Maroc : « Les stades sont là, mais où sont les hôpitaux ? »
Le 5 septembre dernier, le Maroc s’est qualifié pour la Coupe du monde 2026 en battant le Niger et a inauguré le stade Moulay-Abdellah à Rabat, d’une capacité de 70.000 places. Depuis le 27 septembre, un collectif de jeunes nommé GenZ 212 réclame des réformes rapides des secteurs publics de santé et éducatifs suite au décès de huit femmes à l’hôpital Hassan-II d’Agadir.
Le 5 septembre dernier, une grande fête s’est tenue au Maroc, marquant une étape importante dans l’histoire du football national. Le pays s’est qualifié pour la Coupe du monde 2026 en battant le Niger et a inauguré son nouveau stade, le stade Moulay-Abdellah à Rabat. Doté de 70 000 places et de nombreuses loges, ce chef-d’œuvre aux sièges rouges est destiné à accueillir la Coupe d’Afrique des nations cet hiver et le Mondial en 2030.
Toutefois, un mois après cet événement, l’enthousiasme a laissé place à des préoccupations. Le nouvel arèna, sans le vouloir, est devenu un symbole du mécontentement de la jeunesse marocaine, qui critique des dirigeants investissant des milliards dans des infrastructures sportives et des compétitions internationales plutôt que dans des services de base.
« L’hôpital de la mort » à Agadir
« Les stades sont là, mais où sont les hôpitaux ? », s’entend-on régulièrement dans les manifestations des grandes villes depuis samedi. Tout a commencé il y a quelques semaines, suite au décès de huit femmes à l’hôpital Hassan-II d’Agadir, alors qu’elles venaient accoucher par césarienne. « Les manifestations qui ont suivi ce drame à l’hôpital de la mort n’ont conduit qu’à de nouvelles promesses vaines et à un mépris habituel, dénonce Younès, 23 ans, présent dans les rues. Cela a profondément indigné les Marocains. »
Le ministre de la Santé Amine Tahraoui a d’abord été mis en cause, critiqué pour avoir été nommé à ce poste en raison de son ancien rôle au sein d’une entreprise dirigée par la femme du Premier ministre, Aziz Akhannouch. Par la suite, de plus grands rassemblements pacifiques ont eu lieu dans les grandes villes, à partir du 27 septembre, suite à l’appel d’un collectif de jeunes créé sur les réseaux sociaux, GenZ 212 (contraction de Génération Z et de l’indicatif téléphonique du Maroc), qui réclame des réformes rapides dans les secteurs publics de la santé et de l’éducation.
« Les jeunes aspirent à une vie digne pour eux et leurs proches », analyse Abderrahim Bourkia, professeur et sociologue à Casablanca. « Ils sont conscients de la réalité qui les entoure : la cherté de la vie, la précarité, le manque d’opportunités et le dysfonctionnement administratif. Ils portent en eux nos frustrations et nos aspirations pour un système éducatif, social, économique et culturel, ainsi qu’un système de santé capable de fournir des solutions justes et pertinentes pour tous. »
Répression policière et morts
« Le cadre était clair, nous ne sommes pas contre le système, ni contre le gouvernement, nous défendons nos institutions. Nous voulons simplement exprimer que nos priorités en tant que Génération Z sont l’éducation, la santé publique et l’équité sociale », reprend Mehdi, de retour au Maroc le week-end dernier. De samedi à lundi, les participants n’ont commis aucun acte de violence ni destruction, mais dès le premier jour, les forces de l’ordre ont commencé à réprimer les jeunes. »
🇲🇦Protests in Morocco over health & education are being met with arrests and violence. Today in Oujda, police ran over a protester with a patrol car, killing him. People are jailed just for demanding their rights. Yet Morocco wants to host CAF & the World Cup. #Morocco #GENZ212
— Chmicha © (@Chmicha_org) September 30, 2025
Des jeunes, parfois mineurs, ont été arrêtés de manière aléatoire, et des rassemblements ont été interdits dans des villes comme Casablanca. Des débordements ont éclaté ces derniers jours : des banques et des commerces ont été pillés, des voitures des forces de l’ordre ont heurté la foule, des manifestants pacifiques ont été frappés par une police locale, et trois personnes ont été tuées mercredi soir alors qu’elles tentaient de prendre d’assaut un poste de gendarmerie dans le sud du pays.
Après plusieurs jours de silence, le gouvernement a déclaré lundi, par la voix des partis de la majorité, comprendre les revendications sociales et être prêt à répondre par le dialogue et des réformes. Le roi Mohammed VI, quant à lui, est resté silencieux. « Le jour même d’une protestation, nous avons appris que le prince héritier Moulay El Hassan inaugurait un centre équestre, cela prouve que les chevaux passent avant le peuple », s’insurge Younès.
Appel à boycotter la Coupe d’Afrique des nations
« Nous devons investir dans le capital humain, pas dans les infrastructures », insiste Mehdi. « La santé, l’éducation et la justice sociale sont prioritaires avant le Mondial et la CAN. » De nombreux appels à boycotter la Coupe d’Afrique des nations, qui débute le 21 décembre au stade Moulay-Abdellah, ont été lancés. « L’État adopte toujours une approche oppressive et le boycott est l’une des priorités », ajoute le jeune homme. « Et si vous voyez des stades pleins, sachez que ce sont des personnes payées par le gouvernement. »
« Je ne pense pas que ce soit une réelle menace », tempère Abderrahim Bourkia. « Au contraire, les Marocains désirent la CAN 2025. Certains cherchent à récupérer cela à des fins politiques, surtout avec les élections qui approchent. » Les joueurs, après quelques jours de silence, ont fini par soutenir les manifestants sur les réseaux sociaux, comme Nayef Aguerd, défenseur de l’OM :
« Je suis de tout cœur avec tout ce qui se passe au Maroc. Les exigences des jeunes et des personnes âgées dans les domaines de la santé et de l’éducation sont la base de tout pays fort. Des exigences légitimes, reflétant leur amour véritable pour leur pays et leur désir de voir notre pays progresser et prospérer. »
Des millions dépensés pour des stades
Ces prises de position peuvent-elles avoir un impact au niveau gouvernemental ? « Si les joueurs se souciaient réellement de leur pays, ils le défendraient par plus qu’un simple post sur Instagram », critique Younès. « Le soutien est toujours une bonne chose, mais ils n’ont aucun impact réel. Dire “on est avec vous” ne se traduit pas en actions concrètes de la part de la Fédération ou du ministère », renchérit Mehdi.
Le ministère des Sports et de l’Éducation a vu son budget augmenter pour les deux prochaines compétitions. Cependant, avec environ 500 millions d’euros dépensés pour le stade Moulay-Abdellah à Rabat et un autre demi-milliard pour le Grand Stade Hassan-II de Casablanca (prévu pour être le plus grand stade de football au monde avec une capacité de 115 000 places, livré en 2028), c’est l’éducation qui a souffert. CQFD.

