France

Fête des grands-pères : « Je l’aimais, mais je ne sais rien de lui »… Les papys, grands oubliés de la mémoire familiale

Sébastien se rend à l’église une fois par mois pour allumer une bougie et lui dédier une prière en hommage à sa grand-mère catholique. Selon une enquête de l’Insee, 79 % des retraités disaient pratiquer régulièrement une activité, contre 47 % des retraitées.

En l’honneur de sa grand-mère catholique très pratiquante qui l’emmenait à la messe chaque dimanche, Sébastien se rend à l’église une fois par mois pour allumer une bougie et lui dédier une prière. Un jour, le trentenaire a réalisé quelque chose d’étrange. « Je ne priais jamais pour mon grand-père », bien qu’il soit tout aussi croyant que son épouse. « Je ne sais pas pourquoi, je n’y avais jamais pensé. »

Cet « oubli » illustre bien la place du grand-père dans la famille, souvent mis à l’écart. Sébastien exprime sa confusion : « Pourtant, il était là pendant mon enfance. Mais… » Mais sans vraiment être présent. Les stéréotypes ont parfois la vie dure : à la grand-mère les confitures de mûres, les cahiers de vacances, la lecture des histoires avant de dormir. À grand-père le fauteuil, les commentaires à voix basse devant le journal télévisé et le verre de vin bu en silence à table. « Je pourrais décrire ma grand-mère : douce, exigeante, altruiste. Mon grand-père, c’est plus difficile. Ce n’est pas un inconnu, bien sûr, il m’aimait et je l’aimais… mais je ne sais rien de lui. »

« Les grands-pères se sont mis à l’écart eux-mêmes »

La fête des grands-pères ce dimanche reste relativement méconnue, alors que celle des grands-mères, célébrée au printemps, gagne en popularité chaque année. On y vend désormais plus de fleurs que pour la Saint-Valentin, preuve du succès des mamies en France. Lancée en 1987 par la marque de café Grand-Mère (contre 2008 pour la fête des grands-pères), elle met en lumière un premier point de distinction. Plus présente dans la culture populaire, la grand-mère est une meilleure cible marketing.

« Il existe tout un discours conservateur qui met l’accent sur le rôle des femmes dans l’enfance, explique Serge Guérin, sociologue spécialiste des séniors et auteur de Silver Génération (2011, Michalon). Mais ne nous y trompons pas : les grands-pères se sont, pour beaucoup, mis à l’écart eux-mêmes. Comme les pères avant eux. » Régine Florin, présidente de l’École des grands-parents européens (EGPE) Paris Île-de-France, un espace de discussion et de rencontre, ainsi qu’une ligne d’écoute, « Allô grands-parents » (01-45-44-34-93), confie que « la majorité des appels proviennent de grands-mères. Elles sont plus préoccupées par l’unité familiale ». Le grand-père, souvent, « est occupé ailleurs : association sportive, mairie… » Une enquête de l’Insee a montré que 79 % des retraités déclaraient pratiquer régulièrement une activité, contre 47 % des retraitées.

« Il imposait une présence mutique »

En 2011, la France a lancé l’Étude Longitudinale Française depuis l’Enfance (ELFE). Suivant 18 000 enfants de leur naissance jusqu’à l’âge adulte, elle a également examiné les différences de caractéristiques entre grands-parents selon leur sexe. Résultat : 72 % des grands-mères étaient perçues comme apportant tendresse et patience, contre 48 % pour les grands-pères. « Quand j’avais des bobo, une question ou que j’avais fait un cauchemar, j’allais naturellement vers ma grand-mère », se remémore Mathieu, 32 ans. « Papy me terrifiait. Il n’a jamais été violent ni méchant, mais quand il était présent, tout le monde parlait moins fort. » Un jour, alors que sa grand-mère était absente, c’est le grand-père qui l’a conduit à un rendez-vous médical situé à une heure et demie de voiture. « Je crois que nous n’avons pas parlé pendant le trajet. »

Cindy, 41 ans, évoque un grand-père « rarement à la maison. C’était ma grand-mère qui s’occupait de nous. Je ne doute pas qu’il était heureux de nous retrouver le soir, mais de là à sacrifier ses loisirs pour faire des coloriages ou se balader dans les champs… Cela laisse finalement beaucoup moins de souvenirs. »

Une garde d’enfant bien plus attribuée aux grands-mères

« Les parents vont avoir tendance à confier leurs enfants et les missions associées à leur mère plutôt qu’à leur père », ajoute Serge Guérin. Selon l’ELFE, 65 % des parents attendaient une aide régulière de la part des grands-mères, contre seulement 35 % pour les grands-pères. Même Cindy, qui « regrette de ne pas avoir mieux connu son grand-père », admet qu’elle confie la garde de sa fille en priorité à sa mère. « C’est plus rassurant. »

Les grands-pères peuvent effectivement se sentir démunis, ne sachant pas comment agir après avoir partiellement abandonné leur rôle de père, nuance Serge Guérin. Cependant, un scénario inverse existe, précise l’expert : certains grands-pères considèrent leurs petits-enfants comme une « seconde chance » après avoir raté l’éducation de leurs propres enfants. Quoi qu’il en soit, les grands-mères sont de loin plus présentes durant la petite et moyenne enfance. Or, c’est, toujours d’après l’EFDE, une période favorable pour la grande-parentalité.

L’adolescence, période bénie mais souvent trop tardive

Et ensuite ? « Le grand-père émerge souvent lors de l’adolescence », poursuit Régine Florin. « Il sera plus à l’aise, plus en phase avec les activités, plus concerné. » Encore faut-il qu’il soit là. Les femmes deviennent grands-mères plus tôt (54 ans en moyenne, contre 56 ans pour les hommes), vivent plus longtemps en bonne santé (66 ans contre 64 ans) et meurent plus âgées (85,6 ans contre 80 ans). Le petit-enfant connaîtra donc souvent sa grand-mère plus longtemps et en meilleure santé. « J’ai de très bons souvenirs avec ma mamie lorsque j’étais étudiant et que j’allais manger chez elle. À un âge où l’on commence à percevoir davantage la valeur des choses, où l’on peut discuter, lui poser des questions sur son passé, sa vie. Papy, lui, était décédé », partage Mathieu.

Autre facteur à prendre en compte : il y a une nette majorité de grands-mères par rapport aux grands-pères en France (8,9 millions contre 6,2 millions), ce qui renforce leur rôle dans l’imaginaire collectif.

Une nouvelle génération de grands-pères

Cependant, les mentalités évoluent. Lentement. « Des pères beaucoup plus présents aujourd’hui pour leurs enfants deviendront de grands-parents plus engagés et à l’aise », se réjouit Serge Guérin. « Une nouvelle génération de grands-pères apparaît déjà. » Même constat chez Régine Florin, qui remarque des appels de plus en plus variés : « Il ne faut pas tomber dans les clichés, tous les grands-pères ne sont pas absents et beaucoup apportent énormément d’amour. »

Parfois par de petits gestes mémorables. Mathieu se rappelle : « Lors du trajet retour de mon rendez-vous médical, nous n’avons pas parlé non plus. Mais il m’avait préparé des tartines avec du beurre et de la confiture de figue. Il ne prenait pas toujours le petit-déjeuner avec nous, mais il savait que c’étaient mes préférées. »