Belgique

Fin de la pub politique sur Facebook et Instagram : impact à venir ?

Depuis ce mercredi, il est impossible de voir une publicité politique sponsorisée sur Facebook et Instagram en raison de l’entrée en vigueur anticipée du règlement européen TTPA, prévue le 10 octobre. Meta a déclaré dans un communiqué de juillet 2025 qu’elle « n’autorisera plus les publicités politiques, électorales et sur les enjeux sociaux sur ses plateformes dans l’Union européenne, en raison des exigences impraticables » du règlement.


Impossible de voir des publicités politiques sponsorisées sur Facebook et Instagram depuis ce mercredi. L’entreprise de Mark Zuckerberg a anticipé l’entrée en vigueur du règlement européen TTPA (Transparence et ciblage de la publicité à caractère politique), prévue pour le 10 octobre.

Meta n’est pas le premier géant technologique à interdire les publicités politiques en Europe. Avant lui, TikTok, LinkedIn et Alphabet (Google, YouTube, Maps…) avaient déjà emprunté cette voie.

### Meta craint les amendes

En 2024, année électorale, les partis politiques belges ont dépensé ensemble 15 millions d’euros, un montant record. Pourquoi le géant américain renoncerait-il à une telle somme ?

« Mark Zuckerberg considère que les nouvelles règles sont trop contraignantes et craint de lourdes amendes », explique Jan Steurs, cofondateur d’Adlens, le collectif qui collecte les données des dépenses des partis politiques sur les réseaux sociaux.

Meta a communiqué en juillet 2025 : « Il s’agit d’une décision difficile, mais Meta n’autorisera plus les publicités politiques, électorales et sur les enjeux sociaux sur ses plateformes dans l’Union européenne, en raison des exigences impraticables » du règlement européen consacré à la transparence de la publicité politique.

### Près d’un million d’euros en un mois

Juste avant la date butoir, les partis politiques du nord et du sud du pays ont dépensé près d’un million d’euros en un mois. Entre le 27 août et le 26 septembre, ce montant précis est de 987.616 euros, selon les chiffres collectés par Adlens. Cela s’est produit alors qu’aucune campagne électorale n’était en cours.

Sans surprise, le Vlaams Belang demeure le plus gros dépensier, suivi de la N-VA. Une surprise toutefois du côté francophone : Les Engagés complètent le podium.

Les partis francophones ont commencé à rattraper leur retard l’année dernière, une tendance qui se renforce, constate Reinout Van Zandycke, expert en communication politique : « Pendant quelques jours fin août, Les Engagés ont même dépensé plus que le Vlaams Belang, c’est du jamais vu dans l’histoire de la publicité politique sur les réseaux sociaux. »

Selon le PDG de la société de communication Exposure, les partis au nord et au sud du pays ont adopté des stratégies différentes : « Les partis flamands ont davantage investi dans les pages des partis, tandis que les francophones ont privilégié les pages des présidents de parti comme Georges-Louis Bouchez ou Paul Magnette. »

### Une aubaine pour les médias traditionnels

Dorénavant, avec l’interdiction de la publicité sur Meta, les partis vont réinjecter leurs budgets ailleurs. « Les partis continueront à dépenser autant qu’avant en publicité, leurs dotations n’ayant pas diminué. Ils se tourneront vers tous les supports disponibles – journaux, sites web, affiches – pour maintenir leur visibilité auprès des électeurs », projette Reinout Van Zandycke.

Les médias flamands exploitent déjà l’opportunité. ATV, une télévision locale d’Anvers, a par exemple directement contacté les partis avec un e-mail sobrement intitulé : « Que faire de vos publicités politiques après le 1er octobre ? »

Le Vlaams Belang, longtemps écarté par la presse traditionnelle, a réussi à franchir certains obstacles : il a notamment placé une publicité dans De Zondag, un magazine gratuit du groupe Roularta, équivalent de 7Dimanche. Cela reste impensable en Belgique francophone, où le cordon médiatique demeure strict.

### Et pourquoi pas les influenceurs ?

Comme souvent en matière de communication en ligne, les tendances américaines traversent l’Atlantique, assure Reinout Van Zandycke : « Il est clair que les influenceurs auront aussi un rôle dans la communication politique. Même si, au départ, ils devraient être plutôt réticents, peut-être seront-ils ouverts si les budgets proposés sont assez alléchants. »

Le Vlaams Belang, pour sa part, n’a pas attendu l’interdiction des publicités sur Meta pour essayer d’atteindre ses partisans via des membres du parti. Par exemple, Kinga Pajak, alors collaboratrice du Vlaams Belang, avait créé un compte TikTok intitulé « La droite décomplexée », où elle publiait des vidéos critiques sur l’immigration. Aujourd’hui, elle est devenue conseillère communale à Anvers pour le parti.

« Si un influenceur relaie gratuitement un parti par conviction, cela relève-t-il encore de la pub ou simplement d’une opinion personnelle ? », s’interroge un commentateur.

Un autre exemple est Dries Van Langenhove, ex-député du Vlaams Belang et fondateur de Schild & Vrienden, qui saisit chaque occasion de relayer les messages du parti, en ligne comme dans les débats. Il reste cependant incertain de savoir si ces deux sympathisants de l’extrême droite flamande ont été rémunérés pour leurs messages de soutien.

De son côté, Jan Steurs doute que les influenceurs se prêtent facilement au jeu : « Un influenceur payé doit déclarer son message comme publicité politique et en publier les détails financiers, ce qui en refroidira plus d’un. » Il soulève aussi une zone grise : si un créateur relaie gratuitement un parti par conviction, cela relève-t-il encore de la pub ou simplement d’une opinion personnelle ? Le flou demeure…

### Le Far West des algorithmes

Avec la fin des publicités payantes, les partis devront donc diversifier leurs manières de diffuser leurs messages. Même s’ils ne peuvent plus sponsoriser leurs posts sur Meta, ils peuvent continuer à publier sur ces plateformes.

« Les algorithmes auront le champ libre, ce sera le Far West. Les algorithmes ne laissent pas de place à la nuance et favorisent les extrêmes. Les réseaux sociaux de Meta (Facebook, Instagram, Threads, …) vont devenir des plateformes où il y aura de plus en plus de polarisation », s’inquiète Jan Steurs.

Dans ce nouveau terrain de jeu, le Vlaams Belang dispose d’un atout majeur : 621.000 abonnés sur Facebook, soit six fois plus que Groen ou le CD&V ; ou douze fois plus que le MR et sept fois plus que le PS.

Reinout Van Zandycke déplore le manque d’investissement des partis traditionnels sur les plateformes numériques : « Je le dis depuis des années : les partis auraient dû investir beaucoup plus tôt dans la création d’une communauté et dans l’engagement. Mais malheureusement, seuls les extrêmes l’ont fait. Qu’observe-t-on ? Les partis du centre ont souvent du mal avec cette majorité silencieuse qui ne réagit pas, tandis que les extrêmes s’appuient sur une minorité très bruyante. »

Le Vlaams Belang collecte en effet des données depuis longtemps via des pétitions, des drapeaux distribués gratuitement ou des campagnes de mobilisation, ce qui lui permet d’avoir une base de contacts massive, réactivée régulièrement et de manière stratégique.

### Dommages collatéraux inattendus…

En théorie, la législation européenne qui entrera en vigueur le 10 octobre vise à plus de transparence et à mieux lutter contre la désinformation en ligne. Cependant, la définition très large de la « publicité politique » ouvre la porte à de nombreuses interprétations.

Meta considère par exemple que tout message à caractère social est considéré comme politique et donc interdit dans son dispositif publicitaire. Cette décision risque d’avoir un impact considérable sur les lobbies, les ONG, les syndicats et… les gouvernements.

« Durant la crise COVID, les gouvernements ont posté des publicités sur Facebook pour transmettre leur message au grand public. Avec les nouvelles règles, cela ne pourra plus se faire. Les campagnes de récolte de fonds d’ONG risquent aussi d’être cataloguées comme publicités politiques », a averti Jan Steurs.

Les deux experts s’accordent à dire qu’il est encore difficile d’évaluer l’impact réel de l’interdiction des publicités politiques sur Meta avant son entrée en vigueur. De son côté, la Commission européenne a prévu d’effectuer une évaluation de ce nouveau règlement en 2026. D’ici là, nous entrerons dans une zone grise où les partis politiques avanceront à tâtons.