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Pourquoi « Left Handed Girl » ne fait-il pas oublier la Palme d’or ?

Sean Baker a cosigné le scénario de Left-Handed Girl avec la réalisatrice Shih-Ching Tsou et a également réalisé le montage du film. Le film se déroule à Taïwan et met en scène quatre femmes de trois générations différentes, dont une mère séparée, une fille travaillant dans un magasin de bétel et une grand-mère participant à un trafic de migrants vers les Etats-Unis.

Vous souvenez-vous d’Anora ? Sean Baker a remporté la Palme d’or ainsi que plusieurs Oscars pour cette comédie qui a insufflé un vent de liberté au cinéma indépendant américain. Le réalisateur s’est intéressé au berceau de Left-handed Girl de Shih-Ching Tsou, qui a été récompensé à la Semaine de la critique de Cannes et présenté en avant-première au Festival de Deauville.

On retrouve le ton caractéristique de Sean Baker dans ce film empreint de tendresse, ce qui n’est pas surprenant. Il a coécrit le scénario avec la réalisatrice Shih-Ching Tsou et a également réalisé le montage de Left Handed-Girl. Il rendait ainsi hommage à la cinéaste qui a été la monteuse de ses films avant Anora. Les aficionados de leurs univers ne seront dépaysés que sur un point : l’action du film de Shih-Ching Tsou se déroule à Taïwan et non aux États-Unis. « Je me suis tenu à l’écart de la production jusqu’à la découverte des rushes, précise Sean Baker. C’était très étrange pour moi car c’était la première fois que je montais le film de quelqu’un d’autre et que j’ai dû renoncer à toute prise de contrôle. »

Des femmes fragiles et fortes

Quatre femmes de trois générations différentes sont les héroïnes du film. La mère, qui a été séparée de son mari, peine à joindre les deux bouts en tenant un stand de restauration dans un marché de nuit à Taipei. Sa fille aînée l’aide lorsque cela est possible, mais passe la majorité de son temps dans un magasin de vente de bétel et entretient une relation sexuelle avec son patron. La plus jeune, quant à elle, parvient à s’épanouir en dessinant, tout en apprenant la vie sans que les deux autres trouvent le temps pour elle.

À cela s’ajoute la grand-mère qui se fait un peu d’argent en participant à un trafic de migrants vers les États-Unis. Tout comme Sean Baker, Shih-Ching Tsou s’efforce de dépeindre des femmes négligées par une société brutale. Elles sont à la fois fragiles et fortes, à l’image d’Anora, ce qui les rend profondément humaines. La réalisatrice a choisi de les filmer à l’iPhone, de la même manière que Sean Baker l’avait fait pour Tangerine.

A hauteur d’enfant

La cinéaste a opté pour le point de vue de la petite fille pour évoluer dans l’univers coloré et animé du marché, où elle se fraye un chemin à la fois seule et entourée d’adultes. « Le marché est un personnage à part entière, souligne la cinéaste. Après avoir longtemps vécu à New York, j’ai redécouvert la beauté de mon pays. J’ai souhaité montrer que si tout paraît joyeux, des émotions puissantes bouillonnent. Cette tension entre un extérieur éclatant et une tristesse intérieure silencieuse était essentielle pour moi. »

Shih-Ching Tsou et la jeune Nina Yen sur la scène du Festival de Deauville.
Shih-Ching Tsou et la jeune Nina Yen sur la scène du Festival de Deauville. - Caroline Vié

La petite gauchère incarnée par Nina Yen donne son titre au film. « Cette histoire est très personnelle, souligne la réalisatrice. Le film découle d’un souvenir marquant : mon grand-père m’a un jour dit de ne pas utiliser ma main gauche car c’était la main du diable. » Cette tradition est au cœur d’une intrigue dans laquelle la jeune actrice apporte une fraîcheur exceptionnelle. Contrairement à Sean Baker, la cinéaste a choisi de faire appel à des actrices professionnelles, car le temps de préparation était trop court pour envisager un casting non traditionnel. Shih-Yuan Ma et Janel Tsai brillent toutes deux pour soutenir la fillette de 9 ans.

Notre rubrique Cinéma

Bien qu’on puisse reconnaître l’influence de Sean Baker dans son cinéma, Shih-Ching Tsou a su imprégner ce long-métrage de sa propre vision, comme elle l’avait fait pour son documentaire Take out. Sa douceur mélancolique et la fluidité de sa mise en scène séduisent dès les premières images. « J’espère encourager les gens à réfléchir à leurs origines et à se sentir capables de tracer leur propre chemin, même s’il n’est pas tout droit », déclare-t-elle. On suit avec joie ses héroïnes. Cette cinéaste mérite d’être suivie.