Guerre en Ukraine : Europe et États-Unis ne font pas face à une pénurie de TNT
L’offre mondiale de trinitrotoluène s’assèche depuis 2022 et l’invasion russe de l’Ukraine, entraînant une pénurie sur le marché. En novembre 2024, l’armée américaine a attribué un contrat de 435 millions de dollars pour construire une usine de production dans l’ouest du Kentucky.
Le temps des abondantes réserves de TNT paraît révolu. L’approvisionnement mondial en trinitrotoluène, autrefois largement disponible, s’assèche depuis 2022 en raison de l’invasion russe de l’Ukraine. Aux États-Unis et en Europe, les stocks diminuent tandis que les projets d’usines s’accumulent, entraînant un risque de ralentissement tant pour les chantiers militaires que civils. Autrefois vendu à seulement 1 euro le kilo, le TNT, pourtant populaire au-delà des frontières, fait désormais face à une pénurie mondiale.
« La principale raison de la chute massive de la production de TNT est la génération d’un sous-produit cancérigène, mutagène et toxique, surnommé « eau rouge ». Ce sous-produit est issu du processus de purification principalement appliqué lors de la synthèse du TNT. Son traitement avant rejet est long et/ou coûteux », explique Lukas Bauer, expert en trinitrotoluène à l’Université Louis-et-Maximilien de Munich.
Cette problématique environnementale a conduit à la fermeture des dernières usines américaines dans les années 1980, ainsi qu’à celle de nombreuses installations en Europe. Sur le Vieux Continent, il ne reste qu’une usine : Nitro-Chem, située à Bydgoszcz, en Pologne. « Acheter du TNT auprès de sources aux réglementations plus souples est devenu bien plus rentable », souligne Lukas Bauer. En conséquence, les États-Unis et l’Europe se tournent vers des fournisseurs étrangers, notamment en Chine, ainsi qu’en Russie ou en Ukraine.
Des explosifs largement utilisés
Pour beaucoup, cet explosif rappelle les bâtons de dynamite des westerns ou les caisses explosives de Vil Coyote tentant de rattraper Bip Bip dans les Looney Tunes. Pourtant, le trinitrotoluène « est toujours utilisé dans les explosifs commerciaux », précise la chimiste britannique spécialiste des explosifs Jackie Akhavan. Aux États-Unis, de petites quantités de TNT sont employées comme détonateur pour activer les charges de nitrate d’ammonium dans les carrières. Son absence entraînerait une augmentation des coûts pour la construction de routes, de ponts ou de bâtiments.
En Europe, l’utilisation du TNT est majoritairement militaire. Il est « utilisé pour fabriquer des obus d’artillerie, des bombes, des mines ou des grenades », énumère Lukas Bauer. Principal explosif des obus d’artillerie de 155 mm, qui sont les plus répandus, ce matériau, malgré son aspect désuet, reste massivement en usage. Il « peut être fondu puis coulé dans un moule, où il durcit et prend la forme souhaitée. C’est une propriété très avantageuse que peu d’autres matériaux énergétiques, et encore moins de matériaux aussi bon marché et faciles à produire, partagent […] De nombreuses compositions sont utilisées depuis des décennies, comme la Composition B, l’Amatol ou le Torpex », ajoute Lukas Bauer.
Un besoin croissant face à une offre décroissante
Depuis l’invasion russe en Ukraine, l’approvisionnement en TNT a chuté alors que la demande a explosé. Selon le National Security Journal, la Russie et la Chine ont arrêté d’exporter du trinitrotoluène vers les États-Unis. L’Ukraine a redirigé sa production vers ses propres besoins, amplifiés par l’invasion. La Pologne, pour sa part, a choisi d’exporter massivement vers Kiev pour soutenir sa défense. Cette conjoncture crée un goulet d’étranglement alors que l’UE vise la production de deux millions d’obus d’ici 2025, bien en deçà des cadences russes, évaluées à 3,6 millions par an.
« L’Europe a une capacité de production très limitée avec Nitro-Chem », confirme Romain de Calbiac, spécialiste des industries de défense, auprès d’Euractiv. Néanmoins, « le TNT est facilement recyclable, ce qui permet à certains pays de récupérer cet explosif des anciens obus et de le réutiliser », précise Jackie Akhavan. Avant le conflit, le Pentagone déclassait certaines de ses munitions, leur offrant une seconde vie dans le secteur commercial, indique le New York Times. Actuellement, l’armée américaine conserve ses anciennes armes pour éviter toute érosion de ses capacités de défense.
Relance des projets de production
Face à cette inquiétude, des projets de relance concernant le TNT ont été activés en Occident. En novembre 2024, l’armée américaine a attribué un contrat de 435 millions de dollars pour la construction d’une usine de production dans l’ouest du Kentucky. Sur le continent européen, la Finlande, inquiet de sa proximité avec la Russie, a initie un projet d’usine de trinitrotoluène à Pori. Ce « projet crucial pour la sécurité d’approvisionnement militaire de la Finlande et de l’Europe dans son ensemble », selon le ministre de la Défense Antti Häkkänen, est évalué à 200 millions d’euros.
Parallèlement, la Suède a levé plusieurs millions pour débuter la construction d’un nouveau site de production de TNT, et la Grèce relance son usine historique de Lavrio avec le soutien de l’Union européenne. Cependant, ces projets ne devraient pas voir le jour avant 2027 au plus tôt. « Si la guerre en Ukraine devait se prolonger, ou même s’intensifier, davantage d’usines pourraient s’avérer nécessaires », avance Lukas Bauer. En attendant, les capacités occidentales demeurent loin derrière celles de Moscou, qui produirait plus de 4,5 millions d’obus par an, selon les renseignements extérieurs estoniens.

