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Maroc, Népal, Madagascar : la Génération Z s’investit dans la rue

Des milliers de jeunes manifestants descendent dans les rues au Maroc, à Madagascar, au Népal ou au Pérou pour dénoncer des services publics défaillants, la corruption et les inégalités. En 2025, des manifestations de jeunes ont eu lieu en Serbie en mars, et l’origine de la contestation est l’Indonésie avec le mouvement « Gelap Indonesia » en février.


Au Maroc, à Madagascar, au Népal ou au Pérou, des milliers de jeunes manifestants envahissent les rues pour dénoncer des services publics défaillants, la corruption et les inégalités. Ces mouvements sont menés par des jeunes de la « Gen Z », ou « génération Z », âgés de 18 à 24 ans. Peut-on parler de « Printemps asiatiques », après les « Printemps arabes » qui ont renversé des autocrates au Maghreb et au Moyen-Orient à partir de 2011 ? Quelles sont les revendications et les références communes ? Quel est le rôle des réseaux sociaux dans cette contestation ? 20 Minutes fait le point.

Quel est le point de départ des manifestations de jeunes en 2025 ?

En mars 2025, plusieurs pays ont vu des manifestations de jeunes, notamment en Serbie. Cependant, selon les observateurs, l’origine de la récente contestation se trouve en Indonésie, avec le mouvement « Gelap Indonesia » (Indonésie noire) lancé en février 2025. Initialement pacifique, cette contestation vise le coût de la vie élevé et le taux de chômage élevé chez les jeunes. Elle a cependant évolué en un mouvement social violent fin août, après l’annonce d’une augmentation de l’indemnité logement des députés en plus de leur salaire. On dénombre au moins dix morts, ainsi que des disparus. La mobilisation a diminué début septembre, suite à un important déploiement de forces de l’ordre dans le pays qui compte 284 millions d’habitants.

Où les jeunes se sont-ils ensuite mobilisés ?

Au Népal, où l’âge médian de la population est de 25 ans, d’importantes manifestations ont eu lieu en septembre contre une interdiction des réseaux sociaux, le chômage des jeunes et la corruption. Plus de 70 personnes ont perdu la vie pendant ces manifestations. Celles-ci ont conduit à la démission du Premier ministre KP Sharma Oli et de plusieurs ministres.

Toujours en Asie, aux Philippines, des manifestations massives ont été organisées en septembre contre la corruption touchant les travaux publics. Cette contestation s’est également répandue à Madagascar, où, depuis le 25 septembre, des mobilisations mettent en lumière les fréquentes coupures d’eau et d’électricité. Les manifestants réclament désormais le départ du président.

Au Maroc, une première mobilisation a eu lieu à la mi-septembre à Agadir, suite à la mort de huit femmes enceintes dans un hôpital public local, où elles avaient été admises pour des césariennes. Cet incident a déclenché une série de manifestations sporadiques dans d’autres villes, avant que le collectif « GenZ 212 » n’organise les premiers grands rassemblements le week-end dernier, en faveur de meilleurs services de santé et d’éducation. Ces rassemblements ont été marqués par des violences meurtrières mercredi. Le collectif a ensuite appelé à la démission du gouvernement dans la nuit de jeudi à vendredi.

Des milliers de jeunes se sont également mobilisés ces derniers jours au Pérou et au Paraguay, selon l’agence UPI. Au Pérou, ils manifestent notamment contre le système de retraite, mais la colère est aussi dirigée vers la présidente Dina Boluarte et le Congrès, d’après Reuters.

Quelles sont les revendications des manifestants en 2025 ?

Les revendications à travers les différents pays partagent des similitudes, notamment la dénonciation des élites perçues comme corrompues ou inefficaces, les défaillances des services publics, les difficultés économiques et le chômage des jeunes.

Les manifestants ont-ils des références communes ?

À Madagascar, comme aux Philippines ou au Pérou, le drapeau pirate du héros de One Piece, le manga le plus vendu de l’histoire, est devenu en quelques semaines le symbole des jeunes manifestants. Brandie initialement en Indonésie en août, cette tête de mort avec un chapeau de paille a été adoptée par des manifestants au Népal mi-septembre, puis à Manille, et enfin à Madagascar, notamment grâce aux réseaux sociaux.

Dans les plus de cent tomes de la série, Monkey D. Luffy et son équipage, les Pirates du Chapeau de Paille, défient un gouvernement mondial corrompu tout en cherchant la liberté et l’aventure, devenant ainsi les héros des peuples opprimés. Mathilde Saliou, journaliste et auteur spécialisée dans le numérique et les inégalités, estime que « le drapeau de One Piece est un mème, symbole de la lutte contre les inégalités et la corruption. La référence est largement partagée par les jeunes du monde entier, que ce soit avec l’activiste suédoise Greta Thunberg portant un chapeau à tête de grenouille sur la flottille pour Gaza, ou avec la politologue et activiste écologiste française Fatima Ouassak ».

Nuurrianti Jalli, professeure adjointe à l’École des médias et des communications stratégiques de l’université d’État de l’Oklahoma, ajoute que ce drapeau sert de « code open source pour les jeunes manifestants : adaptable localement, mais instantanément reconnaissable ailleurs ». Ce drapeau a d’ailleurs été observé à Paris lors des manifestations « Bloquons tout » du 10 septembre 2025.

Peut-on parler de « Printemps asiatiques », sur le modèle des « Printemps arabes » ?

Paul Staniland, directeur adjoint du département de science politique de l’université de Chicago, explique que « les mouvements semblent beaucoup plus stables que ce qu’ont été les ‘printemps arabes’ ». Selon lui, les mouvements de jeunesse en Asie, qui ont renversé les gouvernements au Sri Lanka en 2022 et au Bangladesh en 2024, se déroulent « au sein même de démocraties et visent à améliorer la représentation tout en réduisant la corruption », sans faire appel dans la plupart des cas à « des revendications en faveur d’un régime fondamentalement nouveau ».

Quelle est l’importance des réseaux sociaux dans la contestation ?

Les réseaux sociaux jouent un rôle clé dans ces contestations, souligne Mathilde Saliou. « Ils ont notamment mis en lumière les inégalités énormes dans des pays comme le Népal, où quelques-uns exhibent leurs richesses sur les réseaux, alors que la majorité de la Gen Z peine à joindre les deux bouts. Cette explosion des inégalités constitue, je pense, le grand point commun des mobilisations d’aujourd’hui. »

La spécialiste rappelle que, depuis des années, les réseaux sociaux fournissent des exemples et des sources d’inspiration venant d’autres pays, facilitant la coordination pour débattre de politique et organiser des manifestations. Cependant, Mathilde Saliou nuance que les mouvements de protestation échouent à engendrer de nouvelles formes de gouvernance ou des réformes majeures s’ils ne s’appuient pas sur le travail d’associations de terrain luttant pour les droits démocratiques. « Observons le mouvement « Nuit debout » en France, qui a suscité beaucoup de bruit en 2016. Quels ont été les résultats concrets de ces mobilisations ? La question reste ouverte. »

*Mathilde Saliou publie ce vendredi L’envers de la tech, Ce que le numérique fait au monde aux éditions Les Pérégrines (20 euros).