Mes Humeurs : Une passion pour la cuisine à découvrir
Le phénomène des écoles et instituts privés de cuisine et de pâtisserie se développe en Tunisie, où ces établissements acceptent des étudiants souvent sans baccalauréat et garantissent des diplômes à la fin des études. En 2003, Bernard Loiseau, un chef renommé ayant décroché trois étoiles du guide Michelin, se suicide à l’âge de 52 ans suite à des rumeurs de perte d’étoile.
La Presse — En se basant sur l’œuvre d’Erri de Luca (Récits de saveurs familières), l’Humeur de samedi dernier a abordé la cuisine et ses spécificités, en faisant un bref survol de l’alimentation tunisienne. La cuisine tunisienne est en pleine expansion, avec une multiplication des écoles et instituts privés de cuisine et de pâtisserie qui apparaissent partout, tant dans la capitale que dans les régions.
Ces instituts acceptent des étudiants sans baccalauréat, souvent sans un solide bagage scolaire. À la fin de leur formation, des diplômes sont délivrés, ce qui donne l’impression que le secteur est prometteur et que les débouchés sont encourageants. Cependant, la situation est loin d’être aussi favorable qu’elle y paraît. Pour de nombreux diplômés, la réalité est difficile et d’autres se retrouvent souvent dans des stages dans des hôtels avec des promesses d’embauche peu concrètes.
Les meilleurs élèves trouvent du travail, mais la plupart des diplômés sont sous-exploités, voire au chômage, à la recherche de n’importe quelle offre, même si elle ne correspond pas à leur spécialité. Certains jeunes, encouragés par leurs parents, ouvrent de modestes restaurants ou des échoppes de street-food qui connaissent un certain succès. D’autres travaillent dans des restaurants urbains où ils apprennent le métier.
Peut-on trouver des passionnés parmi ces diplômés ? Après plusieurs rencontres avec des jeunes chefs, il semble que les passionnés soient rares. De nombreux gourmets expriment plus de critiques que de satisfaction à l’égard de la cuisine des nouveaux restaurants (tous ne sont pas concernés, bien sûr) et préfèrent retourner vers des établissements de longue date dont la carte n’a pas changé depuis des décennies.
Certains chefs ont gagné en notoriété grâce à la télévision ; les chaînes tunisiennes diffusent des émissions culinaires en grande quantité et sans relâche, avant, pendant et après les repas. Les formats sont souvent similaires : un plan de cuisine, un frigo, du matériel neuf, un décor avec des ustensiles, un chef accompagné de son assistant, et le tour est joué.
Chaque chapitre et chaque recette sont souvent interrompus par un ingrédient familier, à savoir une publicité, au point de devenir indigeste. Pire encore : dans les préparations, on découvre, avec regret, des chefs (pas tous) qui masquent le goût des produits avec trop de crème, abuser du gras et du sucré (pour les gâteaux). Il n’y a aucune indication concernant les risques du gras et du sel pour la santé, ni d’encouragement à être actif physiquement.
La majorité des chefs ayant réussi travaillent dans des hôtels de luxe, où ils sont bien rémunérés et engagés pour animer des stands à l’étranger. Certains manifestent une attitude hautaine, refusent la critique et se considèrent comme des « dieux » de la cuisine. Pourtant, ces « dieux » n’ont pas investi dans leurs propres restaurants ; ils opèrent dans des chaînes d’hôtels, n’osent pas prendre de risques et ne développent pas de projets.
On se rappelle le destin tragique d’un passionné de cuisine, l’un des plus grands chefs au monde : Bernard Loiseau. Jeune, il a gravi les échelons pour devenir une figure emblématique de la gastronomie française et internationale, tout en faisant preuve d’une grande modestie. Il a ouvert son restaurant La Côte d’Or en Bourgogne à grand frais.
Les personnalités politiques, les célébrités du show-business et d’autres notables y avaient leurs places réservées. Grâce à son labeur acharné, sa rigueur et sa créativité, il a obtenu la première, la deuxième et la troisième étoile du guide Michelin, la plus haute distinction en cuisine. En 2003, des rumeurs ont circulé sur une éventuelle perte d’une étoile ; le chef, adoré par la critique, ses pairs et le grand public, s’est suicidé à l’âge de 52 ans. Chez lui, tout révélait son amour pour son art. Ce passionné de cuisine en a fait un véritable sacerdoce.

