Belgique

Guerre en Ukraine : la Russie intensifie ses frappes sur Kiev

Ces dernières semaines, le quotidien des Ukrainiens est devenu plus angoissant, marqué par l’envoi par la Russie de centaines de drones vers leur pays. Le dimanche 28 septembre dernier, une attaque massive de drones et missiles russes a fait au moins quatre morts à Kiev et plus de 80 blessés à travers le pays, selon les autorités locales.


Ce sont des taches de couleur sur un graphique, mais c’est aussi la réalité quotidienne des Ukrainiens. Ce quotidien est devenu plus inquiétant ces dernières semaines dans plusieurs régions du pays. Ces derniers jours, la Russie a déployé des centaines de drones à l’encontre de son voisin. À chaque nouvelle attaque, les Ukrainiens reçoivent une alerte via une application officielle et des canaux Telegram.

Décrypte a compilé l’ensemble de ces alertes, émises par des sources officielles ou bénévoles, pour les représenter sur le graphique ci-dessous. Chaque carré représente un jour, et l’intensité de la couleur indique le nombre d’alertes : plus le carré est rouge foncé, plus le nombre d’alertes est élevé dans la région concernée ce jour-là. Les données ne comprennent pas de chiffres pour la Crimée annexée en 2014 ni pour l’oblast de Lougansk occupé par les forces russes.

Le résultat montre que dans la région de Kiev, le contraste entre ces dernières semaines et les mois précédents est frappant. Les carrés n’ont jamais été aussi sombres depuis le début de la guerre en 2022.

Dernier exemple en date : le dimanche 28 septembre, une attaque massive de centaines de drones et de missiles russes contre l’Ukraine a causé au moins quatre morts à Kiev, dont une fillette de 12 ans, et plus de 80 blessés à travers le pays, selon les autorités locales. Cette vague de bombardements, qui a duré douze heures d’après Kiev, fait suite à un avertissement de Moscou aux puissances de l’Otan contre toute réaction suite aux incursions russes présumées dans leur espace aérien.

Anna Chebotarova, doctorante à l’université d’Oslo, s’est intéressée aux conséquences de ces sirènes pour les Ukrainiens. Elle a notamment consigné ce témoignage : « Avez-vous remarqué que les sirènes et les bombardements ont toujours lieu tôt le matin ? C’est à ce moment-là que le sommeil est le plus profond et le plus précieux. Cette alarme désagréable, ces explosions sanglantes, c’est le bruit de notre ‘roulette russe’ quotidienne ».

« Les alertes de nuit sont beaucoup plus fréquentes et durent en moyenne plus longtemps. Je dirais que si on a 3-4 jours par semaine avec des alertes, c’est une bonne moyenne. Les nuits, c’est plus 5 à 6 nuits par semaine », confirme Antoine Bourgoignie, un Belge qui travaille à Kiev pour le compte de l’OTAN.

Le Belge poursuit : « Il y a un manque de sommeil. Il y a un sentiment d’impuissance qui s’installe parce qu’on ne sait jamais comment la journée ou la nuit va se passer. Psychologiquement, à la longue, c’est quand même compliqué. »

L’autre raison derrière ces frappes nocturnes est stratégique : « C’est une question de vulnérabilité des drones en plein jour. Parce que quelques avions en plein jour, c’est du ball-trap. Donc la nuit ça rend les choses un peu plus compliquées », analyse Yannick Quéau, directeur du Groupe de recherche sur la paix et la sécurité (GRIP).

Antoine Bourgoignie évoque « une fatigue de guerre qui s’est installée, qui se traduit notamment par le fait que les Ukrainiens répondent de manière beaucoup moins rapide aux alertes, voire n’y répondent pas du tout, pour être très honnête, la majorité du temps. Mais c’est très spécifique à Kiev qui est excessivement bien protégée. C’est pour ça que les gens à Kiev ont aussi tendance à un petit peu ignorer le danger potentiel et faire comme si de rien n’était. »

Cette impression est confirmée par l’étude de l’université d’Oslo. Dans certaines zones proches du front, les sirènes peuvent retentir pendant des heures. Au début de l’invasion, les gens se rendaient souvent dans les abris. « Mais avec le temps, beaucoup ont développé ce qu’on appelle une lassitude face aux alertes aériennes. C’est pourquoi beaucoup de gens les ignorent désormais. »

Malgré tout, l’employé de l’OTAN confirme que les attaques se sont intensifiées depuis un an, y compris à Kiev. « On voit clairement que la moyenne de projectiles qui tombe par mois a triplé depuis un an. Les attaques sont de plus en plus massives. Sur Kiev spécifiquement, oui. Quand je suis arrivé il y a un peu plus d’un an, une grosse attaque c’était 150 drones. Maintenant, on a des attaques à 600, 700, 800 drones. Donc, on a vraiment une échelle qui est complètement différente. »

Le New York Times rapporte que l’industrie de l’armement russe a fait des progrès et produit des drones à grande échelle. « Cette augmentation spectaculaire des attaques de drones résulte d’une forte hausse de la production russe de drones d’attaque à usage unique, auxquels le président Vladimir Poutine accorde la priorité et qui sont désormais assemblés dans le pays dans deux usines principales. Le Kremlin a également imposé une forte augmentation de la production des drones tactiques plus petits que la Russie utilise en première ligne, en mobilisant les gouvernements régionaux russes, les usines et même des étudiants », écrit le quotidien américain.

« On voit un changement aussi dans la nature des projectiles, il y a moins de missiles excessivement chers et plus de drones pas chers, et même des leurres dont le but est vraiment d’épuiser la défense aérienne, de la saturer, et une fois qu’elle est saturée, d’envoyer des missiles au travers », complète Antoine Bourgoignie.

Selon un décompte du New York Times, « la Russie a envoyé jusqu’à présent plus de 34.000 drones d’attaque et leurres en Ukraine en 2025, soit près de neuf fois plus qu’à la même période l’année dernière. » Près de 9 sur 10 sont abattus par l’armée ukrainienne. Mais de plus en plus d’appareils passent entre les mailles du filet, comme le montre le graphique ci-dessous.

Yannick Quéau souligne que « cette accentuation de frappes par drone arrive à un moment où, d’un côté, l’Ukraine n’est pas encore capable de produire ce qu’il faut elle-même pour réussir à faire face à ce type de situation, même s’il y a de l’innovation du côté ukrainien dans la lutte anti-drone. » Du côté des Alliés, « il y a eu une véritable interrogation sur la capacité à soutenir un système de défense antiaérien ukrainien qui souffrait déjà depuis quelque temps. Donc, il y a eu une conjugaison de facteurs qui font que les frappes de drone ont eu beau jeu. »

Problème : « Pour l’instant, on essaie d’intercepter des drones, donc il s’agit de tirer sur la flèche. L’idée, c’est quand même de faire comprendre à l’archer qu’il va lui arriver des problèmes à un moment. Il faut être capable de mettre à mal cette chaîne de production, sinon on va rester submergé par des drones. »

En d’autres termes, poursuit Yannick Quéau : « On ne peut pas permettre à son adversaire de produire autant de flèches chargées de bombes dans ce nombre-là pour frapper sans fin toutes les nuits les principaux points stratégiques ukrainiens et se dire que non, on n’a pas le droit de frapper l’endroit de production. »

« Il faudrait trouver une manière ou une autre de mettre à mal cette logique qui fonctionne assez bien du côté russe sur la question des drones low-cost », conclut le directeur du GRIP.