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« Empathie » : Florence Longpré souhaite décomplexer l’hôpital psychiatrique

La série « Empathie », créée par Florence Longpré et mettant en vedette Thomas Ngijol, se déroule dans un service de psychiatrie d’un hôpital carcéral québécois. Lors de son passage au Festival de la Fiction de La Rochelle, Thomas Ngijol a déclaré : « Je savais qu’on faisait quelque chose de qualité, mais j’étais loin de m’imaginer tout cela. »


Un uppercut émotionnel à ne pas manquer ! Qui aurait pensé qu’une histoire focalisée sur deux antihéros chaotiques dans un service de psychiatrie d’un hôpital carcéral québécois deviendrait LA série feel good de la rentrée ?

Lors du Festival de la Fiction de La Rochelle, les deux vedettes de cette dramédie décalée et pleine d’humanité, la québécoise Florence Longpré, également créatrice de la série, et le français Thomas Ngijol, ont accepté de répondre à notre interview « Empathie », tirée du titre de leur série disponible sur MyCanal.

### Cette série est née parce que le manque d’empathie des sociopathes, sur lequel vous souhaitiez initialement travailler, était incompatible avec votre désir d’empathie dans une fiction ?

**Florence Longpré :** Ce qui m’intéresse dans l’écriture et la création, c’est la rencontre de l’autre, l’existence humaine, les émotions, l’humour… Mon personnage principal manquait d’empathie, c’était vraiment plat ! Mais, je m’étais déjà immergée dans la psyché humaine, ce qui a transformé cette mauvaise idée en ma véritable inspiration.

### L’empathie est-elle une qualité essentielle pour être un acteur ou un scénariste ?

**Thomas Ngijol :** Oui, pour être un bon acteur. Le jeu repose sur l’écoute et la capacité de se mettre à la place de l’autre. Notre métier d’acteur consiste à reproduire la vie. Quand on fait preuve d’empathie envers son partenaire, un échange se produit. Lorsque je suis impressionné par mes partenaires de jeu, c’est souvent en raison de cet échange empathique.

**F.L. :** Il faut également de l’empathie envers son propre personnage. Pour jouer un méchant, il est crucial de comprendre son point de vue. Tous les acteurs n’adoptent pas cette méthode. Ça dépend des personnes, mais pour ma part, je m’efforce de m’y connecter.

### Vos personnages, Suzanne et Mortimer, manquent-ils d’empathie envers eux-mêmes ?

**F.L. :** Absolument. Ce sont deux personnes très solitaires.

**T.N. :** Oui, c’est certain ! Ils sont en quelque sorte abîmés. Je ne dirais pas qu’ils n’ont pas appris à s’aime, mais ils ont laissé de côté des choses importantes en chemin. Les expériences de la vie… Je pense que c’est ce qui touche tout le monde. Chacun a traversé ce genre de moments.

**F.L. :** Effectivement, il y a eu des moments où nous avons manqué d’empathie pour nous-mêmes. Parfois, l’empathie que l’on perçoit chez les autres peut nous aider, en nous montrant que quelqu’un comprend ou ressent notre situation.

**T.N. :** C’est ce qui les rapproche très rapidement.

### La série met en lumière notre manque d’empathie envers ceux qui souffrent de troubles mentaux ou qui sont incarcérés…

**F.L. :** Mon objectif était de décrire cet univers. Une partie de mon écriture découle de l’instinct, l’autre est guidée par des psychiatres. Je n’avais pas de message initial, mais je voulais déstigmatiser l’hôpital psychiatrique. L’image des psychiatriques reste très marquée par des préjugés.

### Avez-vous choisi Thomas Ngijol comme partenaire parce qu’il avait l’empathie nécessaire pour le rôle ?

**F.L. :** Il avait tout pour le rôle ! Honnêtement, cela a été un véritable coup de foudre. Lors d’un test, Thomas a prononcé une phrase, et j’ai su au fond de moi que c’était lui !

**T.N. :** Je déteste généralement les castings. Je n’en fais presque plus depuis des années car je me concentre sur la scène. Ce n’est pas que je me pense trop bon, mais ceux qui s’intéressent à moi ont déjà beaucoup de matériel. En tout cas, les Français ! Ils viennent de plus loin. J’ai trouvé ce projet intéressant et j’y ai pris plaisir. J’avais vu les précédents travaux de Florence Longpré et Guillaume Lonergan, ainsi que quelques extraits d’Empathie…

**F.L. :** Tu as dit oui sur un coup de feeling !

**T.N. :** C’est vrai, c’était un coup de foudre professionnel. J’ai tout de suite éprouvé une sympathie pour eux. Je me suis projeté, sachant que je passerais du temps là-bas. Tout s’est aligné.

### Si le mot « empathie » est si fréquemment utilisé, c’est parce que nous vivons dans un monde qui en manque. Avez-vous fait ce constat en choisissant ce titre ?

**F.L. :** Honnêtement, à l’écriture, ce n’était pas aussi réfléchi. Je ne dois pas trop m’auto-analyser, je recherche les symboles après coup. Cependant, je trouve étonnant que la série résonne si bien avec notre époque. Elle a été diffusée en même temps que des discours anti-empathiques, notamment de Donald Trump, qui évoquait ce mot comme s’il était dangereux. La série n’est peut-être pas un contrepoids, mais elle existe !

**T.N. :** Les témoignages sur les réseaux sociaux sont très positifs. Les gens disent que cela leur fait du bien.

**F.L. :** Et il est également agréable d’entendre cela !

**T.N. :** Je savais que nous réalisions quelque chose de qualité, mais je n’aurais jamais imaginé une telle réaction. Je le dis en tant qu’artiste de scène : lorsqu’un spectacle fonctionne bien, c’est le public qui l’indique. Là, c’est une sensation totalement différente, quelque chose de pur, de vrai et de précieux.

### Et pour vous, à titre personnel, que représentait l’empathie avant et maintenant, en travaillant sur cette série ?

**T.N. :** Étrangement, j’ai commencé ce travail parce que je viens d’un milieu qui cache beaucoup d’émotions. J’ai grandi dans cet univers. Dans mon dernier spectacle, je ne voulais pas seulement que les gens disent : « On a ri », mais qu’ils se sentent bien en sortant. Lorsqu’on a discuté du projet, j’étais dans une phase où j’étais prêt à le recevoir. Cela a validé un processus dans ma tête. J’étais prêt à endosser ce rôle. C’est en moi, en profondeur. Ma mère, maintenant retraitée, était infirmière.

**F.L. :** Ce qui m’a le plus bouleversée concernant ce thème a été l’aspect médical. J’ai énormément appris en écrivant cette série. On est souvent exposé à des gros titres comme : « Il a tué ses enfants. » C’est voyeur et peu nuancé. Comprendre la maladie, sans l’excuser, mais réaliser que ces individus souffrent d’un trouble mental qui les pousse vers de telles actions… C’est un réveil brutal lorsque la réalité évoque les traitements de ces personnes. J’ai rencontré de véritables patients, et le personnel soignant m’a profondément marquée. Leur dévouement dans le milieu psychiatrique est impressionnant.

**T.N. :** Il existe deux métiers de dévotion : l’enseignement et la santé. Ces professions doivent être beaucoup plus valorisées. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas. Et quand on donne, on reçoit. Je me rappelle le discours du directeur de l’hôpital lors du départ à la retraite de ma mère. C’était émouvant : elle a donné et a reçu, et tous en étaient conscients.

**F.L. :** Elle a consacré sa vie à s’occuper des autres. C’est magnifique !