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Guerre en Ukraine : « Aucune économie de guerre ne peut durer »

Des MiG-31 ont été interceptés en Estonie au début du mois et des drones russes ont violé l’espace aérien polonais. La croissance de l’économie russe est tombée à 1,4 % au premier semestre 2025, son plus bas niveau depuis deux ans.


Des MiG-31 ont été interceptés en Estonie au début du mois. Des drones russes ont violé l’espace aérien polonais et d’autres sont soupçonnés d’avoir survolé l’aéroport de Copenhague, une base militaire dans la Marne et la ville d’Oslo, rien que la semaine dernière. Bien que leur origine ne soit pas encore confirmée, il semble y avoir peu de doutes à ce sujet. Volodymyr Zelensky a prévenu les Européens dans le Guardian : la Russie pourrait ne pas attendre la fin de la guerre en Ukraine pour ouvrir un second front en Europe. Est-ce vrai ?

« On peut dormir sur nos deux oreilles », rassure immédiatement Maria-Eugenia Sanin, maîtresse de conférences en économie russe à Paris-Saclay. Pour cette experte, Moscou ne dispose pas des moyens financiers nécessaires. Après trois ans de guerre, de sanctions et de boycott, l’économie russe montre des signes de faiblesse. La croissance a chuté à 1,4 % au premier semestre 2025, son niveau le plus bas depuis deux ans. Cette croissance, principalement tirée par l’effort de guerre, ne profite pas à la population, dont la consommation et le niveau de vie ont diminué. « Au bout d’un moment, le peuple ne peut pas manger des obus », ironise-t-elle.

La croissance dynamique de 4 % en 2023 et 2024 appartient désormais au passé. « Elle a été obtenue en stimulant l’activité par d’importantes commandes publiques pour le complexe militaro-industriel. Mais aussi par une redistribution des revenus vers les couches les plus modestes de la population grâce à des programmes sociaux liés à la guerre et à une augmentation des salaires dans les secteurs prioritaires », explique Julien Vercueil, professeur et spécialiste de l’économie russe.

Cependant, en 2025, cette dynamique s’essouffle : « L’investissement des entreprises n’a pas suivi, et aujourd’hui, l’appareil productif touche à ses limites. L’économie russe est entrée dans une phase d’érosion structurelle », conclut-il. En témoignent les chiffres : le déficit budgétaire fédéral pour janvier-juin a déjà atteint le niveau initialement prévu pour l’ensemble de l’année.

« Vladimir Poutine avait préparé son économie à être transformée en économie de guerre, espérant qu’elle subirait le moins possible les sanctions européennes. Mais il envisageait une guerre rapide et non d’usure. Aucune économie de guerre ne peut perdurer indéfiniment sans de lourdes conséquences », poursuit Maria-Eugenia Sanin.

Bernard Keppenne, chef économique chez CBC Banque, souligne également un problème de main-d’œuvre. Entre les jeunes ayant fui le pays — plus de 700 000 départs, selon Forbes, depuis l’invasion de l’Ukraine —, les soldats envoyés au front — 700 000 actuellement — et les morts et blessés — plus d’un million selon l’état-major ukrainien, dont plus de 200 000 tués — cela représente un manque de bras pour l’économie russe.

Pour financer son armée, la Russie a décidé d’augmenter sa TVA (sauf pour certains produits de première nécessité), alors même que l’inflation commençait enfin à diminuer. « La priorité de l’État est de trouver des financements pour son effort de guerre, qui pèse de plus en plus sur les finances publiques », ajoute Julien Vercueil.

Un autre obstacle pour Moscou est la chute des prix du pétrole, privant le pays d’une de ses principales sources de revenus. « Les sanctions européennes sur le gaz et le pétrole ont été bien négociées par la Russie, qui fournit désormais massivement la Chine et l’Inde, très dépendantes. Cependant, la Russie ne peut rien faire contre la baisse continue des prix. » Cette tendance devrait persister, les pays de l’Opep + prévoyant une production soutenue pour toute l’année 2025. Maria-Eugenia Sanin est donc convaincue : « La Russie ne peut pas se permettre un nouveau front, ni maintenant ni plus tard. »

Cependant, Stéphane Audrand, consultant en risques internationaux et officier de réserve, ne partage pas nécessairement cet optimisme. « Pragmatiquement, oui, la Russie n’a aucun intérêt à ouvrir un second front. Mais elle n’avait pas plus de raisons d’attaquer l’Ukraine. L’essence du pouvoir actuel est de percevoir l’OTAN et l’Union européenne comme des ennemis mortels. Tant que cette vision perdurera, la Russie multipliera les agressions, qu’elle en ait les moyens financiers ou non. »

Julien Vercueil fait preuve de prudence : « Face aux difficultés économiques, la tentation pour un régime autocratique à tendance totalitaire est toujours d’intensifier le sacrifice imposé à la population pour faire avancer ses objectifs de guerre. » La guerre a ses raisons que l’économie ignore.