Belgique

L’enfer à 2000 euros par mois : enquête sur les « maisons pirates ».

Le Centre d’hébergement d’Ixelles, fondé en 2014, n’est ni reconnu ni agréé et peut héberger une quarantaine de résidents pour un montant pouvant atteindre 2000 euros par personne par mois. L’Agence Wallonne pour une Vie de Qualité (AVIQ) répertorie au moins 62 structures d’hébergement non agréées en Wallonie.


C’est une réalité peu connue, mais beaucoup plus répandue qu’on ne l’imagine.

En raison du manque de places dans les établissements agréés, des patients en situation de handicap, des toxicomanes et des personnes souffrant de problèmes psychiatriques sont dirigés vers des structures d’hébergement non agréées (SHNA).

Ces « maisons pirates » exploitent parfois leur vulnérabilité en demandant des sommes exorbitantes pour un accueil de mauvaise qualité.

Pour débuter cette enquête, de nombreux travailleurs sociaux ont été contactés. Tous constatent à Bruxelles et en Wallonie l’existence d’un « business de la misère » qui se développe presque sans contrôle.

Le problème fondamental est clair : il y a un besoin urgent de places dans les institutions psychiatriques et les structures d’accueil pour les personnes handicapées.

En réponse, les « maisons pirates » se multiplient, échappant à toute régulation légale. Elles proposent un hébergement à ces individus laissés pour compte et profitent du manque d’offres adéquates pour se rendre indispensables.

Il y a un sentiment général d’absence de respect. « Ce ne sont pas des patients, mais des clients », déclarent certains intervenants.

Le frère de Hafida a été interné dans une de ces « maisons pirates ». Souffrant d’un handicap mental et de schizophrénie, il a d’abord été placé dans une maison de repos, mais suite à son comportement, il a été expulsé. Une proposition de transfert au Centre d’hébergement d’Ixelles a alors été faite.

Construit en 2014, ce Centre d’Hébergement d’Ixelles n’est ni reconnu ni agréé. Environ quarante résidents y sont accueillis pour des frais atteignant jusqu’à 2000 euros par mois, incluant nourriture et soins.

Hafida, qui rend souvent visite à son frère, témoigne de l’insalubrité des lieux : « C’est un dépotoir. C’est froid, c’est lugubre (…). Mon frère a eu deux fois la gale. Les résidents se plaignent de punaises de lit. Ils me demandaient ‘as-tu du savon ?' ».

Elle s’inquiète également du manque total de surveillance : « Ce qui m’a choquée, c’est l’absence de personnel. Les résidents étaient laissés à eux-mêmes. Ils venaient me voir, me disant ‘tu n’as pas d’argent ? J’ai faim' ».

Pour vérifier ces allégations, l’équipe de journalistes se rend au centre. Surprise : l’accès est libre, sans aucun contrôle à l’entrée.

Lors de la visite, aucun membre du personnel n’est rencontré. Les résidents sont laissés seuls, certains dormant sur des chaises, d’autres mendient à l’extérieur ou restent sans interaction dans leur chambre.

L’état des lieux est également choquant : câbles électriques à nu, tuyaux rouillés, éviers sales, douches vétustes. Un résident s’exprime : « J’ai envie de quitter cet endroit, j’ai des boutons. Je me gratte tout le temps. Je paie 1700 euros, c’est une arnaque ! Regardez l’état des toilettes ! ».

Un autre ajoute qu’ils ne vérifient rien et que la sécurité est absente : « Ici, ils ne vérifient rien. On nous dit de prendre nos médicaments, mais rien n’est imposé ».

Le directeur du Centre, Saaid Barhdadi, défend sa structure : « Nous assurons l’hébergement et les soins. Nous pouvons toujours améliorer ». Il insiste sur la nécessité de prouver leur utilité, en soulignant le manque d’alternatives pour les personnes ne pouvant pas être placées dans des hôpitaux psychiatriques.

La situation devient critique lorsqu’Hafida reçoit un appel, lui informant que son frère a été transféré à l’hôpital dans un état critique. À son arrivée, elle découvre son frère entouré de médecins, avec des blessures graves, une brûlure au troisième degré et un œil au beurre noir.

Le rapport médical révèle des problèmes graves, comme une hémorragie cérébrale et une pneumonie. Hafida n’a jamais obtenu d’explication claire sur ce qui s’est passé. Elle a déposé une plainte, et le Parquet de Bruxelles a ouvert une enquête.

Des témoins affirment que la mauvaise réputation du centre est connue depuis des années. « C’est déplorable qu’en 2025, de tels établissements existent encore en Belgique, ouverts sans aucun contrôle », s’indigne Laila Alem, accompagnatrice sociale.

Au-delà du Centre d’Hébergement d’Ixelles, des structures similaires existent. Le centre de recherche Bruss’help en a recensé une quinzaine à Bruxelles, un nombre qui pourrait être sous-estimé. En Wallonie, au moins 62 structures ont été identifiées.

Julie, travailleuse sociale, observe que beaucoup d’hôpitaux psychiatriques envoient des patients dans ces maisons pirates. Elle craint de perdre son emploi en parlant de cette situation : « Il est plus simple de se taire que de traiter ce qui se passe ».

Des patients témoignent de conditions inhumaines dans ces maisons, telles que la confiscation d’effets personnels et la distribution de nourriture périmée. Une résidente explique avoir perdu ses effets personnels après un prétendu nettoyage et se sentir délaissée.

Les contrôles de l’Agence Fédérale pour la Sécurité de la Chaîne Alimentaire (AFSCA) révèlent également des manquements graves en matière d’hygiène. Des enquêtes montrent que ces établissements fonctionnent souvent sans aucun cadre légal.

Les autorités sont au courant de l’existence de ces maisons, mais le manque de moyens juridiques rend difficile leur fermeture. Le directeur du Centre d’Hébergement d’Ixelles collabore avec divers CPAS, reliant ainsi indirectement ces établissements aux aides publiques.

Enfin, le dilemme moral se pose : fermer ces lieux pleins d’abus ou laisser les personnes sans alternative. La question de la dignité humaine face à la survie demeure sans réponse claire.