Assises de l’IA : « Pas de quoi être fiers du chemin »
Jérôme Henique, CEO d’Orange, a déclaré : « On n’a pas toujours besoin de l’IA pour avoir une réponse. » Selon le rapport du Shift Project publié le 1er octobre, la consommation électrique des data centers pourrait atteindre 1.250 à 1.500 TWh en 2030, contre 530 en 2023.

« On n’a pas toujours besoin de l’IA pour avoir une réponse. » Cette déclaration surprenante, faite par Jérôme Henique, PDG d’Orange, lors d’une table ronde sur l’intelligence artificielle en tant que révolution économique, aurait pu être interprétée comme une provocation. Toutefois, derrière ces mots se cache une volonté de nuancer un sujet particulièrement sensible ces derniers mois, voire ces dernières années : l’empreinte carbone liée à l’usage des technologies d’intelligence artificielle, très consommatrices d’énergie. « Pour chaque requête de nos salariés, on affiche, dans notre entreprise, son coût carbone », précise le directeur exécutif.
Les premières assises nationales de l’IA se sont tenues à Caen ce jeudi, réunissant près de 600 décideurs, chercheurs, experts et élus. L’événement a mis l’accent sur les solutions offertes par les programmes et algorithmes développés, notamment dans les domaines médical, financier et des services publics. Cependant, au fil des échanges, les discussions ont rapidement porté sur le coût écologique et l’impact environnemental actuel et futur des data centers, essentiels à la pérennité de l’IA.
Encore de nombreuses zones d’ombre
« Nous sommes clairement face à une technologie qui va changer notre manière de travailler. Et je pense qu’il faut simplement l’accepter. » La chercheuse spécialiste de l’IA, Anne Bouverot, porte-parole du président de la République, a pris la parole pour reconnaître que l’utilisation de l’intelligence artificielle comporte de nombreuses incertitudes. « C’est un domaine dans lequel personne n’a encore toutes les réponses », a-t-elle admis, alors qu’elle avait précédemment décrit l’IA comme une « révolution économique » propice à une plus grande productivité.
Ses propos diffèrent de ceux tenus en février dernier lors du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle à Paris. À cette occasion, l’envoyée spéciale d’Emmanuel Macron avait annoncé la création d’une coalition pour une IA durable et avait exprimé le désir de « réconcilier la transition numérique avec la transition écologique ».
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« On n’a pas de quoi être fiers »
Ensuite, le mathématicien et ancien député Cédric Villani n’a pas hésité à critiquer les usages de l’IA lors d’un échange un peu animé. « Aujourd’hui, on n’a pas de quoi être fiers du chemin qu’on est en train de prendre avec l’IA, par rapport à l’environnement. En termes d’écologie, c’est encore pire que ce qu’on pouvait craindre en 2018 », a-t-il déclaré, faisant référence à son rapport sur l’intelligence artificielle rendu en mars de cette année-là, alors qu’il était député.
Le lauréat de la médaille Fields a notamment pointé du doigt la consommation énergétique des data centers et les risques de conflits liés à cette énergie limitée. « C’est une nouvelle calamiteuse pour l’environnement et l’écologie en général », a-t-il répété à plusieurs reprises. Il a également exprimé son inquiétude concernant les usages à long terme des systèmes d’intelligence artificielle. « L’énergie, on va se la disputer pour savoir qui a droit à sa part du gâteau », a-t-il averti.
Vers une « explosion » de la consommation
Quelques jours avant la publication du dernier rapport du Shift Project, qui alertait sur la place de l’intelligence artificielle dans un monde décarboné, la question écologique ne pouvait être écartée des débats. Le think tank de Jean-Marc Jancovici a également été invité à discuter de cette problématique des besoins énergétiques de l’IA. « Les tendances actuelles d’usage nous mènent vraiment vers une explosion en matière de consommation d’énergie. Ce qui nous éloigne de nos ambitions et objectifs climatiques », a averti Alexandre Theve, directeur R & D au Shift Project et coauteur du rapport.
Dans un monde aux ressources limitées et dans un secteur contraint à décarboner, le représentant du think tank a mis en garde contre les futurs « conflits d’usage », reprenant ainsi les propos de Cédric Villani : « Il faudra arbitrer sur l’utilisation que l’on fera de l’énergie dont on dispose. »
Une consommation électrique doublée en cinq ans
Selon le rapport du Shift Project publié le 1er octobre, la consommation électrique des data centers pourrait atteindre entre 1.250 et 1.500 TWh d’ici 2030, contre 530 en 2023, soit plus du double. Cette augmentation significative est en grande partie due à l’utilisation croissante des programmes d’intelligence artificielle.
Actuellement, bien que la consommation des data centers ne représente « que » 15 % de la consommation électrique mondiale, elle pourrait atteindre entre 35 % et 55 % d’ici cinq ans. En France, plus de 300 data centers sont déjà en activité et génèrent à eux seuls 50 % des 4,4 % que représente le numérique dans l’empreinte carbone du pays, équivalant aux émissions totales du secteur des poids lourds.

