Belgique

La Wallonie et le climat : personne ne sera épargné, cartes des risques disponibles.

Les cartes concernant les risques climatiques sont désormais accessibles sur le Portail Climat, et peuvent être consultées par le public ainsi que par les élus locaux et divers professionnels. L’étude a révélé que 62 % de la population wallonne, soit plus de 2.250.000 personnes, vivent dans un secteur statistique avec une vulnérabilité sociale élevée à très élevée face au changement climatique.

Les cartes sont maintenant accessibles sur le Portail Climat. Chacun peut les consulter à tout moment, zoomant sur sa commune ou son quartier. Les élus locaux ainsi que les agriculteurs, les responsables des réseaux d’électricité et les urbanistes sont également invités à les examiner.

Les experts ont analysé les risques liés aux vagues de chaleur, aux inondations, aux incendies, ainsi qu’aux impacts sur les logements, la santé, l’agriculture, la biodiversité et les infrastructures, tout en tenant compte des vulnérabilités sociales et des effets économiques. « Ce travail avait jamais été réalisé avec une telle précision territoriale et une telle transversalité entre les secteurs, affirme Dominique Perrin, conseiller en politiques climatiques à l’Awac.

Les inondations survenues dans le bassin de la Vesdre ont constitué un électrochoc : les conséquences du changement climatique ne se manifestent pas uniquement à l’autre bout de la planète. Pourtant, nous ne sommes probablement pas encore suffisamment conscients d’autres risques, comme celui des incendies. Les experts espèrent que ce diagnostic de nos vulnérabilités éveillera les esprits.

Il est à noter que le climat en Wallonie se réchauffera plus rapidement que dans le reste du monde. Alors qu’une augmentation de 2 degrés est prévue globalement (par rapport à l’ère préindustrielle, 1850-1900), cela signifie une hausse de 3 degrés en Belgique et même de 4 degrés en été en Ardenne.

Trois scénarios de réchauffement ont été envisagés dans cette étude : des augmentations de température de + 2, + 3 et + 4 degrés au niveau mondial.

Voici un résumé succinct de ces futurs possibles pour chaque scénario :

Loading…C’est ce qu’on appelle le phénomène d’îlot de chaleur urbain.

Des villes aux villages, des plus précaires à l’ensemble de la population

Actuellement, on observe ce phénomène dans les centres urbains des grandes villes. Cependant, il va progressivement se propager aux zones plus rurales. Les cartes ci-dessous illustrent cela, en se concentrant sur la ville de Liège et sa périphérie.

Loading…ce sont les populations les plus précaires qui seront les plus touchées. Dans un monde à + 2 degrés, 54% des ménages les plus précarisés seront exposés à un aléa de chaleur moyen élevé à élevé, contre 30% en moyenne et 2% des ménages les plus favorisés. Dans un futur à + 3 degrés, le phénomène n’épargnera plus personne : 98% des personnes très vulnérables seront touchées, alors que la moyenne toutes classes confondues s’élèvera à 87%.
Loading…ce 14 juillet 2021 où l’eau a ravagé la vallée de la Vesdre, faisant 39 morts et près de 100.000 sinistrés : les inondations.

Une probabilité ‘très faible’ correspond à ce qui s’est passé en 2021

Jacques Teller, professeur d’urbanisme à l’ULiège

Actuellement, 500.000 personnes, soit 31% de la population wallonne, sont exposées à des risques d’inondation, que ce soit par débordement d’un cours d’eau ou par ruissellement de l’eau sur le sol.

« Cela comprend les personnes exposées à un risque très faible. Mais ‘très faible’ ne signifie pas ‘pas de risque’, explique Jacques Teller. Ça veut dire que la probabilité est très faible mais cette probabilité correspond à ce qui s’est passé en 2021. »

La cartographie des risques d’inondation en Wallonie est basée sur des données historiques et ne prend pas encore en compte les risques futurs liés aux changements climatiques. C’est l’une des recommandations de la commission parlementaire « Inondations« . Le travail doit être effectué. Cependant, l’université de Gembloux Agro-Bio Tech a déjà produit des cartes indiquant que le risque d’inondation augmentera, en se basant sur l’indicateur que représente le ruissellement de l’eau.

Loading…Ce risque d’inondation accru menace aussi nos entreprises : selon une première analyse à peaufiner, 28% des entreprises wallonnes se trouvent actuellement dans des zones à risque d’inondation.

L’étude note par ailleurs qu’en l’occurrence, au niveau des inondations, le problème principal n’est pas le changement climatique mais l’artificialisation des sols, qui continue d’augmenter.

Départs de feu

Bien que la Wallonie ait déjà subi des inondations, elle n’a pas encore été confrontée à de grands incendies. Nous voyons encore, à distance, les incendies ravager l’Espagne ou le sud de la France. Cependant, ce risque doit également être pris en compte pour notre région. « Les cartes produites montrent que la Région wallonne est suffisamment exposée, déclare Jacques Teller. « Nous avons la chance de ne pas avoir eu de très gros incendies ces dernières années, mais il faut se préparer.

La probabilité de départs de feu est liée à la proximité entre les zones bâties et les zones forestières. « Plus l’interconnexion est forte, plus le risque de départ de feu est élevé. À cet égard, notre territoire est relativement exposé.

Nous avons la chance de ne pas avoir eu de très gros incendies ces dernières années, mais il faut se préparer.

Jacques Teller, professeur d’urbanisme à l’ULiège

Selon des données recueillies, 541.000 ménages, soit 34% des ménages wallons, se trouvent actuellement à moins de 200 mètres d’une zone à risque d’incendie « moyen-élevé«  à « élevé« .

Loading…le rapport final de l’étude.

Instabilité des cultures

Les Wallons et leurs logements seront impactés, tout comme leur assiette. Dans le secteur agricole, les rendements seront modifiés. Dans un scénario de hausse de la température mondiale de 2 degrés, la plupart des cultures subiront une baisse de production. Toutefois, à + 3 ou + 4 degrés, l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère pourrait favoriser la photosynthèse, entraînant, dans certains cas, une élévation des rendements moyens. Le maïs serait la culture la plus négativement impactée par le réchauffement climatique, tandis que la betterave semble bénéficier du phénomène de façon positive.

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Cependant, il n’y a pas de raison de se réjouir. « La nature ne fera que compenser les catastrophes engendrées par l’homme », précise Benjamin Dumont, professeur en agronomie tempérée à Gembloux Agro-Bio Tech.

D’une part, avec l’augmentation des événements climatiques extrêmes, le développement des cultures connaîtra une instabilité de plus en plus grande. « Quand les rendements seront meilleurs, ils seront parfois bien meilleurs, mais quand ils seront moins bons, les pertes seront également significatives. Par exemple, certaines années, les rendements en colza et en betteraves pourraient être nuls. Le tableau ci-dessus présente des rendements médians, mais ne traduit pas les importantes variabilités entre les années.

La nature ne fera que compenser les catastrophes engendrées par l’homme

Benjamin Dumont, professeur en agronomie tempérée à Gembloux Agro-Bio Tech

Il ne rend pas compte, précise encore Benjamin Dumont, des disparités régionales au sein même de la Région wallonne. « L’étude montre que les régions qui ont actuellement les rendements les plus élevés seront celles où les instabilités seront les plus marquées et où les pertes pourraient être les plus importantes.

Cette étude a également examiné la biodiversité, l’érosion des sols, la pollution de l’air, la santé et les infrastructures. Certaines données sont plus complètes ou plus actuelles que d’autres. Elles ont le mérite d’être rassemblées et accessibles. Elles sont vouées à évoluer. C’est un point de départ.

Des cartes à l’action

Les constats sont établis. En écoutant les experts, on peut imaginer le futur de Lucien, un petit Wallon de 5 ans aujourd’hui. À l’âge de 50 ans, il aura probablement des difficultés à dormir et à travailler en extérieur pendant près d’un mois à cause de la canicule. Il craindra également, l’année précédente, que sa maison ne soit ravagée par des flammes menaçantes. Des pluies intenses frapperont régulièrement ses fenêtres, et l’un de ses amis aura vu son entreprise frappée par une inondation entraînant des pertes importantes pour son affaire. Son alimentation devra s’adapter aux prix fluctuants, selon le succès parfois désastreux des récoltes. Cela représente un scénario probable si la température mondiale augmente de 3 degrés.

Il ne s’agit pas seulement d’alerter, mais aussi d’appeler à l’action. Les experts soutiennent que cela n’est plus une option. Ils insistent sur la nécessité de continuer les efforts d’atténuation (réduire l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère) tout en accélérant l’adaptation.

Leur étude est un outil que les décideurs politiques sont incités à utiliser. Pour ce faire, l’ISSeP, l’Institut Scientifique de Service Public, a développé un indicateur de vulnérabilité sociale face au changement climatique.

Ce nouvel indicateur prend en compte divers critères allant au-delà de la situation socio-économique des ménages, en intégrant aussi l’âge, la santé (maladies chroniques), la présence de lieux accueillant des publics vulnérables (écoles, maisons de repos, etc.), ainsi que l’accès aux soins médicaux, aux espaces verts et le niveau d’isolement social. Cet indicateur a permis de créer la première carte de la vulnérabilité sociale en Wallonie face au changement climatique.

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Résultat : 62% de la population, soit plus de 2.250.000 personnes, résident dans des zones statistiques présentant une vulnérabilité élevée à très élevée. La vulnérabilité est plus marquée dans les zones urbaines.

Où agir, quartier par quartier

La carte fournie présente une granularité très fine, permettant d’analyser la situation quartier par quartier. « Cela montre qu’au sein d’une même commune, certains quartiers présentent une vulnérabilité sociale moins marquée que d’autres. De même, certains quartiers sont moins exposés à un risque d’inondation ou de chaleur que d’autres, explique Yasmina Loozen, de l’ISSeP.

En croisant les cartes, les décideurs seront à même d’identifier où agir en priorité. « Cela a déjà été fait pour les vagues de chaleur. Nous avons croisé l’aléa de chaleur, la densité de population et la vulnérabilité sociale pour créer une carte de risque. Les quartiers classés à risque élevé présentent à la fois un aléa de chaleur significatif, une forte densité de population et une vulnérabilité sociale importante. »

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« Les acteurs communaux qui travaillent sur le schéma de développement communal pourront s’en servir, espère Jacques Teller. « Que cela concerne les inondations, les vagues de chaleur ou les incendies, il est essentiel de prioriser. Parmi les 500.000 ménages exposés au risque d’inondation, il y en a qui sont à la fois plus exposés et socialement plus vulnérables (on a vu que ce sont les plus précarisés qui sont les plus menacés). C’est là qu’il faudra agir en premier.

Les coûts de l’inaction

Pour convaincre, les experts ont dressé la liste des coûts de l’inaction. Les coûts liés à la baisse de productivité au travail due aux vagues de chaleur seraient considérables. Ce serait « un impact économique clé des changements climatiques qui pourrait affecter la production nationale et les revenus des travailleurs« , selon l’étude qui donne un montant très concret : 922 millions d’euros de pertes par an, dont la moitié dans les secteurs de l’agriculture et de la construction, dans un scénario à + 2 degrés (si aucune mesure, comme des changements d’horaire, n’est prise).

À cela s’ajoutent les coûts sanitaires, ainsi que ceux liés aux inondations (rappelons que 2,24 milliards d’euros d’indemnités ont été versés par les assurances après les inondations dans la vallée de la Vesdre), pour n’en nommer que quelques-uns. La liste est longue.

L’étude a été commandée par le gouvernement wallon précédent. À l’époque, le ministre du Climat était Philippe Henry et la ministre de l’Environnement, Céline Tellier, tous deux membres d’Ecolo. Leur parti n’est plus au pouvoir. Contactée, Cécile Neven, l’actuelle ministre MR de l’Énergie et du Plan Air-Climat, assure que les conclusions de l’étude serviront à l’élaboration d’une « stratégie régionale d’adaptation, assortie d’un plan d’actions concret« . L’objectif étant de finaliser le tout d’ici 2026.

Les experts seront auditionnés au Parlement wallon ce mardi 23 septembre. Ils tenteront de faire entendre leurs voix.