Belgique

Romane rentre de Gaza : « Les insectes ne sont pas traités ainsi ! »

Romane est arrivée à Gaza en novembre 2024 pour travailler en tant que coordinatrice de terrain pour l’ONG Première Urgence Internationale. Depuis le 22 août 2025, l’ONU a officiellement déclaré la famine dans la Bande de Gaza.

J’avais l’impression d’être dans un film

Romane se souvient très bien de son arrivée à Gaza. Nous sommes en novembre 2024. Elle met un casque, enfile un gilet pare-balles et monte dans un 4×4 blindé. « Là, je commence à entendre les bombardements à gauche, à droite. J’entends les avions. On rentre dans Gaza et là, je ne vois que de la destruction, partout, partout. J’avais l’impression d’être dans un film… Je ne pensais pas que c’était possible d’arriver à un tel niveau de dévastation.« 

Sur place, Romane est à la tête d’une équipe pour l’ONG Première Urgence Internationale. Elle agit en tant que coordinatrice de terrain. Son organisation s’efforce de réaliser plusieurs projets : cliniques pour des soins de santé primaire, ramassage de déchets, ainsi que des distributions d’eau et de nourriture. « Quand il y en avait« , précise Romane. « Mon job, c’était vraiment de la gestion du quotidien. Ça allait de comment est-ce qu’on rationne le peu de sucre qu’il nous reste, à gérer une invasion terrestre.« 

Romane effectue ce que le jargon appelle « des rotations ». Elle reste de 6 à 8 semaines sur place, puis rentre quelques jours en Belgique avant de retourner à Gaza. Les mois passent et la situation ne fait que se dégrader. « Je voyais mes collègues maigrir de plus en plus. Certains faisaient des malaises au travail. Un collègue m’a dit qu’il voulait dormir et ne plus jamais se réveiller. Tout le monde est épuisé. J’entendais de plus en plus des enfants qui hurlaient autour de moi. On ne mangeait qu’un seul repas par jour, mais on s’estimait chanceux parce que beaucoup n’ont pas ça.« 

Première prise de parole publique

Romane a longtemps partagé son quotidien uniquement avec ses proches. « On évite de trop parler parce qu’à chaque fois qu’on rentre dans Gaza, Israël ‘screene’ tout, nos réseaux sociaux etc. Mais à un moment, c’est devenu trop… Même les insectes ne sont pas traités comme ça.« 

Elle décide alors de réaliser une vidéo pour “Droit pour Gaza” destinée aux réseaux sociaux. Dans cette séquence, elle décrit la détresse des Gazaouis et l’impuissance des travailleurs humanitaires qui sont à bout, tout en incitant les internautes à faire pression sur leurs gouvernements pour qu’un cessez-le-feu durable soit mis en place. La vidéo atteint plus de 45 000 vues au moment de la rédaction de cet article, accompagnée de nombreux partages et commentaires.

Romane sait qu’elle passe ses derniers jours sur place. Le sentiment de résignation face à l’impunité des autorités israéliennes est de plus en plus marqué : « Quand je vois qu’on organise une famine, qu’on empêche les humanitaires de faire leur travail et que rien ne bouge, ce n’est pas possible en fait. Je ne sais plus ce qu’il faut dire. Je ne sais plus ce qu’il faut faire… Il y a des gens, là ! Moi, je les ai vus ces gens qui souffrent ! Mes collègues me demandaient : ‘On va où Romane ? Qu’est-ce qu’on fait ?’ Et on ne sait plus quoi leur répondre parce qu’on ne sait pas où tous ces gens vont aller.« 

Un des facteurs qui a encore accru la colère de la travailleuse humanitaire, ce sont les colis alimentaires largués par avions. « Pour moi, c’était vraiment dire : ‘Voilà, on fait quelque chose’. Mais non, en fait ! De nouveau, il n’y a pas assez ! On parle de deux millions de personnes ! Puis, ces colis, on ne sait jamais où ils vont tomber. Certains ont pu tuer ou blesser des gens. D’autres tombent dans la mer ou dans des zones militaires auxquelles on n’a de toute façon pas accès. Quand ils tombent, ils explosent au sol. Toute la nourriture est éparpillée et les gens doivent ramasser de la farine mélangée à du sable. Certains se battent tellement la situation est désespérée. Sans compter les denrées déjà périmées. C’est très humiliant.« 

La voix de ses collègues

Aujourd’hui, Romane est rentrée chez elle. Les adieux avec ses collègues ont été particulièrement douloureux. Elle leur a promis d’être leur porte-parole tant qu’Israël empêchera toute possibilité de documenter la situation sur le terrain. « Les journalistes ne peuvent plus entrer dans Gaza. Quand ils y sont encore, ils sont pris pour cible. Je dois témoigner de ce qu’il se passe sur place. J’ai besoin que les gens sachent. Ce ne sont pas ‘juste’ des vidéos qu’on voit sur les réseaux sociaux, à la TV ou dans les journaux. Il y a des gens qui vivent l’horreur tous les jours. Il faut un cessez-le-feu. Il faut rouvrir les frontières pour apporter un peu de répit à ces gens qui ont bien trop souffert déjà.« 

Israël continue de bloquer l’aide humanitaire. Depuis le 22 août 2025, l’ONU a officiellement déclaré la famine dans la Bande de Gaza. Les experts des Nations Unies, la Rapporteuse spéciale de l’ONU, Amnesty International, Human Rights Watch, Oxfam et de nombreuses autres organisations humanitaires sur place indiquent qu’Israël est en train de commettre un génocide. Plus récemment, l’Association internationale des chercheurs sur le génocide a conclu que les critères juridiques permettant de déterminer qu’Israël commet un génocide à Gaza sont bel et bien remplis.