France

Après le débat sur la taxe Zucman, est-elle vraiment viable ?

La « taxe Zucman » prévoit un impôt plancher de 2 % de la valeur des patrimoines valorisés au-dessus des 100 millions d’euros. En juin, cette proposition a été retoquée par le Sénat.


Pour certains, la « taxe Zucman » constitue une solution efficace pour résoudre la crise de la dette tout en conservant une approche progressiste. Pour d’autres, c’est une proposition floue ou contre-productive, illustrant selon eux un manque de compréhension de l’économie au sein de la gauche. Cette taxe, portée par l’économiste Gabriel Zucman, institue un impôt minimum de 2 % sur les patrimoines dépassant 100 millions d’euros et suscite des débats, même parmi les économistes.

Les opposants à cette taxe avancent l’argument selon lequel une telle imposition inciterait les riches à quitter le pays et à créer leur richesse ailleurs. Xavier Jaravel, professeur à la London School of Economics et membre du Conseil d’Analyse Économique, prévoit que la réponse comportementale serait significative, bien qu’il soit difficile de prédire les stratégies d’évasion fiscale.

Les partisans de la taxe Zucman rétorquent que les riches seraient moins enclins à partir qu’on ne le pense, en raison des liens d’attachement et des réseaux professionnels. Xavier Jaravel cite des études portant sur l’exil fiscal suite à des mesures similaires dans d’autres pays, montrant des départs notables mais pas massifs, représentant environ 20 % des recettes fiscales. En plus de cela, jusqu’à 50 % des recettes fiscales pourraient être perdues à cause de l’optimisation fiscale et de niches fiscales, souvent offertes par l’État, qui tente parallèlement de mieux taxer les ultra-riches.

Christian Gollier, économiste belge, exprime des craintes quant à la réduction des inégalités sociales, jugeant que des hausses fiscales sur le capital, plus mobile que le travail, pourraient avoir des effets à long terme préjudiciables. Il met en garde contre le risque que la France, en instaurant une taxe sur le patrimoine professionnel à un taux plus élevé que dans d’autres pays, ne nuise à l’ensemble des Français.

Gabriel Zucman défend que la France applique déjà une fiscalité avantageuse pour les ultra-riches, qui paient peu d’impôt sur le revenu. Selon lui, même si tous les milliardaires quittaient pour les îles Caïmans, leur charge fiscale ne diminuerait guère, étant déjà très faible.

Xavier Jaravel note que les recettes fiscales réelles pourraient être inférieures aux 20 milliards calculés de manière « mécanique », ce qui pourrait déstabiliser la trajectoire budgétaire. Il a co-signé dans Le Monde une tribune affirmant qu’une éventuelle taxe Zucman pourrait réduire le déficit public de 5 milliards d’euros, soit un quart des prévisions de Zucman. Par ailleurs, des juristes s’interrogent sur la légalité d’une exit-tax qui pourrait être rejetée par le Conseil constitutionnel.

Une autre problématique concerne le patrimoine professionnel ciblé par la taxe, qui pourrait inclure des holdings destinées à éviter l’impôt. En l’état, la taxe Zucman pourrait également frapper les détenteurs de parts dans des start-up très valorisées, mais pas encore rentables. Eric Larchévêque, cofondateur de la société de crypto-monnaie Ledger, a exprimé son exaspération à ce sujet, demandant des clarifications sur le paiement de cette taxe.

Les fondateurs de Mistral, une entreprise d’intelligence artificielle valorisée à 14 milliards, pourraient également subir des conséquences indésirables, se voyant dans l’obligation de vendre des actions, diluant ainsi leur contrôle. Xavier Jaravel souligne que cela poserait problème, en particulier si l’on souhaite maintenir Mistral en France.

Gabriel Zucman, dans un autre article du Monde, a répondu aux critiques, suggérant que ceux touchés par la taxe pourraient payer en nature, en apportant des titres de leur entreprise, que l’État pourrait ensuite conserver ou revendre, par exemple aux salariés, tout en interdisant la revente à des non-résidents.

Le débat parmi les économistes reste vif. Nombreux sont ceux qui privilégient une réduction des dépenses publiques ou des moyens alternatifs de lutte contre la fraude fiscale. Xavier Jaravel insiste sur la nécessité d’avoir des mesures réalistes, affirmant que 5 milliards d’euros représentent déjà une somme considérable. Il évoque également d’autres mécanismes, comme des taxes anti-optimisation sur les holdings ou les plus-values latentes lors des successions. La résurgence du débat sur la taxe Zucman semble donc davantage relever d’un exercice intellectuel, étant donné qu’elle a déjà été rejetée par le Sénat en juin et que le nouveau Premier ministre ne semble pas pressé de la réintroduire.