Pourquoi la Belgique ne abat-elle pas les drones suspects ?
La Belgique a des difficultés à identifier rapidement l’origine des drones en raison de leur faible signature radar et des modifications souvent dissimulées. Le ministre Theo Francken a annoncé qu’il travaille à « investir dans des systèmes de détection et renforcer nos capacités de lutte anti-drones pour pouvoir éliminer ces appareils si besoin ».
Pourquoi est-il si compliqué d’identifier les responsables de l’envoi de drones ? Pourquoi ces appareils ne sont-ils pas interceptés, voire abattus ? La Belgique dispose-t-elle des moyens nécessaires pour se défendre ?
Ces interrogations ont été formulées par un grand nombre de personnes.
Pour y répondre, nous avons sollicité Alain De Neve, expert au Centre d’études de sécurité et de défense.
Une identité difficile à établir
Les difficultés des autorités à identifier rapidement ceux qui envoient ces drones sont multiples. « Souvent, les drones utilisés sont des modèles disponibles dans le commerce, montés avec des composants (GPS, autopilotes, systèmes radios… note de la rédaction) achetables et modifiables facilement. De plus, ces modifications sont souvent cachées« , explique l’expert. Ainsi, « même si nous retrouvons des éléments de drones sur le terrain, nous ne pouvons pas toujours identifier clairement leur provenance ni ceux qui les ont effectivement utilisés.«
Ces drones arrivent effectivement quelque part, mais certains laissent peu de traces. Pour les détecter, il est nécessaire d’associer l’identification visuelle à une éventuelle identification acoustique. Or, « la Belgique, comme d’autres pays, n’est pas suffisamment équipée« , constate Alain De Neve. « Les drones émettent peu de signaux radar. Ils se déplacent lentement et à basse altitude, souvent presque au niveau du sol… Ainsi, les radars traditionnels, chargés de la sécurité aérienne ou de la détection de cibles plus volumineuses – telles que les missiles balistiques, les missiles de croisière ou les avions – ne les repèrent pas.«
De plus, le pilote du drone opère à distance et peut utiliser une liaison cryptée, souvent de faible puissance. « Il est également possible de changer la fréquence utilisée pour faire fonctionner le drone. Tous ces éléments compliquent l’identification et l’attribution, même pour des pays ayant des capacités de détection avancées, en particulier concernant l’espace aérien.«
Abattre des drones : impensable ?
Lorsqu’on constate que des drones pénètrent notre espace aérien sans autorisation, envisager leur abattage ne pourrait-il pas être une solution ?
« Abattre un drone serait contre-productif« , déclare Alain De Neve. « Même si nous parvenons à les détecter à l’avance, il faudrait encore déterminer si ces appareils transportent une charge explosive ou biologique. Dans ce dernier cas, il faudrait identifier une zone au-dessus de laquelle on pourrait les détruire, afin d’éviter que les débris ne tombent sur des habitations ou sur des personnes.«
De plus, « Comment abattrions-nous ces drones ? Un missile air-air (un missile tiré depuis un aéronef pour détruire une cible aérienne, note de la rédaction) serait inapproprié, compte tenu de la différence d’altitude entre le drone et le missile air-air. Même si un drone volait à une altitude adéquate pour un tel missile, utiliser un appareil.Valant plusieurs centaines de milliers d’euros pour abattre un engin valant à peine 1000 euros n’est pas viable à long terme.«
La neutralisation privilégiée
En lieu et place, « l’objectif est de privilégier la neutralisation douce, c’est-à-dire prendre le contrôle du drone par des techniques de brouillage. » Dans ce cas, que le drone fonctionne seul ou en essaim, il pourrait atterrir à l’endroit choisi par nos forces, qui tenteront ensuite de remonter la filière de ceux ayant mis en œuvre le drone autour de sites sensibles.
Cependant, les autorités font face à un autre défi : la complexité institutionnelle. « Il faudra adapter la chaîne de commandement« , indique Alain De Neve. « Des procédures existent pour la gestion des menaces de missiles de croisière ou balistiques à des délais très courts. Il en existe également pour les menaces classiques, comme un avion de chasse entrant dans notre espace aérien sans autorisation. Dans ce dernier cas, si nous ne pouvons pas communiquer avec l’avion, l’Otan dispose de dispositifs permettant d’identifier en quelques secondes ou minutes quels avions de chasse doivent décoller de l’une des 32 bases aériennes d’Europe, avec un objectif d’interception en quinze minutes.«
Cependant, pour les drones, la situation est différente car la détection et la neutralisation peuvent impliquer aussi des acteurs civils, tels que ceux relevant du ministère de l’Intérieur ou de la police fédérale. Il est donc essentiel de définir clairement les chaînes de commandement.
Déployer les efforts et s’inspirer de l’Ukraine
L’Ukraine est l’un des très rares pays européens à concevoir des drones anti-drones, offrant une solution beaucoup plus économique par rapport aux missiles ou avions de chasse. « Les forces ukrainiennes sont organizées pour faire face à cette menace, ce qui n’est pas notre cas. Grâce à cette expertise, l’Europe a ouvert un bureau qui accueille des rencontres entre officiers, ingénieurs et combattants de retour du front ayant mis en œuvre diverses techniques, comme des détecteurs acoustiques, pour contrer les assaillants. Cela nous permettra d’orienter nos équipes et bureaux d’études vers les meilleures stratégies à adopter ou développer, » conclut-il.
Suite à l’intrusion de drones dans l’espace aérien belge, le ministre Theo Francken a rappelé son engagement à « investir dans des systèmes de détection et à renforcer nos capacités de lutte anti-drones afin d’éliminer ces appareils si nécessaire« .

