France

Éducation : « On n’a pas d’autre possibilité » pour Florence et Alexis, hors la loi

Florence et Alexis, originaires de Lorraine, sont convoqués en cour d’appel de Rennes pour avoir pratiqué l’instruction en famille sans avoir demandé l’autorisation, obligatoire depuis une loi de 2021. En 2022, plus de 30.000 enfants avaient reçu l’autorisation de faire l’école à la maison, représentant moins de 1 % de la population en âge d’être scolarisée.

Ils se sont assis au fond de la salle, attendant que leur dossier soit appelé. Ce temps leur permet d’écouter les récits compliqués de plusieurs personnes ayant des antécédents judiciaires chargés. Des hommes déjà condamnés pour violences, trafics en tous genres, vols et ayant purgé plusieurs peines de prison. Assis sur un banc en bois peu confortable, Florence et Alexis patientent pour leur tour. Ces deux quadragénaires sont loin de ces réalités. Pourtant, ils se trouvent également « hors la loi ». « On se demande un peu ce qu’on fait là », concèdent-ils.

La cour d’appel de Rennes s’apprête à les entendre car Florence et Alexis pratiquent « l’instruction en famille ». « IEF » pour les initiés. Leur faute ? Ne pas avoir demandé l’autorisation pour faire « l’école à la maison » à leurs deux filles, âgées de 5 et 10 ans. Ce couple sans histoire, originaire de Lorraine, se retrouve donc « en désobéissance civile ». « Ce n’est pas quelque chose que l’on prend à la légère. C’est juste que l’on n’a pas d’autre possibilité », explique Florence à la barre de la cour d’appel.

Cela n’est pas tout à fait exact. Pour continuer à pratiquer l’instruction en famille, le couple doit désormais demander une autorisation, ce qu’il n’a pas fait. Cette exigence est devenue obligatoire depuis une loi souhaitée par Emmanuel Macron, adoptée en 2021 et applicable depuis septembre 2022. Le rectorat doit décider d’accorder ou non ce droit après une étude approfondie du dossier. « Demander l’autorisation, c’est se priver de cette liberté », estime Alexis. Jugé en mars, le couple avait été relaxé par le tribunal de Rennes, qui avait considéré que les parents avaient « une excuse valable » de ne pas scolariser leurs deux filles. Le parquet a fait appel de cette décision. « On a un peu l’impression d’un acharnement. Ça fait un moment qu’on est dedans », expliquent les parents, désabusés.

« On ne peut faire le choix des lois que l’on respecte ou pas »

Depuis trois ans, ils ont vu des gendarmes arriver, ont reçu des courriers d’avertissement puis des mises en demeure. Avant d’être convoqués au tribunal, puis à la cour d’appel. L’audience de mardi n’a pas été simple. « C’est beau d’avoir des idéaux mais il faut en assumer les conséquences. La question, ce n’est pas tellement de savoir si votre fille a le bon niveau d’anglais ou pas. En tant que citoyen, on ne peut pas faire le choix des lois que l’on respecte et des lois que l’on ne respecte pas », s’agace une juge. L’avocate générale n’est pas plus indulgente. « Vous connaissiez parfaitement la situation. Et vous n’avez aucune volonté de vous conformer à la loi », assure la magistrate, rappelant la peine encourue : « six mois de prison et 7.500 euros d’amende ». Elle requiert 1.000 euros d’amende pour chacun.

Depuis 2019, la loi française impose à tous les enfants d'être scolarisés dès leurs 3 ans.
Depuis 2019, la loi française impose à tous les enfants d’être scolarisés dès leurs 3 ans. - C. Allain/20 Minutes

La décision ne sera rendue qu’à la fin octobre, mais elle sera suivie de près. Car Alexis et Florence sont les premiers parents « en désobéissance » à être jugés en appel. Partout en France, plusieurs centaines de familles se battent, dont certaines se regroupent au sein de l’association « Enfance libre ». En France, un peu plus de 30.000 enfants avaient reçu l’autorisation tant convoitée l’an dernier, soit moins de 1 % de la population en âge d’être scolarisée. Quand l’école est trop éloignée, que l’enfant a un handicap, qu’il pratique intensément un sport ou de la musique, ou que sa famille est nomade, l’obtention de l’autorisation ne pose pas de problème. C’est le fameux « motif 4 » qui suscite plus d’interrogations. Il faut alors justifier de « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ». Et là, c’est le flou total. Certains choisissent donc de ne rien demander. « Moi, je n’ai aucune chance d’avoir l’autorisation, car je n’ai pas le bac », regrette Jennifer, venue au tribunal pour soutenir le couple.

« On ne fait rien de mal »

Comme beaucoup, cette habitante du quartier Maurepas à Rennes a choisi de déscolariser son enfant après avoir expérimenté l’école à la maison pendant la pandémie de Covid-19. « Il y avait plein de problèmes dans l’école du quartier. Là, il est épanoui. J’ai du temps pour lui, car je n’ai pas 30 élèves à gérer. Et puis, il va au centre de loisirs, il a ses copains », explique la maman de son fils de 15 ans. Ses deux plus jeunes enfants sont également à la maison. « On nous accuse de séparatisme, mais on ne fait rien de mal. Moi, ça fait trois ans que je demande une inspection à la maison, pour que l’on vienne vérifier que tout se passe bien. J’attends toujours ».

En 2021, le nombre d’enfants scolarisés à la maison avait explosé, sous l’effet du Covid-19 mais aussi à cause de l’obligation de scolarisation des enfants dès 3 ans, entrée en vigueur en 2019. Cet abaissement de l’âge et la loi de 2021 sur l’instruction en famille avaient pour but de lutter contre le séparatisme, notamment religieux. « Oui, il y avait bien quelques cas de séparatisme, notamment islamique. Mais ils étaient peu nombreux. Aujourd’hui, on constate que l’application de cette loi est chaotique. Il y a des académies où le taux d’autorisation est de 70 % et d’autres où il est de 20 %. Sans aucune explication », déplore Me Alexis Fitzjean, l’avocat du couple. Depuis 2021, le nombre d’enfants suivant l’instruction à domicile a été divisé par deux, ce qui, selon les défenseurs de l’IEF, est un choix politique.