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Rebeka Warrior : « Je n’ai pas écrit ce livre pour parler des aidants »

Rebeka Warrior a publié son premier roman, « Toutes les vies », aux éditions Stock, qui aborde le cancer et la mort de sa compagne, Pauline, en 2017. L’ouvrage a été très bien accueilli par la critique et a suscité un engouement dans les ventes en librairie.


On la connaissait en tant que DJ, musicienne et chanteuse au sein de groupes tels que Sexy Sushi, Mansfield.TYA et Kompromat. Pour cette rentrée, Rebeka Warrior s’affirme comme autrice avec son premier roman, Toutes les vies, publié aux éditions Stock. Ce récit intense aborde le cancer et la mort de sa compagne, Pauline, survenue en 2017. L’ouvrage évoque l’amour, le deuil, la colère et une quête spirituelle pour surmonter l’épreuve et le sentiment d’impuissance. Cette autofiction a reçu un excellent accueil critique, et le phénomène s’est également traduit par un intérêt croissant en librairie.

Lors d’une rencontre chez elle, début septembre à Paris, nous lui faisons part de notre surprise face à ce succès, au regard de la sincérité qui émane de son livre et des mots qui marquent les lecteurs. « C’est vrai ? » répond-elle avec modestie. « Vous auriez dû me le dire avant la sortie, car je ne m’attendais pas du tout à un tel accueil. »

L’écriture fait-elle partie de votre vie depuis l’enfance ?
Oui, j’ai retrouvé mes journaux intimes, dont les plus anciens datent de l’âge de 7 ans. C’est passionnant à lire : « Sabrina m’a pris la tête », « Je me suis acheté des bonbons. » (rires)

Et la lecture, qu’en est-il ?
Non, je n’ai pas été une grande lectrice. Adolescente, je lisais surtout des bandes dessinées. Depuis l’apparition des livres audio, je suis devenue une grande consommatrice, j’adore ça. Il y a énormément d’auteurs et d’autrices que j’apprécie, mais comme en musique, il m’est difficile de n’en citer que quelques-uns. J’affectionne particulièrement les journaux intimes, les mémoires et les récits de vie d’Anaïs Nin, de Chateaubriand, de Marc Aurèle…

Quand vous écriviez vos carnets d’enfance, pensiez-vous un jour écrire un roman ?
Jamais. C’est quelque chose qui m’est un peu tombé dessus. Je ne me suis jamais dit « J’écrirai un roman », tout comme je ne me suis jamais dit « Je ferai de la musique ». Mais j’ai ressenti le besoin de faire de la musique et d’écrire un roman. Petite, j’avais des histoires à raconter, même si je ne savais pas encore sous quelle forme. Mais j’ai vite compris que je voulais faire une école d’art, que je voulais être artiste.

Quel a été le déclic pour écrire ce roman ?
La lecture de Vivre vite de Brigitte Giraud. Elle y raconte la perte brutale de son compagnon dans un accident de moto, en se posant de nombreuses hypothèses : « Et s’il n’avait pas pris la moto ? » Mon livre est une autofiction. Il s’inspire de ma vie, car j’ai effectivement perdu ma compagne il y a environ dix ans. Toutefois, il y a de nombreux moments où je m’aventure dans un récit fictif. Le livre de Giraud a été un déclic, car le moment était propice pour aborder mon deuil. Au début, c’est trop tôt, trop douloureux, car c’est un exercice difficile. Après un certain temps, c’est trop tard, on souhaite passer à autre chose, oublier ou ne plus en parler. En tant qu’artiste, il m’a semblé essentiel de le faire pour mon bien-être, même si l’écriture a été ardue. Le résultat me paraît fondamental et bénéfique.

Est-ce le côté cathartique de l’écriture ?
Christine Angot le dit : entrer en littérature, c’est accéder à un monde qui n’existe pas. C’est aussi un moyen de réécrire l’histoire, de se réinventer. Comme dans le livre de Brigitte Giraud, j’y insère mes propres « et si ? ».

La part de fiction est-elle significative dans votre roman ?
Je ne vais pas vous le dire (sourire). C’est tout l’intérêt de l’écriture. C’est pour cela que j’aime les mémoires, les journaux et l’intimité : on ne sait pas vraiment ce qui est vrai ou faux.

La fiction a-t-elle été utilisée pour préserver votre intimité ou pour des raisons romanesques ?
Ni l’un ni l’autre. Le livre s’est dicté à moi. Lorsque je réécrivais l’histoire, il y avait une nécessité d’aller vers l’irréel, non pas pour se soigner, mais parce que l’imaginaire apporte du réconfort. Je parle de ce besoin de littérature, de trouver un sens à la vie, de chercher du réconfort dans la musique et la créativité, auprès des amis…

Les extraits de vos journaux intimes sont-ils présentés tels quels ?
Tout a été retravaillé. Il existe un matériau brut, mais ce n’est pas celui qui apparaît dans le livre. J’écris réellement des carnets depuis toujours et prends des notes au quotidien. Les rouvrir m’aide à me situer chronologiquement et me fournit des repères pour écrire des chansons ou de la poésie. C’est une sorte de squelette.

Il y a parfois des successions de mots, des listes. S’agit-il de poésie ?
J’appellerais cela de la poésie parce que ça me fait plaisir. D’autres pourraient y voir des listes (rires). J’aime considérer cela comme de la poésie ; même mes listes de courses en sont. Je ne sais pas d’où cela vient, mais j’ai des intérêts spécifiques et suis un peu monomaniaque. Cela me soulage de lister les mots qui me traversent l’esprit.

Cela évoque-t-il les dadaïstes ou les surréalistes pratiquant l’écriture automatique ?
Il y a un peu de dada, un mouvement que j’ai toujours aimé. Mon groupe Sexy Sushi est complètement dans cet esprit. J’adore l’absurde, donc il était important pour moi d’incorporer cela. Il y a également une dimension bouddhiste : penser à la non-pensée, c’est ne pas s’attacher. On exprime les mots et on passe à autre chose.

Ce roman traite d’une quête spirituelle. A-t-elle émergé après la mort de votre compagne ?
L’objectif du livre était de raconter comment l’on vit les étapes du deuil et se reconstruit. Il m’a semblé intéressant d’aborder la littérature, l’art, les amitiés et la recherche de sens dans la vie. Les spiritualités et le sacré sont également abordés. Je me concentre sur le bouddhisme, mais englobe aussi toutes les spiritualités et quête de sens, le chamanisme, la sorcellerie, dans une tentative de comprendre le grand cosmos.

Vous êtes-vous beaucoup autocensurée ?
Je ne suis pas très encline à la censure. J’avais besoin d’exprimer des choses. Il fallait tout dire, comme l’a écrit Rousseau. Je ne sais pas si cela relève de la sincérité, de la naïveté ou de l’innocence, mais je pense qu’il est crucial d’aller au bout des choses.

Sur scène, vous incarnez une sorte de personnage, comme un bouclier. Ce livre représente-t-il une présentation plus directe de vous-même ?
Étrangement, je reste assez pudique, car je n’ai pas signé ce récit de mon nom de naissance, mais de mon nom d’artiste. Cela accentue encore plus le personnage que je présente au public. Même si j’expose une part d’intimité, c’est une intimité maîtrisée.

Le livre reçoit un très bon accueil…
C’est mon premier, donc je ne m’attendais pas à autant d’engouement. J’étais très contente de l’écrire. Des amies autrices m’avaient alertée sur le fait que la littérature était difficile et que les ventes n’étaient pas toujours au rendez-vous. J’avais pris cela en compte. Là, c’est une belle surprise. Je pense qu’il y a un besoin de littérature sur le soutien aux proches. J’ai voulu écrire ce livre pour aborder ce sujet, car beaucoup m’écrivent en me disant qu’il est difficile de trouver des témoignages.

Il s’agit aussi d’un livre sur les amours lesbiennes. N’y a-t-il pas également un manque à ce sujet ?
J’ai ressenti un manque durant mon adolescence. Il n’y avait pas beaucoup d’opportunités de découvrir des récits intéressants. Maintenant, il y a davantage de possibilités, même si cela reste insuffisant à mon goût. Je n’ai pas conçu mon roman comme un livre politique sur les lesbiennes. En musique, je préfère dire que j’écris des chansons lesbiennes depuis toujours. Il y a des lesbiennes dans le livre parce qu’il relate ma vie, mais je ne souhaite pas qu’il soit perçu uniquement comme un ouvrage queer, même s’il l’est de fait. Il est crucial qu’un tel récit existe et soit reconnu comme normal. Il faut normaliser les personnes LGBTQIA +. Nous souhaitons simplement vivre paisiblement.

Ce roman vous apporte-t-il beaucoup de bienveillance ?
Oui, énormément. Je reçois des messages de lecteurs ravis de lire de la poésie, de personnes désespérées par ce monde absurde ou qui souffrent de la perte d’un proche. Certains m’envoient des poèmes, des peintures. Cela crée du dialogue. J’ai toujours répondu à tout le monde dans ma carrière ; j’adore ça. En ce moment, je vais devoir faire une pause pour ma santé mentale, car beaucoup de gens me partagent leur douleur. Je le prends comme une forme d’amour, mais cela commence à devenir étouffant. Je suis reconnaissante d’avoir cette chance, car si j’envoie du positif, je le reçois en retour. Je crois au karma.