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Israël : « L’armée la plus morale du monde » face à Gaza.

Un communiqué de Tel-Aviv cosigné par Benyamin Netanyahou et Israël Katz a été publié fin juin, dénonçant un article accusant l’armée israélienne d’avoir tiré sur des Gazaouis désarmés. Au moins 64.656 personnes sont mortes dans l’enclave de Gaza depuis le début de la riposte de Tel-Aviv après les massacres du 7-Octobre, selon des chiffres du ministère de la Santé du Hamas jugés fiables par l’ONU.

« Ce sont des mensonges malveillants conçus pour salir Tsahal, l’armée la plus morale au monde », affirmait fin juin un communiqué de Tel-Aviv. Cosigné par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et le ministre de la Défense Israël Katz, ce texte dénonçait un article accusant l’armée d’avoir donné l’ordre de tirer sur des Gazaouis désarmés attendant une aide humanitaire. Il reprenait surtout une expression couramment utilisée en Israël pour décrire l’armée, qualifiée de « plus morale du monde ».

« Cette expression remonte au temps du conflit entre juifs et Arabes palestiniens dans les années 1920-1930 », explique Samy Cohen, directeur de recherche émérite à Sciences Po, en faisant référence à un autre concept : la « pureté des armes ». Ce dernier a été popularisé lors du 21ᵉ Congrès sioniste mondial en août 1939 par le politicien Berl Katzenelson, qui avait déclaré : « nous ne voulons pas que nos armes soient souillées par le sang innocent ». « Encore aujourd’hui, le fait d’utiliser son arme seulement pour sa mission, sa défense et jamais contre des innocents demeure une clause formelle du code d’éthique de l’armée israélienne », précise l’auteur de Tuer ou laisser vivre. Israël et la morale de la guerre (Ed. Flammarion).

Le prix payé par les civils

« Depuis la guerre d’indépendance, l’idée selon laquelle l’armée israélienne s’est comportée de manière exemplaire avec les Arabes palestiniens a émergé », souligne Samy Cohen. Cependant, cette expression a souvent été critiquée, et ce bien avant le début de la guerre qui ravage l’enclave palestinienne de Gaza depuis près de deux ans. « Il n’existe rien de tel qu’une armée réellement morale […] La seule armée totalement morale est l’armée qui ne combat pas », écrivait le militant israélien des droits palestiniens Uri Avnery en 2017. Pour justifier cette appellation, le gouvernement israélien assure que son armée se consacre entièrement à la protection des civils.

L’été dernier, Benyamin Netanyahou affirmait devant le Congrès américain : « malgré tous les mensonges que vous avez entendus, la guerre à Gaza présente l’un des ratios les plus bas de combattants par rapport aux victimes civiles de toute l’Histoire de la guerre urbaine ». Pourtant, une enquête du Guardian publiée en août révèle au contraire un taux de mortalité civile de 83 % *, soit 2,5 fois plus élevé que le ratio habituellement avancé par le gouvernement israélien. La surmortalité des civils serait « extrêmement élevée pour une guerre moderne, même comparée aux conflits connus pour leurs massacres aveugles », selon le journal britannique.

De l’« outil de propagande » à la confiance populaire

Depuis le début de la riposte de Tel-Aviv à Gaza après les massacres du 7 octobre, au moins 64 656 personnes sont mortes dans l’enclave. Ces chiffres, fournis par le ministère de la Santé du Hamas, sont jugés fiables par l’ONU et n’incluent pas les victimes dont les corps sont encore ensevelis sous les décombres. Face à ce bilan tragique, les critiques se multiplient ces derniers mois. Mercredi, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a proposé des sanctions, évoquant une situation « inacceptable » à Gaza. Le 22 août, les Nations unies ont déclaré la famine dans l’enclave palestinienne, frappée par un blocus quasi total de l’aide humanitaire malgré une situation dramatique pour les civils.

Les journalistes internationaux n’ont pas accès à la zone, et ceux déjà présents ont été massivement touchés par les frappes israéliennes. Certains acteurs accusent Tel-Aviv de génocide, comme l’association Amnesty International. « Dire que l’armée israélienne est la plus morale du monde est une façon d’interdire toute critique. Pour le pouvoir, c’est un outil de propagande, analyse Samy Cohen. Mais les Israéliens y croient profondément. Pour eux, l’armée n’est pas un corps étranger, c’est leur fils, leur père, leur sœur. L’identification est totalement intégrée et, par conséquent, en cas d’exaction, la tendance est de minimiser, de nier ou d’accuser l’autre. »

L’« effondrement moral » de l’armée israélienne

Régulièrement, le gouvernement israélien fait état de la nature du terrain. Effectivement, il est particulièrement dangereux pour une armée régulière de progresser dans une guerre aussi asymétrique, où l’ennemi peut se dissimuler parmi la population civile. Mais selon Samy Cohen, « il y a un effondrement moral de l’armée israélienne depuis le 7 octobre ». L’expert estime que l’armée israélienne ne « prend plus de risque, ce qui l’amène à considérer toute personne qu’elle juge suspecte comme un ennemi à abattre », sans se soucier des victimes collatérales. En octobre 2023, un immeuble de six étages a ainsi été détruit par l’armée israélienne, faisant 106 victimes civiles, dont plus de la moitié étaient des enfants. D’après Human Rights Watch, Tel-Aviv n’a jamais démontré l’existence de cibles militaires dans cette zone.

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Pourtant, Samy Cohen se souvient d’un désir collectif de précautions vis-à-vis des civils et cite l’exemple de l’attaque du 22 juillet 2002, qui visait Salah Shehadeh, un haut responsable du Hamas, à Gaza. Lors de cette attaque, une maison voisine a été touchée, tuant 14 civils, dont plusieurs enfants. « Cela a provoqué un tollé et une commission d’enquête », se remémore Samy Cohen. « Aujourd’hui, l’armée israélienne ne prend plus de précautions. Un commandant important du Hamas sera tué même s’il est entouré d’une centaine de civils. » Ainsi, alors qu’aucune armée au monde ne peut revendiquer une moralité sans faille, Tsahal semble, jour après jour, s’éloigner de sa doctrine de la « pureté des armes » à Gaza.

* Ce taux indique qu’en moyenne, selon le Guardian, sur 100 personnes tuées par l’armée israélienne lors de ce conflit, 83 sont des civils.