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MTV en 1981 : comment un « robinet à clips » a révolutionné l’industrie musicale ?

Le 1er août 1981 à midi, les premières images d’MTV apparaissent sur les écrans de télévision câblés du New Jersey aux États-Unis. Le premier clip joué sur MTV est « Video Killed the Radio Stars » des Buggles, pour lequel un clip a été spécialement réalisé.

Le lancement de MTV le 1er août 1981

En 1981, il n’existe pas encore de chaîne de télévision dédiée exclusivement à la musique. Ce vide va être comblé le 1er août à midi, lorsque les premiers images d’MTV apparaissent sur les écrans des foyers du New Jersey aux États-Unis. On y voit un de ses présentateurs, déclarant : « Bienvenue sur MTV Music television, la première chaîne musicale en stéréo, 24h/24.Nous sommes tellement excités par ce nouveau concept en télévision. Nous allons faire pour la télévision ce que la FM a fait pour la radio« . Le tout premier clip diffusé par MTV est ensuite diffusé. Il s’agit d’un morceau sorti deux ans auparavant, pour lequel un clip a été spécialement produit : Video Killed the Radio Star des Buggles. Cette vidéo a symbolisé la fin de l’ère de la radio. 

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Une nouvelle manière de regarder la télévision

Nina Blackwood en 1981, l'un des VJ de MTV.

Le succès est immédiat. Les jeunes, conquis, apprennent à regarder la télévision différemment. « Nous sommes en train de changer la manière dont les gens regardent la télévision ici aux États-Unis. Jusqu’ici, c’était : tu rentres à la maison, tu regardes ton émission, tu regardes une autre émission, et puis tu vas au lit« , explique John Sykes. « Avec MTV, on change la manière dont l’habitude se construit. Tu regardes 45 minutes, et puis tu pars. Et puis tu reviens pour 1 heure. Tu gardes complètement le contrôle dans un environnement qui est totalement créé pour la musique« .

Un contenu qui plaît aux jeunes, disponible en continu, avec la possibilité de cibler la publicité. D’une certaine manière, la génération MTV était la grande sœur de la génération internet.

Les publicitaires ne sont pas les seuls à tirer avantage de ce nouveau concept. Les vidéoclips sont fournis par les maisons de disques pour lesquelles MTV représente un des plus puissants outils de promotion des ventes. Une sacrée aubaine pour un artiste et sa maison de disques :

Tout le monde voulait être sur MTV, parce que c’était encore plus fort que d’être programmé sur une grande radio.

C’est ce qu’explique Olivier Cachin, journaliste, écrivain et animateur télé de nombreuses émissions musicales à la télévision française ces 40 dernières années. Le câble permettait de toucher un public à l’échelle mondiale.

Pour Bernard Dobbeleer, journaliste musical et conseiller musical à la RTBF radio : « Ça a révolutionné la manière dont on vendait la musique, mais ça a aussi révolutionné la manière dont on la faisait. […] À partir du moment où une vidéo, un clip devient absolument obligatoire pour pouvoir passer sur MTV, je pense que toute l’esthétique change, évidemment. Je me demande même si certaines chansons ne sont pas des prétextes. On ne sait pas trop si c’est la vidéo ou la chanson qui est la plus importante.Ça a vraiment changé le mindset de tous les musiciens de l’époque.

Le rock, les clips vidéo et leur montage beaucoup plus serré, le logo MTV qui change de couleur et qui s’anime différemment de jour en jour : la chaîne développe une nouvelle esthétique qui va marquer la télévision. Le clip devient un objet culte, une référence pour des générations, explique Benoît Do Quang, né au début des années 90. « Au même titre qu’un bon film ou une bonne série, quand j’allais à l’école, il fallait avoir vu certains clips pour pouvoir en parler avec les copains.«  (les clips de Daft Punk par exemple), confie le réalisateur et producteur, notamment de clips.

MTV : « Une chaîne très, très pâle au niveau de la programmation »

Dès le lancement de MTV, un constat s’est posé : « C’est une chaîne très, très pâle au niveau de la programmation« , souligne Olivier Cachin. Elle ne reflète pas la réalité de la musique américaine. Ce qu’on voit, c’est surtout du rock qui est joué par des blancs. « On va s’en apercevoir quand Michael Jackson sort Billie Jean peu de temps après la création de la chaîne et se voit obtenir un refus de diffusion« , raconte le journaliste musical. Michael Jackson était pourtant numéro 1, et pas seulement dans les classements des charts noirs ou R’n’B, mais aussi dans les charts pop. Le motif du refus ? Il ne correspondait pas au format… « Une façon polie de dire ‘Les Noirs ne sont pas les bienvenus sur cette chaîne’« , traduis pour nous Olivier Cachin. Face aux accusations de racisme, MTV répondra : « le projet initial, c’était de faire une chaîne rock« , nous rappelle Bernard Dobbeleer.

Finalement, Billie Jean figurera dans la playlist MTV grâce aux fortes pressions du patron d’Epic Records, le label de Michael Jackson, explique Olivier Cachin. « Le morceau deviendra une des plus grosses rotations des débuts de MTV. L’apparition de Michael Jackson va ouvrir une brèche pour les artistes noirs« . En 1988, Yo MTV Rap débarque sur la chaîne. « Une émission essentiellement consacrée au hip-hop, ce nouveau genre musical qui commence à envahir les ondes« . La programmation poursuivra son évolution.

Nancy Wilson, Ann Wilson et Howard Leese, du groupe Heart aux studios de MTV à New York, 9 avril 1982. © Gary Gershoff/Getty Images

L’évolution d’MTV : du « music non-stop » à la télé-réalité trash

MTV va s’éloigner de sa fonction de robinet à clip des débuts. « Elle s’est petit à petit transformée en chaîne généraliste, qui va chercher l’audience là où elle peut la trouver le plus facilement« , constate Olivier Cachin. Parmi ses plus gros succès, on mentionnera Dirty Sanchez, Jackass ou encore Pimp My ride. Ces émissions de télé-réalité remplacent petit à petit la musique. MTV a perdu le monopole de la musique en image qui se généralise. Elle a dû se réinventer. « À un moment donné, le robinet à clips, ça sert plus à grand-chose. Il y a YouTube, il y a les plateformes, il y a les réseaux sociaux et donc la vocation clips musicaux 24 h sur 24 et MTV, elle se perd un peu« , constate Bernard Dobbeleer.

La façon de produire ces clips va aussi évoluer. Avant, les clips, c’était pour les méga stars. Il fallait de gros moyens pour en produire. « S’il n’y avait pas un label, une maison de production derrière qui alignait l’argent, c’était impossible pour un groupe d’imaginer faire un clip« , rappelle Benoît Do Quang. « C’était d’office des dizaines de milliers d’euros, des grosses équipes de production, des caméras inaccessibles« . Mais vers 2012, le matériel se démocratise. « On a vu cette émergence de groupes plus indés qui avaient la capacité, du jour au lendemain, de produire des clips faits maison« .

L’après MTV : un mode de consommation encore chamboulé

Aujourd’hui, tout le monde peut faire un clip avec son téléphone dans sa chambre, remarque Bernard Dobbeleer. « A l’époque, il y avait peut-être quelques dizaines de clips qui tournaient. Tout le monde les regardait. Maintenant, chaque jour, il y a des milliers de morceaux qui sortent chaque jour« .

Pour émerger de la masse, ça devient très compliqué.

Pour Benoit Do Quang, la deuxième révolution, c’est « le changement du mode de consommation, qui est évidemment fortement impacté par les réseaux sociaux« . Aujourd’hui, on découvre les clips par YouTube, mais aussi par TikTok. Les gens scrollent sur leur téléphone quand ils ont quelques secondes devant eux. « Pour quelqu’un de la nouvelle génération, regarder un clip de 3 minutes relève de l’effort.« 

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