Nafissatou Thiam : enquête sur un abandon qui trouble l’athlétisme belge
L’Adeps organise une sorte de team building pour les sportives et sportifs de haut niveau une semaine après les Mondiaux d’athlétisme. Le code de conduite de Belgian Athletics impose aux athlètes de ne pas parler d’autres partenaires commerciaux que ceux de la fédération.
Notre enquête débute sur les rives de l’ancien canal à Seneffe. Une semaine après les Championnats du monde d’athlétisme, l’Adeps organise une sorte d’événement de cohésion pour les athlètes de haut niveau. Certains viennent de Tokyo. Lorsque le sujet est abordé, les visages se ferment inévitablement : « Je vais être honnête, ce n’était pas la meilleure ambiance car il y a eu de nombreux événements extra-sportifs », confie Eliott Crestan, athlète spécialiste du 800 mètres. « Mais nous avons tous essayé de rester concentrés. » « Pour ma part, ça s’est bien passé, mais je n’irai pas jusqu’à dire qu’il n’y avait pas de tensions », ajoute Élise Vanderelst, spécialiste du 5000 mètres.
L’éléphant dans la pièce est le départ en larmes de la championne olympique d’heptathlon, Nafissatou Thiam. Comment en est-on arrivé là ?
### Un code de conduite à l’origine des désaccords
Quelques jours avant de fouler la piste, l’athlète signalait déjà des tensions avec sa fédération nationale. Ces tensions trouvent leur origine dans un document : le code de conduite de la fédération belge.
Nous avons pu obtenir ce code de conduite. Le point le plus controversé aux yeux de Nafissatou Thiam est qu’il impose aux athlètes de ne pas représenter, ni publier sur leurs réseaux sociaux, des marques autres que celles partenaires de Belgian Athletics.
Les partenaires de la fédération belge d’athlétisme sont directement concurrentiels avec les deux principaux sponsors de Nafissatou Thiam : les équipementiers Asics et Nike, ainsi que les compagnies d’assurances Allianz et AXA. Si elle acceptait ce code, cela reviendrait à se heurter à ses propres sponsors.
« Nafissatou Thiam est engagée avec ces sponsors depuis de nombreuses années », souligne Grégory Ernes, son avocat. « Les sponsors l’aident financièrement. » Pour l’athlète, il est donc vital de conserver ces sources de revenus essentielles à sa subsistance.
Preuve de l’importance de ce sujet, les photos que Nafissatou Thiam partage sur ses réseaux sociaux sont modifiées pour exclure sesSponsors concurrents en dehors des périodes de compétition. « Le talent d’un athlète appartient à l’athlète. Lorsqu’il réussit, il doit pouvoir en tirer profit », estime Me Grégory Ernes.
Malgré le refus de signer le code de conduite par l’équipe de Nafissatou Thiam, la fédération belge a proposé de se rencontrer pour négocier un amendement spécifique à l’athlète. Toutefois, ces négociations n’ont pas eu de résultat. Nafissatou Thiam a finalement été autorisée à participer à la compétition sans avoir signé le code de conduite.
### Pas de passe-droit
Avec ces éléments en main, nous avons tenté d’entrer en contact avec Jessica Mayon, présidente de la Ligue Francophone d’athlétisme, qui avait accordé plusieurs interviews au Japon. Depuis son retour, elle ne souhaite plus commenter la situation. Une personne de son entourage a toutefois fourni des précisions sur les négociations entre le clan Thiam et la fédération.
Concernant l’incident avec le kiné, il semble que Jessica Mayon ait cherché une solution satisfaisante pour tous sans accorder de passe-droit à Nafissatou Thiam. « Le kiné qui s’occupait des frères Borlée est un ami de Nafissatou. Madame Mayon lui a demandé de s’occuper personnellement d’elle », révèle notre source anonyme. « Donc, il n’y a pas de passe-droit. Si nous en faisons un pour 50 athlètes, nous ne pourrions pas financer ! »
Pas de passe-droit donc, mais Jessica Mayon aurait tout de même proposé d’ajouter des exceptions au code de conduite pour Nafissatou Thiam. C’est pourquoi une réunion a eu lieu à la mi-août pour discuter d’un avenant que l’équipe de Nafissatou Thiam a finalement refusé.
Preuve des tensions persistantes entre les deux parties, une image montre le kiné personnel de Nafissatou Thiam contraint de la soigner sur le sol, faute d’accréditation. Son avocat y voit une « mesure de représailles claire » de la part de Belgian Athletics. « Ce que nous reprochons à la fédération belge, c’est de ne pas avoir anticipé la situation bien avant août », ajoute-t-il. Par la suite, Nafissatou Thiam abandonnera après l’une de ses pires performances.
### Négociations compliquées
Nous avons pu consulter plusieurs emails échangés entre début août et le départ des équipes pour le Japon. Si les discussions commencent de manière cordiale, l’atmosphère se dégrade rapidement. Une semaine après la fameuse réunion, aucun accord n’est trouvé.
La question de la cohésion au sein de la fédération est mise en avant, notamment par un communiqué d’Atletiek Vlaanderen. « Lors d’un tournoi international, les représentants des ligues agissent toujours au nom de Belgian Athletics d’une seule voix. Ce principe a été enfreint à Tokyo », déplore la ligue flamande. « Pour restaurer l’unité belge, il est nécessaire qu’Atletiek Vlaanderen se garde de tout commentaire tant que la confiance n’est pas rétablie. La concertation avec la Ligue Francophone d’Athlétisme est désormais la priorité. »
La ministre francophone des Sports, Jacqueline Galant, souhaite intervenir en tant que médiatrice. « Nous soutenons cette initiative. Nous pensons qu’elle discutera avec la Ligue Francophone », déclare Atletiek Vlaanderen.
Un conseil d’administration de Belgian Athletics était prévu ce lundi, mais il est reporté en raison de la rupture de confiance entre les pôles francophones et néerlandophones.

