Bruxelles et Marseille renforcent leur collaboration : les criminels ne seront pas tranquilles.
Julien Moinil, le procureur du Roi de Bruxelles, a rencontré Nicolas Bessone, le procureur de Marseille, pour renforcer la collaboration entre leurs parquets, notamment à travers un échange accru d’informations policières et judiciaires. Lors de leur rencontre, ils ont discuté de leurs systèmes législatifs respectifs, M. Moinil plaidant pour une réforme de la législation belge sur la criminalité organisée en s’inspirant de la nouvelle loi française adoptée en avril 2025.
Face aux quelques journalistes présents, Julien Moinil et Nicolas Bessone se présentent avec le sourire. Les deux hommes, bien que séparés par vingt ans, se connaissent et s’apprécient. « J’avais eu la chance de faire un stage à Orléans où M. Bessone était procureur de la République« , déclare d’emblée le procureur du Roi de Bruxelles.
Les deux journées de travail dans la capitale belge se sont bien déroulées : « l’entente est maximale, fraternelle« , souligne M. Moinil. « Je suis vraiment ravi, répond son homologue marseillais. Nous avons des objectifs, des intérêts communs. Nous sommes face à un système. La riposte doit être systémique. »
À cette fin, les deux magistrats annoncent renforcer la collaboration entre leurs parquets, avec un échange accru d’informations policières et judiciaires. « On va travailler à la fois sur l’analyse, le renseignement, l’obtention d’informations, mais aussi les utiliser dans un aspect plus réactif d’investigation« , explique Julien Moinil. « On doit simplement envoyer un message très simple. Qu’ils soient à Bruxelles ou à Marseille, les criminels ne seront pas tranquilles. On veillera à s’attaquer à leurs structures, où qu’elles soient, où qu’elles se trouvent. »
On a avancé sur les dossiers
Les rencontres de jeudi et vendredi ont déjà permis aux équipes de Bruxelles et de Marseille de se rencontrer et de poser les bases d’une méthodologie commune pour leur partenariat. « Dans la coopération internationale, il faut qu’on se connaisse. Il faut qu’on ait une confiance mutuelle« , explique M. Bessone. « Et là, c’est pleinement réussi. L’ensemble de mes collègues du parquet de Marseille ont rencontré des collègues spécialisés du parquet de Bruxelles. On a avancé sur les dossiers.«
Des liens importants entre les réseaux bruxellois et marseillais
La principale raison de l’alliance entre les parquets de Bruxelles et de Marseille réside dans les liens de plus en plus évidents entre les organisations criminelles implantées dans la capitale belge et celles de la cité phocéenne.
Première connexion : l’échange de petites mains. « On les qualifie de jobbeurs« , souligne le procureur français. Après une violente guerre de gangs et une série d’assassinats en 2023, ces organisations criminelles ont recruté de la main-d’œuvre. « La question est de savoir si c’était un recrutement opportuniste de jeunes Belges ou s’il s’agit d’une véritable filière. » Comme mentionné dans l’émission « Jeudi en Prime », en deux ans, une cinquantaine de Belges ont été arrêtés par la justice marseillaise dans le « Grand Sud« . Parmi eux, une vingtaine de Bruxellois, dont deux hommes armés de Kalachnikov, venus pour poursuivre un contrat.
A l’inverse, des Marseillais sont également établis à Bruxelles. « Une cité marseillaise (ndlr : la Castellane) a des liens avec un certain quartier, haut lieu du trafic de drogue bruxellois (ndlr : le Peterbos) », poursuit Nicolas Bessone. « Il y a des liens familiaux très importants, ajoute Julien Moinil. Il y a des liens opérationnels, ainsi que des modes d’importation de méthodes à Bruxelles, puisque le phénomène des fusillades a émergé il y a quatre ans. Il y a une structure, mais c’est à nous de travailler pour éviter qu’elle ne se développe.«
Selon le procureur du Roi, plusieurs dizaines de Français, avec des profils d’exécutants, ont également été arrêtées en Belgique. « Rien que dans un dossier, on en a eu dix.«
La rencontre a également permis aux deux hommes de comparer leurs systèmes législatifs respectifs. En avril 2025, la France a mis en place une nouvelle loi pour lutter contre le narcotrafic. Cela inclut la création d’un parquet national anticriminalité organisée, des prisons de haute sécurité, et un renforcement de la lutte contre le blanchiment d’argent, avec un arsenal de mesures spécifiques.
Ce qui me glace le sang, c’est de voir des assassinats depuis une cellule
Julien Moinil jette un regard envieux sur certaines de ces mesures : « La France a le mérite de renforcer sa législation, de la durcir. Par rapport au crime organisé, c’est ce que je réclame. Un délinquant qui vole un sac sans violence est traité de la même manière que le chef d’un groupe criminel international. Est-ce que c’est normal ? Après un tiers de sa peine, il peut sortir. Ce n’est pas dissuasif du tout.«
Le procureur du Roi plaide pour durcir la loi sur ce point, notamment pour les peines de prison concernant la participation à une organisation criminelle, actuellement punie de trois ans en Belgique contre cinq en France. Il désire également placer les principaux dirigeants du trafic de drogue (environ cinquante personnes), emprisonnés, en régimes de haute sécurité. « Ce qui me glace le sang, c’est de voir des assassinats depuis une cellule.«
Une autre demande pressante du magistrat bruxellois concerne les détentions préventives. En Belgique, l’auteur présumé d’un assassinat est arrêté et placé sous mandat d’arrêt, avec une examen régulier de sa détention par la chambre du Conseil et d’autres juridictions, presque tous les quinze jours, selon M. Moinil. « C’est extrêmement lourd, très chronophage, c’est du temps perdu pour des affaires graves. Toute cette énergie pourrait être investie dans les investigations. Je suis partisan d’un système français pour les affaires graves, permettant aux juges d’instruction d’investiguer sans interruptions pour réexaminer la détention préventive.«
« Je me demande comment vous faites« , lui répond Nicolas Bessone, en expliquant qu’en France, la détention préventive n’est réévaluée qu’une fois par an pour les faits les plus graves.
Un nouvel appel au monde politique
Les revendications de Julien Moinil s’adressent au gouvernement fédéral et surtout à la ministre de la Justice, Annelies Verlinden (CD&V). Le magistrat à la tête du parquet de Bruxelles ne comprend pas pourquoi ils n’agissent pas plus rapidement. « Quand nos politiques belges veulent vraiment quelque chose, ils n’hésitent pas. Il y a certains sujets où, tout de suite, on a eu la loi« , constate-t-il. « Je ne vois rien qui sort. J’attends avec impatience la concrétisation de l’accord du gouvernement qui prévoit ce que je vous dis.«

