Belgique

Plongée dans les quartiers nord de Marseille, où les trafiquants règnent.

À l’entrée de la cité de la Bricarde, un menu est affiché sur un grand panneau : « coke : 10, 30, 50€. Shit 10€ ». En septembre 2023, Socayna, une étudiante de 24 ans, a été mortellement touchée par une balle perdue alors qu’elle étudiait dans sa chambre.


C’est une image qui résume à elle seule l’ampleur du trafic de stupéfiants dans les quartiers nord de Marseille. À l’entrée de la cité de la Bricarde, des flèches taguées sur le mobilier urbain indiquent le chemin vers le point de deal. Un menu est également affiché sur un grand panneau : « coke : 10, 30, 50€. Shit 10€ ». Plus haut dans la cité, un guetteur, un jeune assis sur une chaise.

À quelques kilomètres de là, nous retrouvons Nair Abdallah, le président de l’association Ambres qui propose des activités aux jeunes du quartier Maison blanche. Le Marseillais nous décryptent cette scène : « À l’entrée de certains quartiers, il y a des check-points. On ne peut pas y entrer comme on veut ».

Amine Kessaci est, lui, le fondateur de l’association Conscience, installée à la croisée de trois cités : les Balustres, Frais Vallon et la Renaude. Il ajoute sur ces check-points : « À ces barrages, les habitants sont fouillés. Parfois, ils ne peuvent même pas recevoir leurs amis parce que ceux-ci vont être embêtés à l’entrée de la cité. C’est devenu un frein dans nos vies ».

La cohabitation n’est pas toujours sereine, surtout lorsque des règlements de compte ont lieu dans les quartiers. Nair Abdallah déclare : « Je ne dis pas qu’on est dans la tolérance, je dis qu’on est dans l’obligation d’accepter cette situation. Même la police nous dit qu’elle ne se mettra jamais entre nous et les balles de kalachnikov alors on fait avec ».

Il arrive que ces fusillades fassent des victimes collatérales. En septembre 2023, Socayna, une étudiante de 24 ans, a été mortellement touchée par une balle perdue alors qu’elle étudiait dans sa chambre. Hassen Hammou, fondateur de l’association Trop jeune pour mourir, affirme : « La cohabitation avec le trafic ne se passe jamais sereinement, on a tous en tête le drame de Socayna. On ne sait pas à tout moment de la journée, de la nuit ce qui pourrait se passer pour soi, pour ses enfants, pour son entourage ».

Pour Eric Vitale, chargé de cohésion sociale auprès de bailleurs sociaux, il y a eu un abandon des cités. Il déclare : « Les bailleurs sociaux ne se sont pas investis sur l’avenir des cités, ils ont laissé les choses évoluer alors que, dans les années 90, on savait très bien que ça commençait à dévier. Personne n’a voulu mettre en œuvre la ‘résidentialisation’ des cités. On aurait pu fermer les résidences, mettre de la vidéosurveillance,… ».

Pour Amine Kessaci qui a perdu un grand frère dans un règlement de compte, l’ampleur du problème actuel va peut-être enfin pousser les autorités à agir. Il précise : « Ça fait des années qu’on alerte et qu’on interpelle. On l’a dit, ces trafics ne sont pas des petits trafics marseillais, ce sont des trafics internationaux gérés depuis le Maroc, Dubaï, la Thaïlande. On a vu la DZ Mafia s’implanter partout en France, puis en Belgique, en Espagne ». Il ajoute : « Finalement, pour nous, et je suis navré de le dire, mais ce n’est pas plus mal que ce soit une question internationale parce que là maintenant les politiques vont être obligés d’agir ».

Le jeune homme se souvient également d’une petite phrase prononcée en 2012 par l’ancien maire de Marseille : « Il avait dit : ‘Tant qu’ils se tuent entre eux, ça ne nous dérange pas’. Et c’est ça qui est grave, on a attendu que ça touche d’autres personnes pour commencer à agir », interprète Amine Kessaci.

Pour ces militants associatifs, la précarité est la principale raison qui pousse les jeunes à rejoindre les points de deal. Eric Vitale explique : « Il n’y a pratiquement plus aucun terrain de jeux dans les quartiers, plus de vie associative non plus. La vie au quotidien dans les résidences n’est plus pensée, plus organisée. Tout le monde a démissionné de son action ».

Autre raison invoquée par Nair Abdallah, le président de l’association Ambres, ce sont les discriminations à l’embauche : « Ces jeunes, qui ont des diplômes, ne sont pas acceptés au travail. Entre Clément qui vient d’une bonne famille et un jeune qui vient du 13e ou 14e arrondissement, c’est toujours Clément qui obtiendra le job. Alors, les jeunes des quartiers regardent ce qui se passe en bas de chez eux. Les plus gros points de deal peuvent rapporter jusqu’à 80, 90, 100.000 euros par jour. Alors, forcément c’est attirant ».

Amine Kessaci de l’association Conscience complète : « Il y a aussi la question de l’engrenage. Quand ça ne marche pas trop à l’école, on peut rester assis sur une chaise dans une classe pendant huit heures par jour ou alors rester assis à l’entrée de la cité et surveiller les gens qui passent. C’est facile de tomber là-dedans puisque les réseaux s’installent, aujourd’hui, même devant les écoles, à la vue de tout le monde ».

Ce qui inquiète aujourd’hui, c’est le rajeunissement des petites mains qui travaillent pour les réseaux. Les auteurs des derniers règlements de compte n’étaient parfois pas plus âgés que 14 et 15 ans. Hassen Hammou déclare : « Aujourd’hui, des armes se retrouvent entre les mains de petits qui vont aller commettre l’irréparable ».

Autre source d’inquiétude, la facilité déconcertante pour se procurer des armes. Hassen Hammou a mené l’expérience avec des journalistes du Figaro : « On a mis 24 heures pour aller sur une cache d’armes où des jeunes, très jeunes, encagoulés nous ont présenté des armes à feux et c’était dans le cœur de ville ».

Ces militants œuvrent quotidiennement pour offrir un autre avenir aux jeunes des quartiers. Nair Abdallah veut leur rappeler qu’ils ont le choix : « Ce n’est pas parce qu’on n’a pas d’argent pour manger qu’on est forcément obligé d’aller dans des points de deal ou d’aller se mettre en danger. Ce n’est pas une honte de dire ‘j’ai faim, j’ai soif ou je ne sais pas où loger’. Nous, dans les associations, on peut trouver des solutions ».

Hassen Hammou, le fondateur de l’association Trop jeune pour mourir, lance le même message : « Rejoindre un point de deal, c’est une solution sans issue. Ce n’est pas de l’argent facile, c’est l’argent de la mort et du sang. On doit parler à cette jeunesse et lui dire qu’un autre avenir est possible ».