CBD : Les « bad trips » en hausse, les autorités s’alarment
Nicolas Durand a vécu des effets indésirables après avoir consommé du CBD, pensant se « détendre ». En 2022, 10 % des Français adultes ont déclaré avoir consommé du CBD, selon Santé publique France.

Accélération du rythme cardiaque, oppression dans la poitrine, suivies d’une crise de rire incontrôlable : « Je suis défoncé et au bord de la crise d’angoisse […] J’ai eu peur. » Quatre bouffées ont suffi à Nicolas Durand (prénom modifié) pour « décoller ». Pensant se « détendre » en fumant du CBD, une molécule extraite du cannabis connue pour ses effets relaxants, il a pourtant vécu le contraire.
Les incidents liés à des « bad trips » après consommation de CBD, légalement vendu en France dans environ 2 000 points de vente, y compris des boutiques, bureaux de tabac et sites en ligne, se multiplient, selon les autorités sanitaires, qui font état de plusieurs centaines de cas d’intoxication depuis le début de l’année 2024.
Effets indésirables
En juin, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) ainsi que l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) ont lancé une alerte : certains produits « contiennent d’autres substances, rarement mentionnées sur l’emballage, dont la consommation entraîne une augmentation significative des intoxications ».
Les effets indésirables, parfois graves, sont liés à la présence de cannabinoïdes de synthèse, des molécules qualifiées d’« alternatives », qui peuvent être vaporisées sur des fleurs de CBD ou intégrées dans des produits tels que des gummies, des huiles ou des e-liquides. Créés en laboratoire, ces cannabinoïdes de synthèse imitent les effets psychoactifs du THC, légal dans certains pays mais interdit en France, où sa concentration dans les produits ne doit pas dépasser 0,3 %.
« Lorsque un urgentiste m’a contactée pour parler d’un cas d’intoxication au CBD, je lui ai dit que c’était impossible », se souvient Joëlle Micallef, présidente du réseau français d’addictovigilance à Marseille. La pharmacologue a reçu près d’une centaine de signalements depuis mars 2024. « C’est une dynamique croissante, sachant qu’environ 1 % des cas seulement nous sont rapportés », souligne-t-elle.
« Ces substances sont produites au sein de l’Union européenne, en Espagne, aux Pays-Bas, etc., à partir de précurseurs chimiques importés de Chine ou d’Inde », explique Corinne Cléostrate, directrice des services douaniers. Un jeu du chat et de la souris entre les autorités et les trafiquants, qui tentent de « s’immiscer dans les réseaux de distribution avec une apparence légale », poursuit-elle.
Stupéfiant
En juin 2023, en raison des nombreuses intoxications, l’ANSM a classé un dérivé synthétique du THC, le HHC, comme stupéfiant. Peu après, un substitut, le 10-OH, est apparu. Peu coûteux et plus facile à produire que la cocaïne, les cannabinoïdes de synthèse sont confectionnés par des chimistes pour « contourner la classification des stupéfiants », précise encore Mme Cléostrate, et sont parfois indétectables.
L’EDMB-4en-PINACA a été identifié pour la première fois en mai sur une fleur de CBD dans un laboratoire douanier près de Paris. Cette molécule aux effets psychoactifs puissants est considérée comme le cannabinoïde de synthèse « le plus couramment utilisé par les organisations criminelles », selon la direction des douanes. En raison de sa toxicité, l’Union des professionnels du CBD (UpCBD) a lancé un avertissement à ses membres. « Nous avons envoyé plus de 1 000 tests à presque toutes les boutiques en France », déclare Paul MacLean, président de l’UpCBD, qui prône le « bien-être et la détente ». Selon lui, les cannabinoïdes de synthèse nuisent à l’activité commerciale.
Légal ou illégal ?
Le flou juridique autour de la réglementation des produits au CBD génère de la confusion parmi les professionnels. En l’absence d’évaluation européenne, les aliments contenant du CBD sont disponibles sur le marché français, bien qu’ils soient interdits car n’ayant pas obtenu d’autorisation préalable.
« De nombreux professionnels sont un peu perdus et ne savent pas eux-mêmes ce qui est légal ou illégal », constate Paul MacLean. Il plaide pour une clarification en interdisant « tout procédé conférant des effets psychotropes à la fleur de cannabis » ou « en encadrant la légalisation du cannabis ». « Si demain nous légalisons le THC, toutes ces molécules de synthèse disparaîtront », croit fermement le professionnel.
Aujourd’hui, les grossistes sont nombreux et les vendeurs de CBD se fournissent le plus souvent à l’étranger, où la réglementation est différente. Dans une boutique parisienne, des brownies au « Delta 7 » sont produits aux États-Unis, là où le cannabis est légal dans plusieurs États. D’autres produits sont commercialisés avec l’étiquette « HE » pour « High Effect ».
Nicolas Durand n’a jamais su ce qu’il avait fumé. La composition de la « Fleur CBD Super Lemon Exotic » n’était pas précisée au dos de l’emballage. En 2022, 10 % des adultes français ont déclaré avoir consommé du CBD, selon Santé publique France.

