Bangladesh : la grande peur des serpents revient dans les villages
Au Bangladesh, Sree Ananda Mondol a été mordu à la cheville par un serpent alors qu’il rassemblait des pieds de riz, et a passé trois jours en soins intensifs à l’hôpital du district. Depuis le début de l’année, 25 morts par morsures de serpents ont été comptées à l’hôpital universitaire de Rajshahi, avec plus d’un millier de patients traités, dont 206 mordus par des serpents venimeux.
Cachés parmi les plantations, serpentant dans les rues ou enroulés sur les lits, ils sont omniprésents. Avec l’arrivée de la mousson estivale, les serpents font leur retour en grand nombre dans les villages du Bangladesh, accompagnés de morsures… et d’angoisse.
Dans le village de Rajshani, situé au nord et bordé par le fleuve Padma, Sree Ananda Mondol, 35 ans, a lui aussi été victime de cette situation. Ses souvenirs lui provoquent encore des frissons. « Je rassemblais des pieds de riz quand un serpent a surgi du tas et m’a mordu à la cheville », raconte-t-il. « J’ai trébuché, je ne pouvais plus ni parler ni bouger. J’ai vomi, mes intestins ont lâché et j’avais de la salive qui sortait de la bouche. » Rapidement transporté à l’hôpital du district, il a passé trois jours en soins intensifs avant de retrouver son domicile.
Ces dernières semaines, les incidents, parfois fatals, se multiplient dans la région, située à plus d’une centaine de kilomètres au nord-ouest de la capitale Dacca. Les experts attribuent cette augmentation des morsures à une combinaison de fortes pluies, de changements dans les pratiques agricoles et d’urbanisation.
« On en trouve jusque dans nos lits », témoigne Rezina Begum, une habitante d’un village voisin, tout en lavant son linge dans le fleuve. « J’ai le cœur qui s’affole quand je marche le long des champs », renchérit Mohammad Bablu, 56 ans. « Rien qu’hier, ils en ont tué sept. » Les brûlis des rizières fournissent un refuge à de nombreuses espèces de serpents, notamment lorsque la mousson entraîne une montée des eaux.
Au sein de l’hôpital universitaire de Rajshahi, le Pr. Abu Shahin Mohammed Mahbubur Rahman dénombre 25 morts dus à des morsures depuis le début de l’année. « Nous avons également traité plus d’un millier de patients cette année », précise-t-il, « dont 206 ont été mordus par des serpents venimeux tels que les cobras, bongares ou vipères. » En 2024, les autorités sanitaires avaient enregistré 118 décès dus à des morsures de serpent à l’échelle du pays, un chiffre record. Cette année, 84 décès ont déjà été recensés.
La résurgence de la vipère de Russell suscite une inquiétude particulière. Longtemps considérée comme disparue, cette espèce est réapparue en 2013, infligeant de plus en plus de victimes. « Ce sont d’excellentes nageuses, capables de flotter sur les jacinthes d’eau et de se déplacer très aisément », explique le zoologiste Farid Ahsan, de l’université de Chittagong.
Cette multiplication est principalement liée aux fortes précipitations, constatent les experts. Entre mai et septembre, la région de Rajshahi a enregistré 1.409 mm de pluie, bien au-delà des 1.175 mm d’une saison normale. Le déséquilibre des écosystèmes favorise également la prolifération des reptiles. « Leur habitat est détruit, ils vivent désormais à proximité des humains », note l’expert Gowhar Naim Wara. La hausse de la production agricole – le Bangladesh connaissant désormais trois récoltes de riz par an – a également entraîné une augmentation des rongeurs dont se nourrissent les serpents, souligne Farid Ahsan.
Cette hausse des morsures a d’ores et déjà conduit les hôpitaux à renforcer de manière urgente leurs stocks de sérums anti-venin. « Nous avons suffisamment de doses pour les trois prochaines semaines, et nous avons passé commande auprès de l’Inde », déclare Md Sayedur Rahman, responsable du ministère de la Santé et de la Famille. Les autorités travaillent également sur le développement d’un sérum adapté au venin des vipères de Russell, mais celui-ci ne sera pas disponible avant trois ans.
En attendant, les villageois cherchent à réduire les risques de morsures par la prévention. Ils ne se déplacent plus qu’avec des bâtons, en portant des pantalons et des bottes. Une précaution insuffisante pour apaiser leurs craintes. « N’importe lequel d’entre nous peut se faire mordre », répète Mohammad Bablu, « et cette idée nous hante. »

