Mamoun Salaje : la résonance intemporelle de Jacques Brel
Mamoun Salaje rend hommage à Jacques Brel le jeudi 9 octobre au «Diwane» de Casablanca, en commémorant la date de son décès survenu en 1978. Lors de ses concerts, il affirme que « chanter Brel, c’est vivre debout » et que son engagement artistique est marqué par une franchise héritée de son père.
Il existe des artistes qui se contentent de chanter et d’autres qui vivent la chanson. Mamoun Salaje fait partie de cette seconde catégorie, rare et exigeante, qui n’escroque jamais l’émotion. Ce jeudi 9 octobre, au «Diwane» de Casablanca, l’artiste marocain rend hommage à Jacques Brel, décédé le même jour en 1978. Une date symbolique, un geste de fidélité, mais surtout un acte d’amour.
Chanteur, comédien, humoriste et animateur, Mamoun Salaje n’a jamais voulu se limiter à un seul rôle. Pour lui, la scène est un espace de vie. Dès son adolescence, il chante dans des colonies de vacances, avant même de réaliser que la musique sera sa véritable maison. Ce n’est qu’après avoir étudié le tourisme et la littérature qu’il se consacre entièrement à sa passion. Entre un piano-bar et une salle de classe, il façonne sa voix et son regard. L’art, pour lui, n’est pas un choix mais une évidence.
Un jour, un ami lui fait écouter Jacques Brel. Nous sommes à la fin des années 70. Brel vient de mourir. Mamoun découvre un homme qui parle de lui, de ses doutes, de ses révoltes, de ses rêves. «Brel m’a offert des réponses», confie-t-il. «À quinze ans, je me posais mille questions. Ses chansons m’ont ouvert les yeux». Cette rencontre devient déterminante. Des années plus tard, il lui consacrera son mémoire de fin d’études, *Le départ chez Jacques Brel*, une réflexion sur l’élan, le mouvement, cette fuite en avant que le chanteur belge érigeait en philosophie.
De Brel, Mamoun retient l’absolue sincérité. Il ne le copie pas, mais l’approfondit. Sur scène, il ne joue pas à être Brel, il l’incarne dans le sens le plus profond du terme. Le corps, le regard, la gestuelle, tout concourt à cette communion entre le texte et l’homme. «On dit que je l’imite, mais je l’interprète», insiste-t-il. «On ne peut pas chanter Brel sans y mettre son âme». Cette intensité, il l’a apprise auprès du maître Tayeb Seddiki dont il fut l’élève. De lui, il conserve l’amour d’une théâtralité subtile, celle qui ne se montre pas mais se ressent.
Pour Mamoun, Brel n’est pas un modèle éloigné, mais un compagnon de route, presque un père. «C’est mon père spirituel», affirme-t-il. Comme Brel, il a quitté l’usine — en l’occurrence la Régie des tabacs — pour suivre son instinct d’artiste. Comme Brel, il a opté pour la précarité plutôt que pour le renoncement. Et comme lui, il a fait de la scène son port d’attache et sa raison d’être.
Cet engagement n’a jamais été sans difficultés. «Dans une administration, l’artiste reste incompris», déplore-t-il. «Je ne sais pas tricher». Il le dit avec calme, sans amertume. Pour lui, la franchise n’est pas une provocation, mais une fidélité à soi-même. Héritée de son père, un policier intègre, cette droiture influence toute sa trajectoire. On comprend alors pourquoi Mamoun évoque la chanson «à texte» avec tant de passion : pour lui, chaque mot est un acte.
Lorsqu’il chante Brel à Bruxelles, au théâtre Léopold Senghor, c’est comme un retour aux sources. Le public belge l’accueille chaleureusement, la RTBF et Radio Al Manar couvrent l’événement. Une maladresse dans l’invitation empêche la veuve et la fille de Brel d’assister à la soirée, mais l’émotion demeure intacte. «Je chante pour lui, pour eux, pour ceux qui ne le connaissent pas encore», déclare Mamoun. Avant chaque concert, il prend quelques instants pour s’isoler, par respect pour ce qu’il va invoquer : une œuvre, une âme, un souffle.
Ce souffle se retrouve également dans son travail d’animateur radio. Dans son émission *Les dinosaures ne sont pas tous morts*, il réveille les grandes voix du passé. Nostalgique, il se revendique des années 70 : une décennie d’idéaux, de musique sincère, de poètes qui croyaient encore en la force des mots. Sa nostalgie n’est pas une fuite, mais plutôt une résistance face à une époque qu’il juge trop bruyante et trop vide.
Quand on aborde les musiques modernes, Mamoun n’hésite pas à exprimer son désaccord. Il déplore que la vulgarité s’apparente désormais à la liberté, que la provocation ait pris le pas sur la poésie. Il critique également la dérive de la chanson populaire marocaine, qu’il trouve caricaturale et dépourvue d’âme. Ce regard sévère provient d’un homme qui continue à croire que l’art doit élever.
Pourtant, derrière la rigueur de son discours, se cache la tendresse du chanteur, celle d’un homme qui continue à croire au pouvoir d’une chanson pour changer une vie. Le 9 octobre, lorsqu’il montera sur la scène du «Diwane», il ne sera pas seul : Jacques Brel sera présent dans chaque note, chaque silence, chaque souffle.
Mamoun Salaje ne cherche pas à faire revivre le grand Jacques. Il prolonge son héritage dans la langue, la passion, et la fidélité à une idée : chanter, c’est vivre debout. Tant qu’il y aura des voix comme la sienne pour le rappeler, Brel ne mourra jamais vraiment.
**Mehdi Ouassat**

