Les sectes existent-elles encore aujourd’hui après les tueries des années 90 ?
L’Ordre du Temple Solaire a été identifié comme une secte responsable de plusieurs suicides collectifs, notamment avec la découverte de 23 corps en Suisse le 5 octobre 1994. Le Centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles (CIAOSN) signalent que le nombre de signalements concernant les dérives sectaires n’a jamais diminué depuis la création du centre.
L’Histoire continue se penche sur l’affaire de l’Ordre du temple solaire, une secte qui a provoqué d’importants débats. La Belgique a même mis en place une commission d’enquête parlementaire sur le sujet des sectes, qui a formulé de nombreuses recommandations toujours pertinentes aujourd’hui.
**Suicide collectif ou tuerie de masse ?**
Le 5 octobre 1994, une sinistre découverte fait les gros titres. À Fribourg, en Suisse, un incendie se déclare dans une grange. Un voisin donne l’alerte. Un policier, cherchant à identifier les propriétaires, force l’entrée de la ferme voisine. Il emprunte un couloir et trouve d’abord des capes noires et blanches accrochées à un porte-manteau, ainsi que des croix de Templiers et des figures christiques sur les murs. Dans la pièce suivante, il découvre 23 corps disposés en cercle, comprenant des hommes, des femmes et même des familles avec leurs enfants.
Quelques heures plus tard, un scénario similaire se reproduit dans une autre vallée suisse, à Salvan. 25 personnes y trouvent la mort, le plus âgé étant âgé de 70 ans et le plus jeune de 4 ans. Le nom d’une mystérieuse secte ressurgit : l’Ordre du Temple Solaire. Des éléments différents de l’hypothèse d’un suicide collectif ou d’un délire mystique émergent. Par exemple, plusieurs victimes ont été abattues par 9 balles de revolver, leurs mains étant ligotées et certains corps déplacés. Et comment expliquer le suicide des enfants ?
Le scénario s’aggrave bientôt en France, dans le Vercors et au Canada, où un bébé de trois mois est tragiquement retrouvé avec un pieu dans le cœur, car la secte le considérait comme l’antéchrist.
Joseph Di Mambro est rapidement identifié comme le gourou de l’Ordre du Temple solaire. Un autre personnage, Luc Jouret, médecin homéopathe belge ayant également la nationalité suisse, émerge à ses côtés. Ce portrait d’un manipulateur charismatique a conduit ses adeptes vers la mort, dans la peur d’une apocalypse imminente, avec l’ambition de survivre à la mort pour accéder à une « nouvelle dimension d’existence fantastique ».
**Sectes : pourquoi on n’en entend plus parler ?**
Les années 90 ont été marquées par la révélation de nombreux phénomènes sectaires, suscitant une couverture médiatique intense. Actuellement, la presse ne rapporte plus autant, ni avec la même force, les problématiques des dérives sectaires. « Pourtant, elles sont toujours là », déclare Kerstine Vanderput, directrice du Centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles (CIAOSN). Ce centre fonctionne comme un « thermomètre » pour mesurer l’ampleur du phénomène en Belgique.
Selon Alain Lallemand, journaliste au quotidien Le Soir et auteur du livre « Les sectes en Belgique », il s’agit d’un phénomène oscillant. « Dans les années 70, la presse belge était très préoccupée par les sectes. Cette attention s’est estompée dans les années 80. On observe de nouveau une forte mobilisation dans les années 90. Plusieurs raisons expliquent cette dynamique : des groupes issus des philosophies les plus innovantes des années 60 ont tenté de développer des projets de vie alternatifs. Cela n’a pas à être jugé. La commission d’enquête précise que ‘nous n’avons pas de fonction normative et nous n’avons pas de fonction moralisatrice’. Cependant, à partir du moment où des existences se basent sur un rejet total du monde actuel, il est possible d’adopter des éléments de discours, des concepts, et des pseudo-sciences qui mettent les populations en danger, sans que l’on s’en rende compte à l’époque. »
**Qu’est-ce qu’une secte ? (ou l’importance du cadre)**
Pour bien appréhender le phénomène, il est nécessaire de définir ce qu’est une secte. Kerstine Vanderput souligne l’importance du cadre de référence. La Belgique a été pionnière en établissant une définition : « On est tous sectaires de quelque chose, on est tous sectaires de quelqu’un. Pour éviter des discussions interminables, ce cadre a été donné. » On parle ainsi d’organisations ayant des fondements spirituels ou religieux, se considérant comme telles, qui, dans le cadre de leurs activités, pourraient nuire à la coexistence pacifique, parfois par des actes de violence, mais pas uniquement. Cette violence peut être dirigée contre soi, contre son cercle proche, et contre la société. Ce dernier point est crucial pour saisir que cette dérive sectaire est toujours d’actualité.
Alain Lallemand ajoute un élément alarmant : « Y a-t-il un impact positif pour quelqu’un qui va tirer les marrons du feu ? » Cela peut impliquer un gain financier ou des faveurs sexuelles, par exemple.
**Le phénomène sectaire, reflet de notre société**
Ces dérives sectaires ont une connotation moderne, s’accrochant à la liberté de croyance et à son exercice. « La dérive sectaire se greffe sur cet exercice de croyance, en écho avec la société », explique Kerstine Vanderput.
La question est complexe, touchant à la liberté de conscience et de religion. Où finit la religion et où commence la secte ? « Les sectes posent un problème, car elles introduisent des réalités alternatives, comme on le voit depuis dix ans dans nos sociétés », souligne Alain Lallemand.
Nous avons peut-être aujourd’hui une vision « un peu surannée » du fonctionnement d’une secte, incarnée par un gourou. « En réalité, l’organisation peut être très moderne, utilisant tous les outils de communication et de recrutement », précise Kerstine Vanderput.
Le phénomène sectaire a été particulièrement amplifié par les réseaux sociaux. « Il y a un phénomène d’emprise beaucoup plus rapide, ce qui rend plus difficile pour le CIAOSN de collecter et de restituer l’information », conclut-elle.
Le CIAOSN, considéré comme l’Observatoire des sectes en Belgique, gère les demandes d’informations du public, des autorités, des journalistes, des chercheurs et des étudiants concernant les dérives sectaires. Depuis la création du centre, les signalements sont constants. « Le thermomètre n’a jamais baissé », conclut la directrice.
**Écoutez l’intégralité de ce podcast et d’autres numéros de L’Histoire continue sur Auvio, dans le lecteur ci-dessous, ou sur La Première, le samedi de 9h à 10h.**

