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Maroc : la « GenZ 212 » s’oppose à corruption et inégalités

Au Maroc, après deux nuits d’émeutes violentes, la situation semble s’être apaisée et « les jeunes ne sont plus arrêtés par dizaines, voire par centaines, car les manifestations sont autorisées », selon Seddik Khalfi. Le mouvement GenZ 212, qui tire son nom de l’indicatif téléphonique du Maroc, s’organise numériquement sur Discord, un réseau social connu des fans de jeux vidéo.


Au Maroc, les manifestations récentes ont fortement marqué les esprits. Après deux nuits d’émeutes violentes, notamment près d’Agadir où plusieurs personnes ont perdu la vie lors d’un assaut contre une gendarmerie, la situation semble calmer. « Les jeunes ne sont plus arrêtés par dizaines, voire par centaines, car les manifestations sont autorisées », précise Seddik Khalfi, correspondant à Casablanca.

Le mouvement GenZ 212, qui tire son nom de l’indicatif téléphonique du Maroc, s’organise sur des plateformes numériques. « Tout s’organise sur Discord, ce réseau social anonyme très connu des fans de jeux vidéo ».

### Le drame d’Agadir, point de départ d’une colère nationale

Le déclencheur du mouvement a été un drame survenu dans un hôpital à Agadir : huit femmes y sont décédées en couches lors d’une césarienne. Cet événement, selon Seddik Khalfi, a agi comme un électrochoc. « Ça a été un révélateur de l’état du système de santé », confie-t-il. « Aujourd’hui, aller aux urgences, c’est parfois devoir glisser un billet à un agent de sécurité, dont on ne connaît même pas la formation, juste pour être pris en charge ».

Cette tragédie a mis en lumière les défaillances structurelles du système de santé marocain, tout en suscitant des revendications plus larges : accès à l’éducation, lutte contre la corruption, salaires dignes, et droit au travail. « Ce sont des revendications qui traversent les générations. Elles reviennent presque tous les dix ans. La nouveauté, c’est que cette génération refuse d’attendre. Elle ne veut pas attendre dix ou vingt ans pour voir la fin de la corruption dans les hôpitaux », explique le journaliste. Les jeunes Marocains disent ne plus croire aux promesses politiques, et pour beaucoup, la patience des générations précédentes est devenue un luxe.

Malgré les progrès remarquables du Maroc, avec le développement d’infrastructures, d’autoroutes, de TGV, de grands stades et de projets économiques ambitieux, ces réalisations ne suffisent plus à apaiser la frustration d’une jeunesse souvent diplômée mais au chômage.

### Un Maroc à deux vitesses

Dans les grandes villes du nord, certains Marocains constatent une amélioration notable de la qualité de vie. « On parle de villes devenues charmantes, vivables. Mais le contraste est frappant avec d’autres régions, où la misère et la corruption minent le quotidien », commente notre correspondant.

Ce Maroc à deux vitesses cristallise aujourd’hui la colère. « Même le roi l’a reconnu à plusieurs reprises dans ses discours. Il a toujours dit qu’il ne faut pas laisser des Marocains au bord de la route ». Si le roi n’est pas remis en cause par le mouvement GenZ 212, c’est le Premier ministre Aziz Akhannouch, en poste depuis 2021, qui concentre les critiques. « C’est lui qui est visé parce qu’il est le chef du gouvernement, mais aussi parce qu’il est là depuis longtemps. Il a été ministre de l’Agriculture depuis 2007, bénéficiant de la confiance royale ». Ce milliardaire, propriétaire de stations-service et d’enseignes de grande distribution, est classé 50e puissance africaine, une situation qui attise la colère des jeunes. « Quand ils voient qu’en un an, 40 hôpitaux privés ont été construits et équipés, alors que des hôpitaux publics, comme celui de Tétouan ou celui d’Agadir, restent fermés et attendent une mise en service, ils se disent que quelque chose ne va pas ».

### Les femmes en première ligne

Le mouvement GenZ 212 se distingue également par la forte participation des jeunes femmes. « Elles sont présentes, souvent aux premières lignes ». Leur mobilisation s’inscrit dans une continuité : la lutte pour la dignité, la justice et les droits fondamentaux. « Les premières manifestations étaient pacifiques. Ces jeunes n’avaient certes pas d’autorisation de manifester mais exercé simplement leur droit constitutionnel à la liberté d’expression ».

Les premières arrestations ont déclenché une réaction inattendue : « Ils ont pris la répression à la rigolade, ils faisaient des selfies dans les estafettes de police en route vers le commissariat ». Face à cette génération désinhibée, la réaction gouvernementale a changé. Après deux nuits d’émeutes, les autorités ont finalement autorisé les rassemblements : « Le gouvernement d’Aziz Akhannouch se dit aujourd’hui solidaire des revendications de la jeunesse », indique Seddik Khalfi.

### Le roi, garant de la stabilité

Malgré la tension, un consensus demeure : le respect du souverain. « Tout le monde aime Sa Majesté le roi Mohammed VI ici au Maroc. Ce n’est pas lui qui est remis en question ».

Il reste à voir quelle sera la suite. Constitutionnellement, une destitution du gouvernement est possible. L’attente est forte, et le discours royal attendu pourrait marquer un tournant.