Maroc

Le cuir « Made in Nigeria » ne déçoit pas les grandes maisons de luxe.

La quasi-totalité du cuir nigérian est exportée vers l’Europe et l’Asie, où il est utilisé pour concevoir des articles de luxe, et 90% de la production de cuir du Nigeria est exportée, principalement vers l’Italie et l’Espagne. En 2017, Femi Olayebi a créé le Lagos Leather Fair, un événement annuel réunissant une centaine de professionnels du cuir à Lagos, la capitale économique du Nigeria.


La majorité du cuir nigérian, souvent semi-transformé, est exportée vers l’Europe et l’Asie, où il sert à créer des articles de luxe arborant des marques étrangères. À Lagos, Isi Omiyi fabrique des pièces haut de gamme dans le but de valoriser le savoir-faire nigérian. Dans son appartement, elle a aménagé une boutique où sont présentés sacs, portefeuilles et chaussures en cuir, étiquetés avec des prix allant jusqu’à 1.500 dollars. « Le cuir fait partie de notre héritage. Je ne peux pas rester à observer que d’autres reçoivent tous les mérites d’un travail que nous avons commencé ici », déclare cette créatrice de 56 ans à l’AFP, qui a pour objectif de mettre en avant l’artisanat « Made in Nigeria ». Elle ajoute : « En tant que Nigériane, j’aimerais que les marques étrangères indiquent sur leurs produits +originaire du Nigeria+ et +fabriqué en Italie+ ou +fabriqué en France+ ». D’après le Conseil nigérian de promotion des exportations, le Nigeria exporte 90% de sa production de cuir, principalement vers l’Italie et l’Espagne, qui représentent plus de 71% du volume total. Ces exportations génèrent « environ 600 millions de dollars de revenus par an », explique Oluwole Oyekunle, chercheur à l’Institut nigérian des technologies du cuir et des sciences de Samaru dans l’Etat de Kaduna (nord).

**Kano, berceau des tanneries**
C’est dans l’Etat de Kano, au nord du Nigeria, que les grandes marques de luxe se fournissent, via des intermédiaires qui font le lien entre elles et les tanneurs. La région compte 11 tanneries, dont Ztannery, en activité depuis 2010. Cette entreprise reçoit quotidiennement des dizaines de peaux fraîches de chèvres, moutons et agneaux du Nigeria et de pays voisins. Elles sont triées et traitées en neuf jours. « Nous recevons la matière première et nous la transformons de zéro jusqu’au cuir semi-transformé, ce qui représente 80% du processus complet, » explique son propriétaire, Abbas Hassan Zein, 47 ans, à l’AFP. Ensuite, les intermédiaires expédient les peaux en Europe, où elles sont mises en forme avant d’être vendues à des marques de luxe telles que « Gucci, Ferragamo, Prada, Louis Vuitton, tous les grands noms », indique M. Zein. Dans la tannerie, les employés s’affairent autour des machines qui lavent, traitent et teignent les peaux, habitués au bruit continu, à l’air imprégné d’odeurs âcres et à la chaleur étouffante. Les tanneries modernes comme Ztannery, équipées de machines capables de traiter toutes les étapes du cuir, n’acceptent que des commandes en grande quantité, réglées en dollars ou en euros, ce qui restreint l’accès des designers locaux au cuir nigérian. Beaucoup se tournent alors vers la tannerie traditionnelle de Majema, fondée en 1932 au cœur de Kano, où tout est fait à la main. Là, des dizaines de tanneurs nettoient et teignent les peaux à même le sol, au milieu des déchets plastiques. Ils trempent inlassablement les peaux dans des bassins d’eau et de produits chimiques, en enlevant minutieusement les poils restants. « Nos clients viennent du nord, du sud, et nous exportons aussi vers des pays voisins comme le Niger, le Cameroun, le Tchad, Cotonou (Bénin), ainsi qu’en Europe, » explique Mustapha Umar, 52 ans, un responsable de la tannerie, se tenant devant des peaux de chèvre suspendues sur des fils, qui seront teintes en rouge et jaune le lendemain.

**Structurer la filière**
En 2017, Femi Olayebi, fondatrice de la marque nigériane Femihandbags, a créé le Lagos Leather Fair, un événement annuel réunissant une centaine de professionnels du cuir à Lagos, la capitale économique du Nigeria. « Il manquait une plateforme dédiée aux designers, aux produits et aux fournisseurs de cuir, qui montre que les Nigérians, avec leurs propres moyens, sont capables de créer des articles qui méritent d’être achetés, » confie-t-elle à l’AFP. Des initiatives publiques et privées se multiplient pour structurer la filière dans le pays le plus peuplé du continent. À Kano, des « marques venues d’Inde, de Chine et d’Europe, pas forcément issues du secteur du luxe, manifestent un réel intérêt pour produire ici, » affirme Tijjani Sule Garo, directeur général de GB Tannery, une entreprise familiale qui remonte à trois générations. En août, l’Etat de Lagos a inauguré une usine dans le quartier de Mushin, destinée à produire des articles en cuir et à créer 10.000 emplois, près de l’un des plus grands marchés de cuir du pays. « Il faut de meilleures machines, un meilleur accès à du cuir de qualité nigérian, et surtout, de meilleures formations pour être compétitif notamment dans le luxe face aux géants de l’industrie, » estime Femi Olayebi. Pour David Lawal, 26 ans, responsable marketing de la marque de maroquinerie Morin.O, au-delà de l’aspect commercial, il s’agit de valoriser une identité. De nombreux clients recherchent « une expression intemporelle du patrimoine », racontée à travers des produits en cuir, créés au Nigeria et fabriqués par des Nigérians, confie-t-il.