France

Procès du chantage à la sextape : le piège qui a « détruit » Gilles Artigues.

Au tribunal correctionnel de Lyon, le procès du « chantage à la sextape » se déroule depuis lundi. Gilles Artigues, ancien premier adjoint de Gaël Perdriau, témoigne ce vendredi matin sur les faits qu’il a vécu, affirmant : « Il y a eu ce massage, certes, érotique. »

Au tribunal correctionnel de Lyon,

Lors du cinquième jour du procès du « chantage à la sextape » à Lyon, un silence pesant règne dans la salle d’audience lorsque Gilles Artigues prend la parole. L’ancien premier adjoint de Gaël Perdriau, qui a été filmé à son insu en janvier 2015 avec un escort boy dans une chambre d’hôtel, va enfin partager son récit, avec deux jours de retard sur l’ordre du jour prévu. L’attente est palpable.

Depuis le début du procès lundi, il a écouté les témoins, y compris Gilles Rossary-Lenglet et Samy Kéfi-Jérôme, instigateurs de ce piège, ainsi que Pierre Gauttieri, le directeur de cabinet, et le maire de Saint-Etienne, qui seraient les commanditaires afin de le « neutraliser » politiquement.

Un lien de confiance avec Samy Kéfi-Jérôme

Debout, l’ancien député prend finalement la parole ce vendredi matin alors qu’il avait initialement prévu de laisser son avocat s’exprimer. « J’ai souhaité relater les faits devant le tribunal afin que vous sachiez ce que j’ai vécu pendant toutes ces années… Ce cauchemar, cet enfer, ce chantage », déclare-t-il d’une voix assurée.

Avant d’aborder cet épisode, Gilles Artigues évoque son parcours politique, marqué par une alliance avec Gaël Perdriau, et commente sa relation avec Samy Kéfi-Jérôme, ex-adjoint à l’Éducation, qu’il décrit comme un « ami ». « Mes enfants le considéraient comme un grand frère », confie-t-il. À cette époque, les deux hommes étaient très proches, échangeant même sur des sujets intimes comme la relation de Samy Kéfi-Jérôme avec Gilles Rossary-Lenglet. « J’étais étranger à toutes ces questions liées à l’homosexualité. J’ai été élevé dans une famille où ce sujet était tabou. J’étais ignorant et je lui posais des questions », poursuit-il.

Le 5 janvier 2015, alors qu’ils sont en déplacement professionnel à Paris, Gilles Artigues accepte sans hésitation de monter dans la chambre de son collègue avant le dîner. Un jeune homme, que Gilles Artigues pense être un ami de Samy Kéfi-Jérôme, se trouve là. « On parle, puis les choses évoluent… ». Gilles Artigues marque une pause dans son récit et prévient : « Ça va être dur ce que je vais dire devant ma famille. » Il reprend, la voix chargée d’émotion : « Il y a eu ce massage, certes, érotique. Aujourd’hui, j’ai fait le chemin pour dire « oui, j’ai été curieux, je n’ai pas résisté à ce massage ». Je pense que je l’ai voulu. »

« Et là, c’est la fin de ma vie »

En « septembre ou octobre 2016 », il raconte que Samy Kéfi-Jérôme lui montre les images filmées à son insu. « Et là, c’est la fin de ma vie », souffle-t-il. « Quand je suis sorti de chez lui, j’ai eu envie de passer sous le tramway », confie-t-il, évoquant les « contreparties politiques » que l’adjoint lui demandait pour ne pas diffuser la vidéo. Samy Kéfi-Jérôme, assis deux rangs derrière Gilles Artigues, écoute, la tête baissée.

L’ancien député décrit la honte, la dépression, la peur constante d’une éventuelle diffusion de la vidéo. En décembre 2016, il choisit d’en parler à Gaël Perdriau, son « ami ». « J’attendais une aide, je n’ai rien eu, lâche-t-il. À partir de là, je me suis demandé s’il était dans le coup. » À cette époque, leurs relations se dégradent. Quelques mois plus tard, après une réunion où des désaccords ont émergé, le maire lui aurait lancé : « Ce que tu viens de me faire là, tu ne le refais plus jamais. Sinon je diffuse la vidéo ». « J’ai vraiment eu envie de concrétiser cette idée de m’éliminer », confie Gilles Artigues devant le tribunal. Gaël Perdriau reste impassible, les mains sur les cuisses.

Des choix politiques sous contrainte ?

Gilles Artigues poursuit son témoignage. Il commence à enregistrer certains échanges avec le maire pour « laisser une trace à [sa] famille » dans l’éventualité où il viendrait à agir sur un coup de tête. Des extraits de ces enregistrements ont été présentés lors du procès, mentionnant une éventuelle diffusion de la fameuse vidéo « en petits cercles », ainsi que l’idée de passer Gilles Artigues « au napalm ».

Les menaces, selon lui, ont influencé toutes ses décisions politiques. En 2017, il accepte un accord « sous l’inquiétude de la vidéo ». En 2020, il affirme que Gaël Perdriau lui aurait déclaré, au moment où il souhaitait rendre public leur accord : « Si tu publies l’accord, je publie la vidéo ». Et en 2022, alors qu’il envisage un retour aux législatives, il dit avoir été freiné par le maire jusqu’à sa démission de son poste de premier adjoint à Saint-Etienne. « Je n’ai pas eu le choix », déclare-t-il au tribunal.

En août de la même année, contacté par Mediapart, Gilles Artigues réalise que l’affaire ne pourra plus rester secrète. « Ça a été un choc. C’était encore pire si un article sortait et diffusait les vidéos. Qu’est-ce que j’allais devenir ? », raconte-t-il, en portant ses mains à son visage. C’est à ce moment-là qu’il se confie, pour la première fois, à son épouse. « Elle a eu une réaction extraordinaire et m’a dit :  »on va se battre et on va porter plainte. » »

« Il faut que la justice passe »

Après deux heures d’audition, la présidente du tribunal, Brigitte Vernay, lui demande s’il a réfléchi, dans toutes ces renoncements, sur « la part de la honte, la gêne, le regret » et celle « de la vie normale d’un politique dans une époque politique particulière ». « Bien sûr, j’y ai réfléchi », répond-il. « Les moyens utilisés ne sont pas de la politique. J’avais peur que ce soit divulgué. » Les avocats de la défense soulignent ses contradictions, en particulier sur les raisons de sa démission en 2022 et sur le fait qu’il n’a pas mentionné la vidéo dans sa plainte. « J’ai supplié Mediapart pour que ça ne paraisse pas », se justifie-t-il. « Je voulais que ça ne se sache jamais. »

Trois heures après son mari, Mireille Artigues prend la parole. Elle décrit un foyer « contaminé par la dépression » de Gilles, un mari devenu distant. « C’est comme si un poison s’était immiscé dans les moindres recoins de cette famille. J’ai eu l’impression de voir mon mari se noyer sans pouvoir rien faire », témoigne-t-elle, la voix brisée. Puis, elle évoque le moment où il lui a tout révélé. « D’abord, ça a été un choc. Mais tout s’est éclairé. Et effectivement, je lui ai dit qu’il fallait se battre. Autant vous dire que ces trois années n’ont pas été faciles. » Leurs enfants, présents dans la salle, ont également souffert. « Être en pleine adolescence et entendre des rumeurs ignobles sur son père… C’est une horreur, reprend Mireille Artigues. Des gens les provoquent, se moquent… Moi, je n’en peux plus. Je suis épuisée de ça. J’aimerais qu’on arrive à la fin de notre cauchemar, de la souffrance de notre famille. »

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Elle se tourne alors vers les prévenus : « J’aimerais dire à Pierre Gauttieri qu’il a mon pardon, parce que j’ai senti ses excuses sincères. Je pense à ses enfants, à son épouse et à la famille de Gaël Perdriau aussi. Parce que pour eux non plus, ce n’est pas facile. Il faut que la justice passe. » Le procès doit se poursuivre jusqu’à mardi.