rapporté 4 milliards d’euros en dividendes à l’État, équivalents au coût de son sauvetage en 2011.
Mikael Petitjean souligne un autre risque, plus politique que financier, à savoir une perte partielle d’influence sur la stratégie de la banque. Même en restant majoritaire, l’État devra composer avec les intérêts des nouveaux actionnaires privés, qui pourraient exiger des niveaux de rentabilité plus élevés.
La vente d’une partie de Belfius au secteur privé pourrait donc renforcer la logique de marché, ce que Marek Hudon, professeur à la Solvay Brussels School of Economics and Management de l’ULB, suggère : « À court terme et à moyen terme, on ancre l’entreprise dans une finalité qui est plus celle d’une banque privée traditionnelle, alors qu’historiquement, Belfius est la banque des communes ».
« Aujourd’hui, dans les faits, c’est beaucoup moins le cas qu’avant mais, avec une privatisation partielle, on fait un pas de plus vers une logique de marché et on s’éloigne des missions de service à la communauté qu’il va falloir défendre dans les négociations avec l’investisseur privé« , ajoute-t-il.
Pour le professeur à l’UCLouvain, « dans tous les cas, quels que soient les risques liés à la privatisation, il ne faut certainement pas attendre la prochaine crise bancaire pour vendre les participations de l’État au rabais ».
5. Quel sera l’impact pour les clients de Belfius ?
Les experts s’accordent à dire que l’impact d’une privatisation partielle sera très limité, voire inexistant pour les clients à court terme. La stratégie de la banque est établie et il est peu probable que les nouveaux actionnaires choisissent de la modifier. Avec un actionnariat où l’État garde 70%, « Je vois mal comment quelqu’un de minoritaire va venir modifier significativement la stratégie de la banque, analyse Roland Gillet.
En revanche, si cette privatisation partielle de 20 à 30% n’est qu’un préambule à une prise de participation plus large, cela pourrait alors affecter les clients à moyen ou long terme. Toutefois, ce n’est pas le scénario actuellement envisagé.
6. La crise financière de 2008 est-elle oubliée ?
La crise financière a été un choc qui a remodelé le secteur bancaire tel qu’il est aujourd’hui. Des leçons ont été tirées et le secteur est désormais plus robuste qu’en 2011. D’importantes réformes ont été mises en œuvre au niveau européen et mondial. Des ratios de solvabilité et un encadrement strict sont maintenant imposés aux banques. Roland Gillet déclare que « le risque zéro n’existe pas, mais la majorité des banques sont dans un bien meilleur état en matière de couverture et de gestion de risques qu’elles ne l’étaient lors de la crise de 2008 ».
« Les banques doivent maintenant maintenir des niveaux de capitaux propres et de liquidités beaucoup plus élevés pour encaisser les chocs. La supervision de la Banque Centrale Européenne (BCE) est également beaucoup plus stricte. Que Belfius puisse verser près d’un milliard d’euros de dividendes en un an sans compromettre sa solidité est un signe de cette nouvelle réalité », ajoute Mikael Petitjean.
Cependant, tout n’est pas réglé, selon l’économiste de la Louvain School of Management de l’UCLouvain : « Il reste encore des ‘traces’ bien visibles de la débâcle de Dexia, notamment les garanties d’État belges, gérées par la structure de défaisance (Dexia Asset Management, NDLR). À la fin de 2023, l’exposition effective de la Belgique — c’est-à-dire le montant garanti réellement engagé — était d’environ 19 milliards d’euros. Ce chiffre correspond aux flux futurs de capital et d’intérêts que Dexia doit encore payer aux investisseurs sous la garantie de l’État. Ces obligations demeurent non apurées tant qu’elles ne sont pas arrivées à échéance et correctement remboursées. »

