France

Mondiaux de cyclisme 2025 : Thomas Voeckler, « el tactico » du vélo.

Le 5 octobre prochain, les championnats d’Europe de Drôme-Ardèche auront lieu, pour lesquels les organisateurs ont sollicité l’expertise de Thomas Voeckler pour une reconnaissance au mois de juin. Depuis qu’il a repris l’équipe de France en 2019, Thomas Voeckler a montré qu’il était capable de s’accommoder du statut de favori ainsi que de celui d’outsider.


Le même cauchemar, 30 ans plus tard ? Nombreux sont ceux qui considèrent la course en ligne masculine des championnats du monde de cyclisme 2025 comme un nouveau Duitama, en référence à la ville colombienne qui avait accueilli l’épreuve en 1995 et qui est devenue célèbre pour ses 80 % d’abandons. À Kigali, le dénivelé (5 475 m) et l’altitude (le mont Kigali culminant à 1 771 m) rappellent la Colombie, mais il faut également compter sur un concurrent redoutable – Tadej Pogacar – et un bonus local de pollution atmosphérique qui a déjà inquiété l’ensemble du peloton, à commencer par le jeune Paul Seixas. En somme, une course si difficile qu’elle pourrait rendre caduques les stratégies des meilleurs tacticiens, y compris Thomas Voeckler.

« Ici, je suis convaincu que l’état d’esprit, plus que la tactique, sera déterminant », affirmait le sélectionneur français lors d’une interview à L’Équipe en milieu de semaine. « Je suis convaincu qu’on va abordé quelque chose d’une autre dimension, à part. Une épreuve de force, de résistance, où toutes les tactiques seront mises de côté, où les coureurs devront se surpasser mentalement en utilisant leur souffrance pour prendre le dessus. Dans la dernière heure, ce ne sera même plus une course de vélo. »

Malgré cela, Thomas Voeckler est connu pour sa capacité à toujours glisser une idée supplémentaire pour pimenter les courses cruciales. « Thomas est un stratège et je pense qu’on pourrait faire un film sur lui », confie Anthony Roux, qui avait été sélectionné par Voeckler pour les Mondiaux du Yorkshire, il y a six ans.

« Je me souviens d’un plan A qui était, en gros, tout pour Julian Alaphilippe, avec Tony Gallopin pour l’accompagner dans le final. Thomas avait vraiment pensé sa course autour de Julian. Mais il avait aussi prévu un plan B au cas où cela ne fonctionnait pas, avec des coureurs comme Tony qui devaient être protégés suffisamment longtemps pour pouvoir intervenir si nécessaire, afin que l’équipe reste un acteur de la course. » Les choses ne s’étaient pas déroulées comme prévu, la pluie et le froid avaient ravi la moitié du peloton, et les deux leaders français avaient terminé au-delà de la 20e place. Mais les fondations du système Voeckler étaient posées.

Depuis qu’il a repris l’équipe de France en 2019, après Cyrille Guimard, le quatrième du Tour de France 2011 a prouvé sa capacité à jongler avec le statut de favori, notamment avec Julian Alaphilippe, ainsi que celui d’outsider, en gardant toujours une tête froide. Aux JO 2024, l’équipe de France aurait pu être emportée par l’effervescence de la rue Lepic, mais elle a respecté le plan à la lettre : suivre les attaques des favorites (Van Der Poel puis Evenepoel) et gérer les relais derrière pour s’isoler en tête. Tout s’est déroulé comme prévu. Le favori, Remco Evenepoel, a remporté la victoire devant le duo français, Valentin Madouas-Christophe Laporte. À Kigali, l’idée d’une manœuvre française avant les 100 derniers kilomètres pour animer la course et piéger Pogacar commence à germer.

Si l’ancien maillot jaune du Tour continue de cultiver la ruse qui fit sa gloire en tant que coureur, c’est qu’il n’a jamais vraiment raccroché. Son excellente forme physique lui permet de suivre ses coureurs autant que possible lors des reconnaissances des parcours. « Il passe ses relais comme tout le monde, et ce n’est pas à deux à l’heure pendant ces sorties », précise Roux. Un moment privilégié pour se rapprocher de ses coureurs et identifier des endroits clés : lors des championnats d’Europe 2021, il avait marqué d’une croix un petit tunnel mal éclairé en début de parcours et avait demandé à Thibaut Pinot, Franck Bonnammour et Aurélien Paret-Peintre d’y mettre du désordre, avec un certain succès. Ce n’est donc pas un hasard si les organisateurs des championnats d’Europe de Drôme-Ardèche, prévus pour le 5 octobre prochain, ont sollicité son expertise pour une reconnaissance en juin.

La quête de terrain est presque obsessionnelle chez Thomas Voeckler. Lorsqu’il a rejoint France TV en 2018, il était plus logique pour lui de s’asseoir sur une des motos de la chaîne que de rester au chaud au poste de commentateur. « Il veut être au contact de l’action et des coureurs, qu’il connaît encore pour certains », témoigne le commentateur vedette de France TV, diffuseur des championnats du monde de Kigali. Sa proximité avec le peloton est essentielle dans son rôle de manager de l’équipe de France, tout en lui permettant de rester proche des coureurs français. En retour, il partage sa connaissance détaillée du vélo, une science de la course qui lui permet d’anticiper, de voir quand une échappée prend forme. Un exemple ? Lors du dernier Tour de France, il avait prédit l’attaque en solitaire de Tim Wellens lors de la 15e étape vers Carcassonne.

« Thomas Voeckler a un leadership évident », soutient Lilian Calmejane, coéquipier de Voeckler chez Direct-Energie en 2016 et membre de l’équipe de France lors des championnats d’Europe en 2021. « C’est vraiment là où il est le plus impressionnant, sur sa capacité à fédérer un groupe et à trouver les mots pour motiver ses coéquipiers. » Son autorité naturelle est issue de ses années d’activité dans le peloton. Anthony Roux analyse : « Thomas était fort, mais sa manière de gagner des courses grâce à sa réflexion tactique, plus qu’à une seule force physique, fait qu’on l’écoute plus facilement qu’un coureur qui était seulement très puissant. »

Cette confiance des coureurs envers leur sélectionneur peut aussi être le fruit de l’attention d’un mentor exigeant qui veille sur eux à l’approche des grandes échéances. Il est le genre à transporter lui-même les valises de ses protégés à leur arrivée à Kigali et à chercher un cuisinier guadeloupéen installé au Rwanda pour s’assurer que les coureurs mangent des produits de qualité, semblables à ceux du marché de Rungis. Bien manger, bien dormir, Thomas Voeckler contrôle tout ce qu’il peut, conscient de son impact limité le jour de la course sur les 267,5 km de Kigali. À moins que cette gestion précise fasse partie de son plan. Avec lui, l’incertitude demeure.